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Après des années d’échecs : comment mieux protéger les enfants des abus ?

Qu’est-ce qui est fait pour protéger les enfants ? Cette question retentit à chaque fois qu’un cas de violence sur un enfant est porté à la connaissance du public ou qu’un infanticide se produit. Le Children’s Bill, le Children’s Court Bill ou encore le Child Sex Offenders Register Bill permettront-ils de mieux les protéger des abus ? L’émission d’Explik ou Ka du jeudi 19 novembre, animée par Priscilla Sadien et Ziyad Issac, s’articulait autour de cette thématique. Ils avaient pour invités Rattan Jhoree, Ismail Bhawamia et Véronique Wan Hok Chee.

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Rattan Jhoree, Child Welfare Officer à la CDU :  «Ne pas dénoncer, c’est être complice»

rattanSelon l’article 11 de la Child Protection Act de 2014, le corps médical, les enseignants et les personnes qui ont été témoins d’abus sur des enfants doivent rapporter les cas à la Child Development Unit (CDU). S’ils ne le font pas, ils deviennent complices. C’est ce qu’explique Rattan Jhoree, Child Welfare Officer à la CDU. 

Il fait ressortir que la ministre de l’Égalité des genres et du Bien-être de la famille, Kalpana Koonjoo-Shah, a récemment annoncé que selon le Children’s Bill, « si une personne est témoin d’un cas d’abus sur un enfant et ne le rapporte pas, elle sera complice de cet acte et pourrait être passible de poursuites ». 

L’officier estime si le cas avait été rapporté à la CDU, l’enfant aurait pu être protégé. « Dans de telles circonstances, quand l’organisme décèle des blessures sur l’enfant, il enclenche les procédures de l’Emergency Protection Order pour que la garde soit retirée aux parents. » 

Selon Rattan Jhoree, si les témoins auront l’obligation morale et légale de dénoncer tout cas suspect, la question se pose en revanche sur la protection des témoins. Selon les chiffres du ministère, 90 % des cas enregistrés provient des plaintes faites à travers des appels anonymes. « L’identité d’aucun témoin n’a été divulguée. Il y a certaines personnes qui donnent leur identité, mais la confidentialité est respectée », soutient l’officier. 

Ces témoins seront-ils appelés à témoigner en cour ? Pas nécessairement, d’après lui. « Il y aura des enquêtes de la CDU et de la police qui seront menées en parallèle. Sans compter des preuves médicales qui détermineront si l’enfant est victime d’abus ou non. Nous lançons un appel pour que les témoins dénoncent les cas », dit-il. 

Selon lui, pour les vérifications, des officiers du ministère se rendent sur place lorsqu’une plainte est déposée. « Ceux de la CDU n’ont pas le droit d’entrer dans  une maison comme bon leur semble », précise-t-il. Ces derniers demandent alors à la cour un Emergency Protection Order pour avoir accès au domicile et récupérer l’enfant, tout en étant accompagnés d’un psychologue. « Si des blessures sont décelées, nous n’avons d’autre choix que d’enlever la garde aux parents. L’enfant est hospitalisé pour quelques jours en vue des investigations médicales. Puis il est temporairement placé dans un shelter et sera suivi d’un psychologue. »

Il estime que dans la majorité des cas, ce sont les familles recomposées qui sont les plus à risque, mais bien entendu cela dépend aussi de l’adaptation de l’enfant dans son nouveau foyer. « Dans la plupart des divorces, l’enfant se sent perdu. Il se retrouve entre les deux parents qui ne sont pas en bons termes dans la majorité des cas. S’il est victime d’abus au sein de sa nouvelle famille, il lui sera difficile de s’exprimer. »

  • NOMBRE de cas d’abus 

5 565 cas enregistrés en 2018
6 225 cas enregistrés en 2019
4 900 cas enregistrés de janvier à octobre 2020.
 

  • Abus Sexuel

361 cas enregistrés en 2018
455 cas enregistrés en 2019 
449 cas enregistrés entre janvier et octobre 2020. 

  • Selon des sources officielles du ministère, une hausse des cas d’abus envers les enfants a été enregistrée. Une quarantaine d’enfants ont été retirés de leurs parents durant le confinement.

