Live News

Xavier-Luc Duval : «Les Mauriciens ne doivent pas perdre leur capacité de s’indigner»

Le leader de l’opposition explique les priorités et la philosophie de l’alliance PTr/MMM/PMSD. Il est convaincu que les élections générales auront lieu dans les premiers mois de 2024. Il dénonce aussi la politique économique du gouvernement qui consiste à stimuler l’inflation. Ce qui fait entrer davantage d’argent dans les caisses du gouvernement à travers les taxes. Il ajoute que les emprunts plongent le pays dans la spirale de la dette.

Que faut-il retenir de 2023 ?
Je retiens surtout que c’était encore plus l’année de l’exode des Mauriciens. Ces derniers désirent aujourd’hui quitter Maurice en masse. Il y a des parents qui veulent partir pour donner un meilleur avenir, une meilleure éducation et de meilleurs espoirs à leurs enfants. Il y a aussi des jeunes qui fuient le pays pour des raisons économiques, sociales, culturelles... On voit même des fonctionnaires, gradués, des artisans et des employés de la finance partir. 

Publicité

Ce qui montre que toutes les catégories de citoyens ont perdu espoir dans le pays. Les choses peuvent parfois être plus difficiles dans un pays, mais quand on a l’espoir que les choses peuvent s’améliorer, on ne prend pas l’avion pour partir. Nous en sommes à un niveau aujourd’hui où, malheureusement, les gens ont perdu de cet espoir si vital pour la bonne marche d’une République. Il y a tant d’autres choses à retenir, dont l’érosion de la démocratie.

Peut-on renverser la vapeur ?
Je suis, moi-même, retourné à Maurice en 1986, car le pays présentait alors de grandes opportunités. Il faut qu’on puisse retourner à cette situation qui fait que les gens reviennent. Mais, pour atteindre cet objectif, il faut de la compétence, éliminer la corruption et le je-m’en-foutisme.

Quels sont les grands combats et priorités de l’alliance PTr/MMM/PMSD pour 2024 ?
Nous savons tous que 2024 sera l’année des élections générales. Le gouvernement a déjà fait beaucoup de cadeaux ces derniers temps et ceux-ci sont en train d’être rattrapés par l’inflation. On peut déduire que le gouvernement ne peut pas trop attendre avant de rappeler la population aux urnes. Il faut s’attendre à des élections tôt en 2024. 

La priorité de notre alliance est de faire plébisciter un programme digne de ce nom. Il va proposer un vaste chantier législatif, institutionnel et administratif. L’objectif est de tourner une nouvelle page de l’histoire de Maurice. 

Les élections se remportent dans les circonscriptions. Le travail sur le terrain a déjà commencé et s’accentuera jour après jour. Nous-mêmes, au Parti mauricien social-démocrate (PMSD), on démarre la semaine prochaine notre organisation pour les élections générales. Il faut un programme novateur et audacieux que plébiscitera la population. Mais encore une fois, le travail se fera surtout dans les circonscriptions.

Pourtant le Premier ministre, Pravind Jugnauth, a dit, dans son intervention pour le Nouvel An, qu’il compte aller jusqu’à la fin de son mandat, voire au-delà...
Le grand avantage d’un gouvernement est qu’il sait quand il fera les élections et peut s’organiser, dans le dos de l’opposition et de la population. Je pense d’ailleurs que c’est antidémocratique de donner quatre semaines de préavis seulement avant les élections. Je pense que dans une démocratie, il faut au moins un préavis de deux mois avant la tenue des élections. Ce qui permet de se préparer. Dans de nombreux pays, la date des élections est fixée bien à l’avance. 

Quels sont les principaux points d’attaque de l’opposition face au gouvernement ?
Nous voulons redonner l’espoir en une Ile Maurice qui peut redevenir un État de droit et un État démocratique. Il faut revoir la loi sur la corruption, faire que les résultats des examens et les universités soient meilleurs. 

Maurice ne doit plus être un pays où des diplômés commencent à travailler à Rs 20 000 pour des boulots qui sont rémunérés quatre à cinq fois plus à l’étranger. Il faut un plan d’action et des études sérieuses. 

Le sondage de Synthèses dit que 82,4 % des travailleurs trouvent que le coût de la vie, l’inflation, la perte du pouvoir d’achat sont leurs préoccupations majeures. 42 % sont d’avis que la drogue est le problème principal dans le pays. Ce sont des chiffres choquants. On veut proposer des solutions aux problèmes des Mauriciens. On va formuler des propositions crédibles et sincères. Je pense à la charge provisoire qui est un abus. Nous avons les solutions et les compétences nécessaires pour redresser le pays.

