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Vassen Kauppaymuthoo : « Port-Louis sera inhabitable dans les années à venir »

Les zones côtières risquent de devenir inhabitables. Une relocalisation doit être prévue pour les régions les plus à risque, selon Vassen Kauppaymuthoo, ingénieur en environnement et océanographe. 

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Les Mauritius Meteorological Services (MMS) sont vivement critiqués pour leurs prévisions considérées comme étant « approximatives ». Qu’en pensez-vous ?
D’après la définition du mot « prévision », les bulletins des MMS sont basés sur des observations et des modèles numériques. C’est pour cela que, souvent, les modèles, ou les cartes concernant la trajectoire ou la position des cyclones, comportent une large marge, qui signifie que le cyclone peut bouger dans une direction ou une autre. 
Le cyclone tropical Fantala a fait deux allers-retours sur une ligne droite en avril 2016. C’est quelque chose que les météorologues ou les modèles numériques disponibles – Global Forecast System (GFS), European Centre for Medium-Range Weather Forecasts (ECMWF), Icosahedral Nonhydrostatic (ICON) – et autres n’auraient pas pu prédire. Ce qui veut dire que même avec les modèles les plus poussés, les prévisions météorologiques ne sont pas des certitudes. 

Il faut aussi se rendre compte, aujourd’hui, que l’ordinateur le plus puissant au monde ne peut pas calculer la formation et la dissipation des nuages, tant c’est complexe. L’atmosphère est comme un fluide. Il y a beaucoup d’interactions avec la terre, les polluants et les particules en suspension, entre autres. C’est une science tellement complexe qu’il y a une certaine incertitude. 

Il faut un manuel de procédures d’urgence afin que chaque Mauricien puisse savoir quoi faire exactement à chaque situation météorologique »

Qu’en est-il de l’interpré-tation des données atmos-phériques et des indications des divers instruments de mesure ?
Il y a différents outils pour faire des prévisions, tels les radars pour des prévisions à court terme, des images satellites pour les prévisions à long terme et les modèles numériques qui permettent de prévoir dans le long terme ce qu’il risque de se passer au niveau de l’atmosphère. 

Lors de la préparation des prévisions, il faut aussi prendre en considération que les choses évoluent beaucoup plus vite qu’avant. Il y a, par exemple, des cellules de convection avec des orages qui peuvent se former très rapidement et engendrer une pluie torrentielle localisée et disparaître dans quelque temps. Ainsi, les prévisions de la météo restent des « prévisions ».

Les météorologistes sont des personnes très qualifiées. Ils se servent de systèmes qu’ils ont sous la main, mais il y a aussi l’élément humain. Ce n’est pas le système qui va dire ce qu’il va se passer, ce sont les humains qui vont interpréter toutes ces différentes données et qui donnent un diagnostic. Cependant, les choses changent tellement rapidement qu’un diagnostic peut ne plus être valide une heure après. 

Le souci, c’est que le diagnostic fait par un météorologiste passe par une hiérarchie et diverses instances avant d’être diffusé. Le temps de ce cheminement administratif fait que la prévision peut ne plus être valable à sa diffusion. 

J’estime qu’il y a une complexité au niveau des MMS qu’il faut régler, car les prévisions météorologiques changent rapidement. Il faut songer à émettre des bulletins plus réguliers, tout en prenant en considération les éléments pratiques par rapport à la sortie des classes et des bureaux.

Il faut être de bonne foi. Quand le service de la météorologie émet des avis qui ne s’avèrent pas, il faut se dire que le principe de précaution a été appliqué et que mieux vaut prévenir que guérir. Le service de la météo a été prudent et a fait son travail. Je suis d’accord avec les mesures qui ont été prises. 

Le changement climatique est souvent évoqué comme étant l’un des éléments rendant les prévisions difficiles. Ne peut-on rien faire pour mieux interpréter les informations disponibles ?
L’atmosphère est de plus en plus turbulente. Prenons une casserole dans laquelle on fait bouillir de l’eau sur le feu. Au fur et à mesure l’eau va stocker la chaleur, cela va engendrer une énergie et elle va commencer à tourner de plus en plus vite et en faisant des bulles. C’est ce qu’on appelle le phénomène de convection. 

