
Depuis la réforme de 2017, la diplomatie économique, la promotion à l’international et l’attractivité des investissements ont été regroupées sous la houlette de l’Economic Development Board (EDB), placé sous la tutelle du ministère des Finances. Pendant ce temps, le secteur de l’exportation, représenté notamment par la MEXA, déplore un désintérêt grandissant. L’entretien qui suit entend confronter le nouveau ministre à ces critiques pour l’amener à clarifier sa position, à bousculer les lignes, et peut-être, à impulser une refondation en profondeur.
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Vous êtes arrivé au ministère de l’Industrie dans un contexte déjà fragilisé. Quelles sont les premières priorités que vous avez identifiées ?
La première urgence, à mes yeux, était de renouer le dialogue avec le secteur privé, contrairement à l’approche de l’ancien gouvernement, dont les décisions ont profondément déstabilisé le secteur. Dès ma nomination en tant que ministre de l’Industrie, des PME et des Coopératives, j’ai rencontré l’ensemble des parties prenantes : de la MEXA à l’AMM, en passant par la MCCI et Business Mauritius, entre autres, dans le but de les rassurer sur notre volonté de travailler main dans la main, tout en engageant les réformes nécessaires. Ma priorité est donc claire : relancer le processus d’industrialisation du pays, en particulier à travers une politique d’import-substitution, comme annoncé dans le programme gouvernemental. Ce redémarrage est essentiel pour restaurer notre souveraineté économique et renforcer notre résilience face aux chocs extérieurs.
Le secteur de l’exportation traverse une période difficile. Quel est votre constat personnel de la situation actuelle ?
Le secteur de l’exportation traverse une période critique. Si l’on regarde les chiffres, on voit clairement que notre base manufacturière s’est érodée. À titre d’exemple, en 2014, les exportations domestiques étaient de Rs 50,2 milliards. En 2023, elles sont restées à Rs 50,1 milliards, mais si l’on ajuste ces montants aux taux de change de 2014, nous verrons que la réalité est bien différente : elles ne représentent en effet que Rs 38,2 milliards. Ce qui démontre qu’en termes réels, nos exportations ont beaucoup reculé.
Sans la dépréciation de la roupie face au dollar, de nombreuses entreprises auraient déjà été contraintes de fermer leurs portes. Le nombre d’entreprises exportatrices est passé de 300 en 2014 à 229 en 2024, tandis que l’emploi dans le secteur manufacturier exportateur a chuté de 54 813 à 32 400. Cette dépréciation a masqué les fragilités du secteur et donné une illusion de stabilité.
Par ailleurs, les investissements directs étrangers (IDE) dans le secteur manufacturier ont connu un déclin sévère. En 2013, Rs 1,02 milliard étaient investies dans le secteur, mais en 2023, ce chiffre a chuté à seulement Rs 134 millions, représentant à peine 0,4 % du total des IDE du pays. Une telle diminution entrave non seulement l’expansion des entreprises existantes, mais freine aussi l’implantation de nouvelles unités manufacturières à fort potentiel d’exportation.
À cela s’ajoute le coût relativement élevé de la main-d’œuvre à Maurice, qui demeure nettement moins compétitif par rapport à des pays comme Madagascar ou le Bangladesh. Cela dit, nous ne pouvons pas rester les bras croisés. La situation nous impose d’agir afin de rétablir la compétitivité de ce secteur et d’en assurer la pérennité.
La proposition de la MEXA de créer un Export Development Council (EDC) sous l’égide de mon ministère mérite toute notre attention
Quelles sont les raisons profondes du recul des exportations mauriciennes ces dernières années ?
La situation actuelle met en lumière un déséquilibre institutionnel profond, symptôme d’une réforme administrative qui, en cherchant à tout centraliser, a fini par affaiblir l’efficacité de notre politique d’exportation. L’ambition initiale de rationalisation s’est malheureusement traduite par une perte de spécialisation, une dilution des responsabilités et, surtout, une désincarnation de notre stratégie industrielle.
Le secteur a ainsi perdu en réactivité, en agilité et en capacité d’adaptation face à un environnement international de plus en plus compétitif.
Vous faites sûrement allusion à l’Economic Development Board (EDB). Déçue du rôle de l’EDB, la MEXA demande que le ministère de l’Industrie reprenne le pilotage de la promotion des exportations. Est-ce une responsabilité que vous souhaitez — et pouvez — assumer pleinement ?