Est-ce que l’opposition parlementaire entamera une procédure en justice contre la Financial Crimes Commission Act ?
Nous avons étudié la question. Un panel d’avocats a été mis en place pour se pencher sur la question. Valeur du jour, on pense que seul le Directeur des poursuites publiques (DPP) a le locus standi pour loger une affaire devant la justice. À Maurice, on ne peut poursuivre si on n’est pas directement concerné par une loi. Avec la FCC Act, adoptée durant les derniers jours de 2023, ce sont les pouvoirs du DPP qui sont directement attaqués. C’est au DPP, dans son indépendance de décider de la marche qu’il va suivre. Nous avons pris l’engagement d’abroger cette loi.

En 2023, il a été beaucoup question de nominations aux postes constitutionnels et au niveau des organismes, des compagnies d’État et des corps parapublics. Si vous formez un gouvernement, qu’allez-vous faire différemment ?
Ce qui est absolument nécessaire, c’est que les institutions soient indépendantes et qu’elles aient des gens compétents à leur tête. On ne peut plus continuer ainsi. Il faut des garde-fous, des checks and balances et être redevable. Certains veulent des select committees, d’autres une commission à la seychelloise. On va trancher sur ce point plus tard. Il s’agit d’avoir une structure avec des gens nommés de manière indépendante. Ce gouvernement a créé beaucoup de compagnies et de corps parapublics. Ceux-ci ont un impact direct sur la vie des gens, mais ils ne répondent qu’au pouvoir en place. Il faut des gens compétents et qui soient aussi redevables à l’Assemblée nationale. Dans tous les pays au monde, les responsables sont redevables envers leur Assemblée nationale. Ici, on paie des millions à des gens qui font ce qu’ils veulent sans que la population soit au courant de ce qui se passe.

Le Premier ministre a indiqué il y a quelques mois qu’il compte venir avec un texte de loi sur le financement politique et sur la réforme électorale. Étant donné qu’il a besoin d’une majorité de trois quarts l’Assemblée nationale pour faire adopter un tel projet de loi, est-ce un exercice voué à l’échec ?
Les institutions du pays sont arrivées au plus bas niveau en ce qu’il s’agit de l’indépendance, de la compétence et de la bonne gouvernance. On se dirige tout droit vers une autocratie dans laquelle tout est contrôlé par le gouvernement. Personne n’a plus confiance dans les institutions. On sait que lorsqu’un ministre est impliqué dans une affaire louche, il n’y aura pas d’enquête digne de ce nom. Ce sont des choses que nous avons vues ces dernières années. Dans ce contexte, quand on parle de financement politique, qui va surveiller ? Est-ce que je vais devoir donner les comptes du PMSD au Mouvement socialiste militant à travers une institution bananière ? Par rapport à la réforme électorale, il y a des choses qui peuvent se faire très vite, dont une meilleure représentation féminine. Ce qui nous permettra au moins de faire un pas en avant. Gardons le financement politique qui est plus complexe pour plus tard. Le souci avec ce gouvernement est qu’il mêle des choses inacceptables à d’autres réformes sur lesquelles tout le monde s’entend. Lorsqu’on n’est pas d’accord, à cause de ces éléments qui sont inacceptables, ils disent que nous sommes contre les réformes. 

Est-ce que cette alliance à trois est au complet ou peut-il aussi y avoir des partenaires venant de l’opposition extraparlementaire ?
Il n’y a pas de raison pour qu’il n’y ait pas d’autres personnes dans cette alliance, mais à des conditions mutuellement acceptables. Il n’y a pas d’a priori. On peut s’arrêter à trois, mais on peut être plus aussi. Tout dépend de la bonne volonté de tout un chacun.

Le gouvernement accuse l’opposition d’avoir comme seul agenda de vouloir renverser Pravind Jugnauth. Comment réagissez-vous à un tel propos ?
Notre souci n’est pas Pravind Jugnauth, mais le pays, l’état du pays et la direction dans laquelle va le pays. Malheureusement, le Premier ministre a tous les pouvoirs et tient toutes les manettes. C’est un fait que tout est contrôlé par le bureau du Premier ministre aujourd’hui et beaucoup plus qu’auparavant.

