
Sans cautionner la violence, l’ancien commissaire des prisons Vinod Appadoo – qui a également dirigé le GIPM et l’Adsu – dresse un constat sans détour : sans l’intervention des soldats de la SMF et de la SSU, la prison de haute sécurité de Melrose serait tombée aux mains des détenus, le 17 juillet dernier.
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Vous aviez été commissaire des prisons (CP) après une longue carrière dans la force policière : 42 ans dans la police et 4 ans en tant que CP. Quelle est votre opinion sur les incidents survenus à la prison de haute sécurité de Melrose, le 17 juillet dernier ?
J’ai pris connaissance des déclarations du commissaire des prisons, Dev Jokhoo, et du Premier ministre au Parlement, à la suite de la Private Notice Question (PNQ) du leader de l’opposition concernant les incidents survenus à la prison de haute sécurité de Melrose, le jeudi 17 juillet dernier. Quand on fait la demande pour avoir d’autres forces que celle de la Correctional and Emergency Response Team (CERT), qui est basée au sein de la prison, c’est qu’il y a d’abord urgence et qu’il faut prévenir toute mutinerie de la part des détenus. Là, il faut gagner du temps.
L’argent est la clé de tout dans l’univers carcéral»
Fallait-il obligatoirement faire appel aux soldats de la Special Mobile Force (SMF) et aux éléments de la Special Supporting Unit (SSU) pour mater les prisonniers ?
Avant de répondre à cette question, laissez-moi vous donner un aperçu de ce qui se passe quand il y a des troubles dans les prisons. En 1979, j’étais affecté au GIPM (Groupement d’intervention de la police mauricienne). Il y avait une mutinerie à la prison centrale de Beau-Bassin, les prisonniers avaient pris le contrôle de toute la prison : les clés des dortoirs et des cellules, de la cuisine, du « store »… Cela a duré toute une semaine. Il n’y avait pas d’autorité pour réagir et le GIPM a dû intervenir sans brutalité, mais avec force.
Après ces incidents, une équipe de la SMF venait tous les jours prêter main-forte à la prison de Beau-Bassin. Parfois, j’en faisais partie. Avant de devenir commissaire des prisons, j’avais déjà une notion du monde carcéral.
Idem en 2020, quand des gardiens avaient été faits prisonniers par des détenus à l’intérieur de la prison de Beau-Bassin. Ils s’étaient réfugiés dans une salle de classe de la prison et les prisonniers voulaient défoncer la porte d’accès. On était entrés de justesse en groupe et rien que notre présence avait calmé les esprits, et pas eu besoin de brutalité.
J’ai toujours dit que notre métier d’intervention ne nécessitait pas de violence, notre présence en nombre était suffisamment dissuasive. Cette culture de ‘la main leste’ d’avant, il faut l’oublier.
Dev Jokhoo a fait un bon travail et a pris la bonne décision en demandant du renfort de l’extérieur, de la SMF et de la SSU. S’il avait tardé à prendre une telle décision, cela aurait pu dégénérer à l’intérieur de la prison de Melrose. Car, si on donne du temps aux détenus de s’organiser à l’intérieur, ce sera trop tard pour les ramener à l’ordre. Il y aurait eu beaucoup de dégâts ; il vous faut alors quelqu’un d’expérience.
Si les prisonniers disent qu’ils ont été battus, même si ce n’est pas aussi brutalement qu’ils l’attestent, il y aurait peut-être une part de vérité»
Oui, mais de là à utiliser la force comme le prétendent les détenus qui disent avoir reçu des coups de tonfa ? Le commissaire des prisons avance, lui, que c’était une guerre entre clans à coups de bâtons de serpillères. Qui dit vrai ?
Si les prisonniers disent qu’ils ont été battus, même si ce n’est pas aussi brutalement qu’ils l’attestent, il y aurait peut-être une part de vérité. Il y a un problème avec les Junior Ranks au niveau des interventions. Quand ils interviennent, les Junior Ranks abusent de leur pouvoir, tout comme les prisonniers quand ils sont en groupe, et c’est ce qui s’est probablement passé à Melrose.