Que risquent les abuseurs ?

Celui qui commet un acte de violence envers un enfant sera passible d’une peine d’emprisonnement allant jusqu’à cinq ans et d’une amende ne dépassant pas Rs 500 000. C’est du moins ce que prévoit le Children’s Bill, présenté en première lecture à l’Assemblée nationale mardi.

 Me Deepak Rutnah : «Il faudrait une synchronisation entre les autorités» 

« C’est malheureux qu’il faille des lois aussi sévères pour protéger les enfants. Il est de notre devoir de protéger nos enfants. La plupart des parents le font, mais une certaine minorité non », soutient l’avocat Deepak Rutnah. Il ajoute que c’est notre instinct d’être humain et non les lois qui devrait prévaloir pour protéger nos enfants même quand il ne s’agit pas des nôtres. 

« Certaines des recommandations que j’ai faites figurent dans le Children’s Bill. J’ai souvent constaté que les énoncés des autorités ne reflètent pas la réalité. Il y a un gros problème de coordination entre les autorités. Il faudrait une synchronisation entre la police, l’Ombudsperson for Children, la CDU et Family Protection Unit. » 

Selon lui, en cas de demande pour un Emergency Protection Order afin de protéger un enfant, il faut que les officiers aient le droit de récupérer ce dernier tout de suite s’il a été victime d’abus et non attendre l’autorisation de la cour.

Ismail Bhawamia : «Nous suivons les cas avec la CDU» 

ismaelSelon Ismail Bhawamia, qui est enquêteur au bureau de l’Ombudsperson for Children, l’instance travaille en collaboration avec la Child Development Unit (CDU). « L’Ombudsperson for Children Office est là pour veiller à ce que le service de protection de l’enfance et le service offert par l’État jouent pleinement leurs rôles », dit-il. 

Selon lui, il y a plusieurs personnes qui viennent témoigner des cas d’abus envers des enfants qui font partie de leur famille. « À notre niveau, nous transmettons les cas à la CDU. Nous faisons ensuite un suivi pour savoir quelles actions ont été prises. » 

Ismail Bhawamia soutient qu’il y a eu plusieurs cas dans lesquels les enfants ont été retirés à leurs parents ou dans lesquels il y a eu des séances de counselling. 

« Nous lançons un appel pour que les témoins informent les autorités à travers la hotline. Les cas seront transmis à la CDU, car c’est cette instance qui détient le mandat légal de demander que des actions soient prises pour que les actions nécessaires soient prises », dit-il. 

Ismail Bhawamia explique que l’Ombudsperson for Children approche aussi les écoles pour des sensibilisations. « Nous faisons des causeries. À travers ces activités, nous aidons beaucoup les enfants. Il faut faire ressortir que l’Ombudsperson for Children est intervenu dans plusieurs cas de bullying et ses opinions sont prises en compte. L’opinion des enfants est prise en considération. Toutes nos recommandations, formulées aux autorités, sont basées sur les témoignages des enfants », soutient-il. 

Selon Ismail Bhawamia, l’Ombudsperson for Children a longtemps mené un combat pour que l’âge légal du mariage passe à 18 ans. « La place d’une fille de 16 ans n’est pas dans un foyer mais à l’école. Il y a eu des cas où des adolescentes se sont retrouvées dans une vie de couple avant l’heure. D’autres vivent en concubinage. Par le passé, une personne s’était présentée au bureau de l’Ombudsperson avec une fille de 13 ans qui vivait déjà en concubinage bien qu’elle soit mineure. »


Véronique Wan Hok Chee : «Il est difficile de déterminer  le comportement de parents abuseurs»

veroniqueSelon la psychologue Véronique Wan Hok Chee, le drame du petit Ayaan, deux ans, aurait pu être évité si des signes d’alerte avaient été pris en considération. « Il est difficile de déterminer le comportement de parents abuseurs. Cela se passe entre quatre murs et rarement aux yeux de tous. Ces cas surviennent quand les parents ne savent pas comment gérer leurs frustrations », dit-elle. 