Avant 2017, le ministère de l’Industrie jouait un double rôle : il définissait la politique industrielle nationale tout en assurant la promotion active des exportations, à travers des agences spécialisées comme la MEDIA, la MIDA ou Enterprise Mauritius. Ce modèle permettait un pilotage ciblé et une proximité opérationnelle avec les réalités du secteur manufacturier. La création de l’Economic Development Board (EDB), placée sous l’autorité du ministère des Finances, a profondément modifié cet équilibre. En devenant le guichet unique pour la promotion économique — englobant investissements, exportations et innovation — l’EDB a absorbé les fonctions des anciennes agences. Toutefois, cette centralisation s’est souvent traduite par une perte de connexion avec le terrain, au profit d’une transversalité administrative plus théorique que réellement efficace.
Est-ce que la réforme de 2017, qui a transféré ces fonctions à l’EDB, a vidé votre ministère de sa substance stratégique ?
Plus de huit ans après cette réforme, les effets sont visibles et préoccupants. Je m’aligne sur la position de la MEXA qui rejette ouvertement le rôle de l’EDB dans la conduite de la stratégie d’exportation. Elle ne réclame pas une réforme de l’EDB, mais elle demande clairement que l’EDB cesse d’intervenir dans ce champ, et que la mission revienne au ministère de tutelle : celui de l’Industrie. Il nous faut donc recentraliser les responsabilités stratégiques liées à la politique industrielle et à la promotion des exportations au sein d’une structure dédiée, pilotée par le ministère de l’Industrie, pour garantir cohérence, efficacité et réactivité.
En absorbant des entités spécialisées, l’EDB a uniformisé les approches, au détriment des spécificités du secteur exportateur
Que répondez-vous à ceux qui estiment que l’EDB, trop chargé et trop éloigné du terrain, a échoué dans sa mission exportatrice ?
Le modèle de l’EDB illustre un paradoxe souvent rencontré dans les réformes de l’État : en cherchant à coordonner, on finit parfois par désorganiser, en raison d’une centralisation excessive. En absorbant des entités spécialisées, l’EDB a uniformisé les approches, au détriment des spécificités du secteur exportateur, qui nécessite au contraire des stratégies différenciées, une grande réactivité et une expertise de terrain pointue. Cette uniformisation a limité notre capacité à répondre efficacement aux défis propres à chaque segment de l’exportation.
Êtes-vous donc favorable à la création d’un Export Development Council sous la tutelle de votre ministère ? Si oui, comment envisagez-vous de le rendre opérationnel ?
Je considère que la proposition d’instaurer un Export Development Council (EDC) sous l’égide du ministère de l’Industrie mérite toute notre attention. Il ne s’agirait pas d’un simple organe consultatif, mais d’un véritable outil stratégique et opérationnel, permettant notamment de rétablir un pilotage sectoriel ciblé, recentré sur les enjeux essentiels que sont la production, l’innovation, la compétitivité et la diplomatie économique. La nouvelle entité devra impérativement être composée des stakeholders du secteur privé, en raison de leur expérience, ainsi que des autorités publiques. Cela garantirait non seulement un dialogue constructif, mais aussi une meilleure coordination. L’EDC renforcerait ainsi notre capacité à anticiper et à nous adapter aux évolutions rapides du commerce international, qu’il s’agisse des normes environnementales, sociales et de gouvernance (ESG), de la digitalisation ou encore du développement des chaînes de valeur africaines.
Quelles sont aujourd’hui vos marges de manœuvre concrètes pour agir ? Et quels sont les freins institutionnels qui vous empêchent d’aller plus loin ?
Je ne plaide pas pour un simple rafistolage du système actuel. Ce dont nous avons besoin, c’est d’un véritable changement de gouvernance, avec une réhabilitation claire du ministère de l’Industrie en tant qu’acteur central de la politique exportatrice. Il ne s’agit pas de démanteler l’EDB, mais de lui retirer les missions qu’il n’est pas en mesure d’assumer efficacement afin de permettre à chaque institution de jouer pleinement son rôle.
Je ne suis pas ici pour gérer l’existant, mais pour impulser un changement profond, structurant
Quelle place accordez-vous à l’écoute du secteur privé dans l’élaboration de votre politique industrielle ? Est-elle suffisamment structurée ?