On constate que le gouvernement fait beaucoup de cadeaux ces temps-ci. Comment lutter face à ces largesses destinées à séduire l’électorat ?
Personnellement, je crois que les gens réalisent que ces cadeaux ont une date de péremption. L’inflation va rapidement rattraper tout ça. Le gouvernement joue sur les money illusions. Elles font croire que les gens ont plus d’argent en poche alors qu’en réalité, ils peuvent acheter moins qu’avant. La richesse ne se crée pas par l’inflation et la dévaluation de la roupie. Aujourd’hui, le gouvernement prend en charge une bonne partie des salaires du privé. Car il réalise que la richesse qu’il a créée provient de l’inflation, meilleur ami de ce ministre des Finances. C’est ce qui sert à financer tout ça. Ce n’est pas une richesse créée par plus de créativité, plus de produits mauriciens et plus d’innovation. Ces centaines de milliards de roupies qui se trouvent dans les caisses du gouvernement servent à créer une illusion de la richesse qui est passagère. Vous rendez vous compte que Rs 62 milliards, dont une partie provient de la Contribution sociale généralisée, les lourdes taxes sur l’essence qui est très chère et la TVA sur des produits devenus plus chers, entrent dans le Consolidated Fund en 2023/24. À cela, il faut ajouter Rs 158 milliards de la Banque de Maurice dont une partie a été donnée à la Mauritius Investment Corportation et le reste est entré directement dans les coffres du gouvernement. La preuve est que le Produit intérieur brut (PIB) en terme réel a tout juste retrouvé son niveau pré-covid-19. Si le PIB avait dépassé ce niveau, ça aurait expliqué qu’on a autant de milliards en plus. C’est tracassant. Il y a des pays qui ont comme bataille principale la lutte contre l’inflation, car c’est une taxe ciblant principalement les pauvres. Le problème lorsqu’on joue avec l’inflation est qu’elle peut s’installer dans la durée, voire s’accentuer pour entrer dans l’hyperinflation. À Maurice, le gouvernement se sert de l’inflation pour multiplier de façon exponentielle ses recettes.

Est-ce qu’un éventuel gouvernement PTr/MMM/PMSD reverra certaines de ces mesures qui sont coûteuses pour l’économie mauricienne ?
Ce qui est choquant, c’est que cet argent donné par le gouvernement, tout le monde le reçoit, peu importe le niveau des salaires. Pourquoi est-ce que le contribuable mauricien doit financer une partie des salaires d’un employé qui travaille dans une grosse boîte qui fait des profits par milliards ? Le gouvernement se comporte comme ci il a tellement de l’argent qu’il ne sait plus quoi en faire. Par contre, il tient en haleine les retraités de 60 à 74 ans. Ce qu’il faut revoir, c’est le fonctionnement de l’État, l’efficience des ressources humaines, la qualité des équipements et des infrastructures, les mesures d’incitation à la productivité, l’arrêt du gaspillage et des mauvaises décisions. Dans un pays qui se respecte, un gouvernement réduit ses dépenses inutiles et farfelues et œuvre pour un meilleur système social. Mais, on n’a vu aucun effort en ce sens. Il faut un meilleur contrôle et de l’efficience. On paie énormément d’impôts. On a un système éducatif en décrépitude, des problèmes sanitaires et d’organisation dans les hôpitaux. On a des centaines de morts sur les routes. On n’a pas de trottoirs. On a une police qui saute sur les faibles, mais a peur des trafiquants et de la mafia. On se demande ce qu’on fait de notre argent, à part construire des bâtiments et des ponts. Nous comptons améliorer les mesures sociales. On souhaite que tout le monde ait une meilleure dotation budgétaire, mais grâce à une économie qui soit saine et qui va bien.

Le PMSD est le seul parti qui n’est pas intervenu sur la motion sur le rapport du redécoupage électoral de l’Electoral Boundaries Commission. Pourquoi ? 
Est-ce que vous trouvez normal, dans une démocratie, que les quatre derniers à prendre la parole à l’Assemblée étaient Ivan Collendavelloo, qui n’est même pas un ministre, Alan Ganoo, Steven Obeegadoo et Pravind Jugnauth ? La dernière journée était réservée aux intervenants du gouvernement alors que le leader de l’opposition allait devoir intervenir tard dans la soirée la veille. C’est du jamais vu. 
Les Mauriciens ne doivent pas perdre leur capacité de s’indigner. Comment peut-on prétendre être démocrate et agir de la sorte. On est dans une situation où tout est fait pour détruire la raison d’être de l’Assemblée nationale. Les expulsions et suspensions sont devenues monnaie courante. Les députés de l’opposition n’ont souvent plus le droit de poser des questions supplémentaires. La tranche réservée aux Questions au Premier ministre est devenue un monologue de ce dernier. Concernant la Private Notice Question, les bullying tactics du Speaker ainsi que son comportement désagréable et inacceptable envers l’opposition choquent les gens.

fbcomm
 

Notre service WhatsApp. Vous êtes témoins d`un événement d`actualité ou d`une scène insolite? Envoyez-nous vos photos ou vidéos sur le 5 259 82 00 !