Lesquelles sont générées la plupart du temps par un licenciement, des soucis personnels, des problèmes de finances, etc. « Ces derniers défoulent leur frustration sur les enfants à travers des punitions corporelles. Ce n’est qu’à travers les analyses des enfants, leur suivi, les dessins qu’ils font et leur comportement que nous pourrons déterminer s’ils sont victimes d’abus ou pas », soutient-elle. 

Véronique Hok Chee espère que le Children’s Bill, qui est passé en première lecture à l’Assemblée nationale mardi, pourra aider à réduire les abus et que la loi sera suffisamment dissuasive. « Il faut aussi conscientiser les jeunes couples au sujet de leurs attentes du mariage. Il faut que les parents décident d’un commun accord s’ils veulent avoir un enfant et qu’ils voient s’ils sont prêts à assumer leurs responsabilités », dit-elle. 

Selon la psychologue, le couple doit établir  un plan. « Il faut déterminer le milieu où il vivra, restructurer la vie du couple si besoin est et faire une planification, car pour s’occuper d’un enfant, il faut du temps et de l’organisation », conclut-elle. 

Les formes d’abus les plus recensées sont les suivantes : celles qui sont de nature physique, verbale, émotionnelle et sexuelle ; la négligence ; le harcèlement ; le chantage affectif ; le chantage émotionnel ; l’inceste ; le viol ; le viol collectif ; l’attentat à la pudeur ; le détournement de mineur ; le cyberbullying ; la pédophilie et l’exploitation sexuelle des enfants. Cela concerne indistinctement les filles et les garçons, selon Véronique Wan Hok Chee.

La psychologue affirme que c’est difficile pour l’enfant de se confier dans de pareilles circonstances. « Il faut gagner sa confiance et c’est un travail de longue haleine. Il y a certains cas où ce n’est qu’après dix sessions que l’enfant commence à parler », fait-elle savoir. 

Il y aura une Children’s Court et cela pourra permettre à des cas dédiés aux enfants de passer en cour plus rapidement. En ce qui concerne l’union libre, le ministère travaille sur une loi qui portera sur le concubinage des adolescents.

Kevin, 32 ans, témoigne du calvaire qu’il a vécu 

Le jeudi 19 novembre a marqué la Journée mondiale pour la prévention des abus envers les enfants. Cette journée est suivie de la Journée internationale des droits de l’enfant, observée ce vendredi 20 novembre 2020. Les abus et l’exploitation des enfants, notamment au niveau sexuel, constituent un problème universel et alarmant. 

Après une longue tradition de silence, les abus sexuels dont sont victimes les enfants font de plus en plus l’objet de révélations. Comme c’est le cas pour Kevin* (prénom modifié) que nous avons interviewé. Il est aujourd’hui un homme d’affaires âgé de 32 ans.

Son calvaire a commencé quand il n’avait que quatre ans. Il a été victime d’attouchements sexuels que lui ont infligés trois membres de sa famille et deux enseignants. Ce cauchemar a duré jusqu’à ses 11 ans.

Kevin confie qu’il est né après le divorce de ses parents. En manque d’affection, il lui était difficile de distinguer câlins et attouchements. Un traumatisme qui l’a suivi durant ses années scolaires, surtout que certains de ces bourreaux n’étaient autres que ses enseignants. Aujourd’hui, après toutes ces années, Kevin a pris sa revanche dans sa vie professionnelle et il connaît la réussite. Toutefois, ces abus ont à jamais marqué sa vie personnelle qui, dit-il,  est un désastre. 

  Il lance un appel aux enfants victimes d’abus : « N’ayez pas peur d’en parler… » Si le trentenaire pense qu’il ne pourra jamais être guéri de son passé, une confrontation avec ses agresseurs et l’encadrement d’un psychologue lui ont permis de devenir l’homme qu’il est aujourd’hui. C’est la thérapie qui l’a aidé à vivre avec ce mal qui l’a beaucoup rongé. 

Son psychologue soutient d’ailleurs que les conséquences des abus sur un enfant sont très graves. Pour la plupart, cela perdure toute la vie. Certains se suicident tandis que d’autres se tournent vers la drogue pour oublier cet enfer.  Un bon encadrement des victimes et la thérapie sont primordiaux dans des cas similaires.

  • LDMG

 

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