La compagnie aérienne nationale traverse, une fois de plus, une des périodes les plus critiques de son histoire. 2025 sera très certainement l’année de tous les défis pour Air Mauritius.
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Avec le départ souhaité par le gouvernement de Charles Cartier, Chief Executive Officer (CEO), nommé le 6 mars dernier par l’ancien régime, ce sera un nouveau commandant qui devrait s’installer dans le cockpit d’une Air Mauritius qui s’impatiente pour reprendre son envol.
Au gouvernement, l’on affirme à qui veut l’entendre qu’Air Mauritius est au bord du gouffre et que la situation serait même pire que celle de 2020 qui avait mené son Board d’alors de la mettre sous administration volontaire pendant environ un an et demi.
Le 10 décembre dernier, au Parlement, lors de son intervention sur l’état de l’économie, le Premier ministre, Navin Ramgoolam, avait souligné que « conformément à la Companies Act 2001, Air Mauritius est considérée comme insolvable. Oui, insolvable ! Ils ont détruit de manière irresponsable notre fierté nationale. Insolvable ! »
À fin juin 2024, MK affichait un déficit accumulé de 331,1 millions d'euros (Rs 16,5 milliards), entraînant des capitaux propres négatifs de 208,8 millions d'euros (10,4 milliards de roupies). Le total des actifs de la compagnie s’élève à 658,5 millions d’euros (Rs 32,5 milliards). Les passifs totaux du groupe s’élèvent à 867,4 millions d’euros (Rs 42,8 milliards), soit 32 % de plus que le total des actifs. Les dettes à long terme, notamment les emprunts non courants de 477,7 millions d’euros (Rs 23,6 milliards), pèsent lourd sur la structure financière. À court terme, les engagements envers les fournisseurs (66,9 millions d’euro soit Rs 3,3 milliards)) et les obligations contractuelles (211,4 millions d’euros soit 10,4 milliards) soulignent l’urgence d’améliorer la trésorerie.
En dépit de son rôle vital pour le transport aérien dans l'océan Indien et pour le secteur touristique mauricien, la compagnie est confrontée à un ensemble de défis économiques et structurels majeurs. Accablée par cette dette colossale, une gestion complexe et des turbulences internes, Air Mauritius se trouve donc à un tournant décisif. L'année 2025 sera cruciale pour son avenir, avec l'arrivée d'un nouveau Conseil d'administration et d'un nouveau directeur général chargé de redresser cette entreprise en difficulté. Mais les perspectives sont incertaines, et la question se pose : Air Mauritius pourra-t-elle se relever de cette crise?
Au niveau du gouvernement, l’on souligne que ce n’est pas un choix. « Air Mauritius est vitale pour le pays. Un pays enclave comme le nôtre a besoin d’une compagnie nationale. La question est cependant sous quelle forme ? Doit-on accepter que la concurrence, dont Emirates, Turkish Airlines, et autres, continuent à manger dans son plat ou doit-on mieux la protéger ? Est-ce qu’Air Mauritius doit rester la propriété unique d’Airport Holdings Ltd (AHL) ou doit-on permettre à un partenaire stratégique d’entrer dans l’actionnariat ? Ce sont autant de questions qui se posent », affirme un membre du front bench du gouvernement.
Lorsqu’on parle de partenariat stratégique, certains géants du secteur ne se feront pas prier pour entrer dans l’actionnariat. Depuis des années, Ethiopian Airlines, par exemple, s’intéresse de près à Air Mauritius. Et au sein de ce gouvernement-ci, tout comme du précédent, certains ministres ne sont pas contre son entrée dans l’actionnariat d’Air Mauritius. Il se chuchote que d’autres géants des airs du genre Qatar Airways ou Emirates ne rechigneraient pas non plus à se rapprocher de la compagnie nationale.
L’ascension et la chute : Une compagnie fragilisée par une dette lourde
Air Mauritius a longtemps été une fierté nationale, symbole de l’excellence mauricienne dans le domaine de l'aviation et plus largement du tourisme. Fondée en 1967, la compagnie a su se développer pour devenir l’un des acteurs clés du transport aérien dans l’océan Indien, reliant Maurice aux grandes capitales du monde et jouant un rôle primordial dans le développement économique de l'île. En particulier, le tourisme, secteur majeur pour l'économie mauricienne, dépend largement de la connectivité aérienne assurée par Air Mauritius.