C’est triste pour Dev Jokhoo, qui vient tout juste de prendre ses fonctions comme commissaire des prisons, avec un mauvais début. À l’intérieur de la prison de Melrose, avec l’entrée des soldats de la SMF et de la SSU, il y a eu un manque de coordination et de commandement ; chacun faisait comme il le voulait. Là, il vous faut avoir quelqu’un qui a du « guts ».
Pourquoi la SMF et la SSU ont aussi pénétré dans la prison ?
Selon les informations disponibles, la CERT est intervenue, car il y avait un officier retenu en otage, et après, les éléments de la SMF et de la SSU sont intervenus. La situation était hors de contrôle, faute de commandement, je le répète.
Sans l’intervention de la SMF et de la SSU, aidées par la CERT, la prison de Melrose aurait été sous le contrôle des détenus.
La situation était hors de contrôle à Melrose faute de commandement»
La guerre des gangs : pourquoi pas la ségrégation de ces groupes dans des yards pour qu’ils ne se déchirent pas entre eux ?
Les gangs savent qu’ils doivent vivre ensemble, confinés, sans liberté de mener une vie normale. La prison n’est pas un champ de bataille, mais de temps en temps, il y a des frictions. Ce que j’avais fait, c’est casser les différents gangs et les éparpiller dans différents yards. Il faut que cela continue.
Il semble que quand un commissaire des prisons quitte ses fonctions à la prison, ses ordres établis sont bafoués, comme si c’était du passé. Il faut évoluer, mais avec la discipline qu’on a déjà imposée.
Il y a toujours eu des fouilles dans les prisons. Comment des objets illicites comme de la drogue, des portables, des chargeurs et autres se retrouvent-ils en possession des prisonniers ? Y aurait-il une complicité de certains gardiens ?
Bien sûr que les produits illicites qui entrent dans nos prisons le sont à partir de la complicité de quelques gardiens, sinon comment auraient-ils atterri dans les cellules ? Moi, comme commissaire des prisons, je me faisais fouiller à chaque fois que j’entrais dans la prison, comme le veut le protocole.
Les prisonniers ou ceux en ‘remand’ doivent travailler pour payer leurs frais d’hébergement et de nourriture»
Ailleurs, comme à Singapour ou en France, les gardiens sont bien rémunérés pour qu’ils ne soient pas tentés d’être corrompus pour arrondir leurs fins de mois. Pourquoi pas à Maurice, en demandant au Pay Research Bureau de faire le nécessaire ?
Même si on augmente les conditions salariales des gardiens, il y aura toujours des corrompus et des brebis galeuses parmi. Même la cigarette était devenue monnaie d’échange, car l’argent est la clé de tout dans l’univers carcéral.
Soyez plus explicite…
Je vous donne un exemple : un détenu, baron de la drogue qui brasse des centaines de millions, propose à un gardien de lui apporter un portable ou de la drogue contre Rs 100 000 ou plus en cash, payées à travers la famille. Vous croyez que ce n’est pas tentant pour lui ?
Un autre exemple, toujours à la prison de Beau-Bassin : on a fait fouiller un gardien sur lequel pesaient des soupçons. Savez-vous ce qu’on a découvert dans ses parties intimes ? Deux boules de drogue dure. Lorsqu’on a demandé à la police d’effectuer une fouille chez lui en sa présence, savez-vous ce que sa femme lui a dit ? « Si tu avais besoin d’argent, tu aurais pu me le dire, je me serais prostituée. »
Justement, concernant la drogue, elle gagne du terrain en prison comme ailleurs dans le pays. Pourtant, l’État fait des efforts avec la création de la National Agency for Drug Control (NADC), en remplacement de la NATReSA (National Agency for the Treatment and Rehabilitation of Substance Abusers)…
Que ce soit la NATReSA ou la NADC nouvellement créée, c’est du gaspillage des fonds publics. Qu’ont fait tous ceux qui ne cessent de crier, de parler et de dire qu’ils combattent la drogue depuis tant d’années ? Résultat : la drogue continue de plus belle de gangréner notre société. Si vraiment ces combattants des barons de la drogue avaient réussi dans leur mission, on n’aurait pas eu autant de drogue à Maurice. Je le répète : c’est du gaspillage d’argent public.