J’accorde une importance majeure à la collaboration entre le secteur public et le secteur privé, car je suis convaincu que c’est à travers un dialogue constructif, ouvert et permanent que nous pourrons élaborer des politiques industrielles efficaces, ancrées dans les réalités du terrain. L’idéal serait, comme je vous l’ai dit, de mettre en place un partenariat public-privé structuré, mais différent du modèle actuel de l’EDB. Il faut un organisme spécialisé, capable de concevoir des stratégies adaptées aux spécificités du secteur industriel, avec une vision claire et des moyens ciblés. Une approche orientée vers les résultats, avec des indicateurs de performance (KPI) bien définis. La mise en place d’une matrice de performance dédiée à la promotion industrielle permettrait d’évaluer concrètement les retombées des politiques : création d’emplois, croissance des exportations, développement technologique, entre autres.
Nous pouvons nous inspirer de bonnes pratiques internationales, comme Enterprise Singapore, le MIDA en Malaisie, la DTIC en Afrique du Sud ou encore la KTIPA en Corée du Sud. Ces entités relèvent de leurs ministères de tutelle, à savoir ceux de l’Industrie. Cela garantirait une continuité des politiques industrielles, au-delà des cycles budgétaires et des changements de gouvernance. Car, soyons lucides : ces 10 dernières années sous le MSM, les résultats ont été quasi inexistants. Poursuivre dans la même direction représenterait un risque réel pour l’avenir de notre base industrielle.
Qu’est-ce qui vous empêche de convoquer une vraie réunion de crise avec les industriels, l’EDB et les autres ministères pour poser les bases d’un nouveau pacte industriel ?
C’est précisément ce que nous avons commencé à faire dès ma prise de fonction en novembre 2024. J’ai rencontré les acteurs clés du secteur privé, car il était essentiel pour moi de dresser un état des lieux réaliste de l’environnement des affaires afin de poser les bases nécessaires à la prospérité de nos entreprises. C’est dans cette même optique que nous avons organisé, en février dernier, les Assises de l’Industrie 2025 : un événement qui a permis de dresser un premier diagnostic tout en proposant des mesures concrètes pour garantir la viabilité du secteur à long terme. Le prochain Budget déterminera maintenant la marche à suivre, et nous convoquerons une nouvelle réunion si nécessaire.
Êtes-vous prêt à porter, dans le cadre du prochain Budget, une demande formelle de réallocation de moyens pour votre ministère ?
Dans le cadre du prochain Budget, un dialogue politique sera engagé, où je compte présenter et défendre cette nouvelle stratégie. Je veillerai à ce que les besoins de mon ministère soient clairement exposés afin d’obtenir une réallocation des moyens nécessaire pour soutenir efficacement nos priorités.
Enfin, que souhaitez-vous qu’on retienne de votre passage à ce ministère ? Êtes-vous là pour gérer l’existant ou pour provoquer un changement profond ?
Dans un monde aussi dynamique que le nôtre, le statu quo n’est tout simplement pas une option. Les règles du jeu évoluent rapidement, qu’il s’agisse des nouvelles barrières tarifaires imposées par des puissances économiques comme les États-Unis, ou des bouleversements technologiques liés à l’intelligence artificielle. Face à ces transformations, nous avons l’obligation de nous remettre en question. Je ne suis pas ici pour gérer l’existant, mais pour impulser un changement profond, structurant, qui permettra à notre industrie de retrouver sa compétitivité, sa résilience et sa capacité à créer de la valeur ajoutée pour le pays. Si nous restons passifs comme ces 10 dernières années, nous savons à quoi nous attendre. Mais si nous agissons avec lucidité, courage et ambition, nous pouvons sans doute écrire une nouvelle page de notre développement industriel.
Être un bon ministre aujourd’hui, est-ce suivre la ligne ou parfois la bousculer ?
Être un bon ministre, c’est avant tout savoir travailler en équipe dans l’intérêt du pays, et non rechercher le sensationnalisme politique. D’ailleurs, si vous avez suivi mon parcours, vous constaterez que cela ne fait pas partie de mon ADN. Je suis en contact régulier avec le Deputy Prime Minister, et je rencontre le Premier ministre chaque vendredi dans nos réunions de cabinet. Pour une première expérience ministérielle, je dois dire que je me sens libre de m’exprimer, de faire entendre mes convictions et de défendre nos priorités. Il ne s’agit certainement pas de bousculer la ligne, mais bien de contribuer activement au débat gouvernemental, avec loyauté et un profond sens des responsabilités.

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