Cependant, la compagnie a connu des turbulences financières depuis plusieurs années. Des choix stratégiques malheureux, notamment dans le renouvellement de la flotte et la gestion des coûts opérationnels, ont commencé à peser sur la rentabilité d’Air Mauritius. Ces choix ont été exacerbés par une concurrence accrue de compagnies aériennes et une surcapacité sur certains segments du marché.
La vente d’avions sous l’administration volontaire et la location de vieux avions empêchent Air Mauritius de reprendre son envol alors que les vents sont pourtant favorables avec une forte reprise dans le secteur touristique et une envie croissante de Mauriciens de voyager.
Ces mauvais choix mènent depuis l’année dernière à l’annulation et de reports de centaines de vols avec des dizaines de millions de dédommagements aux passagers et de sérieux dégâts sur l’image de la compagnie.
« Quand on analyse les chiffres, définitivement on se dirige vers le crash. Des décisions fortes doivent être prises une fois pour toutes pour permettre à la compagnie et ses employés de retrouver la sérénité. Le potentiel est là, mais il faut pouvoir l’exploiter », assure un ancien haut cadre de la compagnie.
Aujourd’hui, malgré un plan de restructuration post-COVID-19 censé alléger le fardeau financier de la compagnie, Air Mauritius reste lourdement endettée, avec des dettes qui se chiffrent en milliards de roupies. Cette dette, contractée auprès d’institutions financières nationales et internationales, reste un fardeau majeur qui empêche la compagnie de se concentrer pleinement sur son développement et sa compétitivité.
Même si Air Mauritius refuse de reconnaître l’étude, la jugeant pas sérieuse, AirHelp, une entreprise qui facilite l'indemnisation des passagers en traitant les réclamations pour perturbations de vols et bagages perdus, classe Air Mauritius parmi les 10 pires compagnies aériennes au monde. Son analyse annuelle des meilleures et pires compagnies aériennes, publiée début décembre, classe Air Mauritius à la 101e place sur 109 compagnies aériennes avec une note de 4,84 sur 10.
Un nouveau Board et un nouveau CEO : l’espoir d’un renouveau
L’année 2025 se profile comme une étape décisive pour Air Mauritius. Un nouveau Conseil d’administration et un nouveau CEO seront chargés de redresser la compagnie, même si Charles Cartier reste accroché à son fauteuil de CEO. Ce changement de leadership devra relancer la compagnie, mais il intervient dans un contexte particulièrement difficile. Le défi sera immense, car la compagnie devra naviguer dans un environnement très concurrentiel et une situation financière particulièrement complexe.
Le rôle de la nouvelle équipe sera essentiel pour initier un plan de redressement efficace. La tâche ne sera pas facile, car il faudra non seulement résoudre les problèmes financiers d’Air Mauritius, mais aussi redéfinir sa stratégie commerciale, moderniser sa flotte, optimiser ses coûts et reconstruire la confiance des clients. L’un des enjeux principaux sera d’élaborer un plan cohérent et ambitieux qui permette de renouer avec la rentabilité tout en tenant compte des réalités du marché aérien mondial.
Le choix d’un nouveau CEO est crucial. La direction devra être capable de fédérer les équipes autour d’un projet commun et d’instaurer une nouvelle culture managériale axée sur la performance, l’innovation et la réduction des coûts. Il est également probable que le nouveau leadership devra opérer un grand nombre de changements au sein de l’organigramme de la compagnie afin de redonner un souffle nouveau à la gestion de la compagnie. Un des premiers objectifs sera de rétablir la confiance auprès des employés, des partenaires et des créanciers.
Les défis à relever
Finances, Gestion et Concurrence
Le redressement financier :
La dette et la rentabilité
Le premier défi majeur auquel le nouveau Conseil d’administration et le CEO devront s’attaquer est la question de la dette. Malgré le plan de restructuration de 2020, Air Mauritius reste lourdement endettée. La compagnie devra non seulement gérer la dette existante mais aussi trouver de nouvelles sources de financement pour soutenir ses activités. L’endettement est un handicap majeur dans un secteur où les marges bénéficiaires sont extrêmement serrées et où les fluctuations du prix du pétrole et les crises économiques mondiales peuvent rapidement impacter la rentabilité.
Pour redresser la situation financière, Air Mauritius devra également augmenter sa rentabilité. Cela passera par des réductions de coûts drastiques, mais aussi par l’optimisation de son réseau aérien. La compagnie pourrait explorer des opportunités de partenariats avec d'autres compagnies aériennes, voire une fusion ou une alliance stratégique avec des opérateurs régionaux ou internationaux. Cela permettrait de réduire certains coûts opérationnels et d’améliorer les capacités de la compagnie tout en accédant à de nouveaux marchés.