Attendons de voir dans cinq ans. Écoutez leurs interventions, c’est du cut and paste par ces mêmes personnes depuis des années. Ce travail doit se faire à la maison, à l’école et sur le terrain.
Je ne voudrais pas critiquer tout le rapport Lam Shang Leen sur la drogue, mais démanteler l’Anti-Drug and Smuggling Unit (Adsu) n’est pas une bonne décision. Allez dans les cours de justice et vous verrez le travail colossal qu’abattent les officiers de l’Adsu. Et cela, ce sont des faits et des résultats. Quand j’ai quitté la prison, 85 % du rapport sur les prisons avait été mis en place, sauf qu’il fallait amender la loi.
Que ce soit la NATReSA ou la NADC nouvellement créée, c’est du gaspillage des fonds publics»
Le trafic au sein des prisons devient de plus en plus sophistiqué : des drones sont utilisés pour lâcher de la drogue et d’autres objets dans l’enceinte des prisons. Les gardiens dans la tour, censés être des « snipers », ne devraient-ils pas les voir ou les entendre, surtout la nuit, et les détruire ?
J’ai été le premier à apporter des drones à la prison centrale pour une surveillance serrée des yards et ailleurs. Il existe des équipements hautement sophistiqués qui, si installés dans les quatre coins d’une prison, empêchent les drones externes de pouvoir pénétrer la zone de la prison. Malheureusement, cela coûte cher. C’est une repelling technology.
Pour pallier cela, j’ai introduit deux scanners à la prison centrale, qui permettent de voir à l’intérieur des corps tout objet suspect. C’est comme à l’aéroport pour les valises : rien n’échappe aux images des scanners, rien. Mais il faut mettre ces équipements en valeur, sinon c’est peine perdue.
On a découvert des portables à la prison de Melrose de la taille d’un briquet, comme cela avait été le cas avec Gro Derek et son Samsung Galaxy Z Flip. Comment y remédier sans des équipements technologiques performants au sein de l’administration pénitentiaire ?
(Il nous montre le fameux portable avec un fil servant de chargeur.) Vous voyez sa petite taille ? C’est cela sa spécificité, car il est gros comme un briquet et est facilement introduit dans les parties intimes. Il prend des charges électriques et possède même une caméra intégrée. Donc, la communication passe avec le monde extérieur et les transactions illicites se font aussi.
Si on ne marche pas avec son temps et la technologie, ce sera un désastre dans nos prisons.
Si vous étiez encore commissaire des prisons, quelles seraient vos priorités et vos recommandations, hormis votre réussite d’avoir interdit les cigarettes aux prisonniers ?
Arrêter la méthadone en prison. On ne peut fauter dans la société et réclamer tous les privilèges comme quand on était libre à l’extérieur.
Pour cette histoire de cigarettes, c’est triste de le dire, mais cet épisode m’a marqué et m’a poussé à interdire les cigarettes dans les prisons. Un jeune homme de 18 ans est condamné pour un délit. Les autres prisonniers lui ont offert des cigarettes sans qu’il sache qu’il devait les rembourser en cash. Et comme il ne pouvait pas le faire, ils se sont mis à quatre pour l’agresser sexuellement.
Après cela, j’ai agi avec fermeté : plus de cigarettes, qui sont maintenant considérées comme des objets de contrebande, si on vous attrape avec des clopes. Je dois dire que j’ai été très critiqué pour avoir pris cette décision.
Aussi, j’ai fait en sorte que la prison devienne autosuffisante en pains, œufs, poulets sur pattes et épices. Sans oublier le rain harvesting dans toutes les prisons. Mon parcours comme policier et commissaire des prisons n’aurait pas été auréolé sans le soutien de ma femme Diva et de ma fille Nishna.
Un message, un conseil à Dev Jokhoo ?
Il y a des clans parmi les hauts placés dans nos prisons, ils veulent tous être bien vus par le commissaire des prisons en place. Et certains de ces hauts gradés de la prison ne visitent pas physiquement les prisons, à moins d’être accompagnés de gardiens. Alors, je dis à Dev Jokhoo de bien se méfier et de bien s’entourer de cadres sérieux.
Autre chose que j’aurais faite : les prisonniers ou ceux en remand doivent travailler pour payer leurs frais d’hébergement et de nourriture.

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