La modernisation de la flotte et de l'infrastructure
L’un des leviers essentiels du redressement réside dans la modernisation de la flotte d’avions. Si elle veut rester compétitive, Air Mauritius devra investir dans des avions plus économes en carburant, plus écologiques et plus adaptés aux besoins du marché. Plusieurs avions La modernisation de la flotte ne se limite pas à l’acquisition de nouveaux avions : elle implique également la mise à niveau des infrastructures au sol, comme les aéroports, les installations de maintenance, et les services aux passagers.
La réduction des coûts et l’amélioration de la gestion
La gestion d’Air Mauritius devra également être revue en profondeur. Des réformes sont nécessaires pour rationaliser les opérations et améliorer l'efficacité. Cela implique de réduire les coûts fixes et variables, et de réévaluer les dépenses opérationnelles à tous les niveaux. Le nouveau leadership devra également veiller à l’optimisation des processus internes et à une gestion plus rigoureuse des ressources humaines.
Un audit complet de la gestion interne et des pratiques commerciales de la compagnie serait une première étape cruciale. Cela permettrait d'identifier les inefficacités, les doublons et les opportunités de réorganisation. De plus, la mise en œuvre d’une culture d’entreprise basée sur la performance et la transparence pourrait aider à restaurer la confiance des employés et des partenaires externes.
La concurrence et le marché de l'aviation régionale
La concurrence représente un défi majeur pour Air Mauritius. Pour rester compétitive, Air Mauritius devra ajuster ses tarifs et ses services pour répondre aux attentes des consommateurs modernes. L’optimisation du réseau de destinations et l’amélioration de l’expérience client seront également des facteurs essentiels pour attirer de nouveaux passagers. La compagnie devra diversifier ses services, par exemple en proposant des services de fret ou en développant son offre sur les marchés émergents.
Les voyageurs locaux à la recherche de prix compétitifs
Air Mauritius, historiquement perçue comme la compagnie aérienne de choix pour les Mauriciens, fait face à une clientèle locale de plus en plus sensible au prix. Alors que le revenu disponible moyen des Mauriciens reste limité par rapport aux standards internationaux, le besoin de voyages abordables est plus pressant que jamais. Les tarifs promotionnels, ou pas, proposés par les compagnies internationales rendent Air Mauritius moins compétitive. Reste que les nombreuses annulations et retards ont instillé beaucoup de méfiance au sein du public mauricien. Un gros travail devra être fait pour restaurer la confiance.
Les voyageurs internationaux
Sur le marché touristique, les compagnies aériennes internationales jouent un rôle de plus en plus central. Grâce à des offres tarifaires agressives, des horaires flexibles et une grande diversité de destinations, elles parviennent à attirer une clientèle internationale venant en vacances à Maurice. Par exemple, Emirates et Turkish Airlines, avec leurs hubs de Dubaï et Istanbul, permettent à leurs passagers de rejoindre Maurice avec une escale rapide et des tarifs compétitifs, tout en offrant des services haut de gamme. Ces compagnies attirent donc non seulement les voyageurs transits, mais aussi une partie du marché touristique qui aurait traditionnellement opté pour Air Mauritius.
Charles Cartier : « Faire en sorte qu'Air Mauritius soit aussi un symbole de fierté nationale et d'inspiration »
Alors qu’Air Mauritius croule sous les critiques, l’actuel direction se la joue cool. Dans son message de fin d’année aux membres du personnel, le capitaine Sameer Baichoo, Chief Operations Officer (COO) d’Air Mauritius depuis mai dernier, se réjouit que « chacun d'entre vous a joué un rôle essentiel pour faire de cette année une véritable réussite ».
Charles Cartier, CEO, abonde, dans son message de fin d’année, dans le même sens. « Vos contributions, qu'elles soient dans les airs ou au sol, ont été essentielles pour garantir que nous offrons un service exceptionnel à nos passagers. Ce sont vos efforts collectifs qui continuent de perpétuer l'héritage d'Air Mauritius, en bâtissant confiance et fierté parmi nos clients et les communautés que nous servons », souligne-t-il. Et d’ajouter qu’ « ensemble, nous pouvons faire en sorte qu'Air Mauritius reste non seulement une compagnie aérienne mais aussi un symbole de fierté nationale et d'inspiration ».
Mais quid des challenges de l’année à venir, des réformes déjà apportées ou qui seront apportées, des couacs de 2024 voire même la stratégie d’avenir d’Air Mauritius. Les deux hommes forts de la compagnie ne l’abordent pas, du moins pas dans leur message de fin d’année aux employés.
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