Avec le changement clima-tique, l’atmosphère et l’océan stockent d’énormes quantités de chaleur. Quand vous donnez de la chaleur à un fluide (l’atmosphère), il bouge de plus en plus vite et devient plus turbulent, ce qui fait que les phénomènes deviennent plus violents et évoluent de façon plus rapide.

Le service météorologique devrait, de ce fait, pouvoir communiquer avec la population à travers leur portable, car pratiquement toute la population a accès à ce mode de communication et peut recevoir un SMS leur fournissant des données sur la pluviométrie et les régions les plus affectées. Si un avis ne s’avère pas, ce n’est pas une raison pour s’acharner sur le service météorologique en arguant qu’ils n’auraient pas dû l’émettre. 

Un élément est important : il faut que la population s’adapte au changement climatique. Cela ne veut pas juste dire construire des bâtiments qui sont résilients et des drains, entre autres. À la suite de la pandémie de Covid-19, on a vu qu’il est possible de faire du télétravail. Les enfants ont dû s’adapter à un système d’apprentissage en ligne. Aujourd’hui, il faudrait que les vacances scolaires soient ajustées par rapport à la situation météorologique. 

Les prévisionnistes devraient, pour leur part, être plus proactifs et émettre des avis beaucoup plus vite. Je n’irai pas jusqu’à dire en temps réel, mais à quelques minutes près. Ils auraient pu envoyer un SMS à tout le monde et avertir qu’il faut faire attention dans certaines régions. 

C’est le maintien de la vigilance et l’état d’alerte qui va sauver les gens»

Pensez-vous que le service météorologique pèche par excès de prudence ?
Nous ne sommes jamais trop prudents. Je préfère que les enfants ou les adultes restent à la maison et tentent d’être en télétravail plutôt qu’ils se retrouvent sous une pluie torrentielle en raison de l’évolution rapide des systèmes météorologiques, cela pouvant mener à la perte de vies humaines. Je soutiens les services météorologiques dans leur approche, ce n’est pas un excès de prudence. 

Un avis de veille de fortes pluies ne paralyse pas le pays. Il n’y a que les écoles qui n’ont pas ouvert leurs portes, mais tous les autres secteurs ont fonctionné normalement. Les enfants étant vulnérables, c’était mieux qu’ils soient en sécurité à la maison, plutôt que d’être exposés à des risques climatiques. 

Parlons de cette fameuse « veille » qui fait l’objet de divers commentaires sur les réseaux virtuels. Pensez-vous que le nouveau système est compris par la population ? 
Je crois qu’il faut sensibiliser davantage la population à ce sujet. Il faut aussi comprendre que toute nouvelle loi, tout nouveau système ou tout changement mis en place doit faire l’objet de campagnes de communication et d’explications pour que les gens comprennent comment cela fonctionne et comment il faut réagir. Avec les cyclones qui risquent de venir vers la mi-février, nous verrons comment cela va se passer.

Je suis d’avis qu’il faut un manuel de procédures d’urgence afin que chaque Mauricien puisse savoir quoi faire exactement à chaque situation météorologique, qu’il habite près des côtes ou à l’intérieur des terres. Ce manuel devrait lui indiquer toutes les mesures de précaution à prendre, comme le stock de nourriture et équipements de premiers secours. 

Nous sommes en très grand danger, parce que nous sommes insouciants par rapport aux risques cycloniques»

Des exercices de simulation ont été organisés dans le passé avec diverses parties prenantes. Est-ce que cela a servi à quelque chose lors des récents événements que nous avons eus ?
Les gens ne sont pas encore pleinement au courant des mesures à prendre. Est-ce que ceux qui habitent Flic-en-Flac, par exemple, savent quelle route utiliser pour une évacuation d’urgence à la suite d’une alerte au tsunami ? Savent-ils à quel moment s’en aller, ce qu’ils doivent apporter avec eux ? 

Il y a encore beaucoup de travail de sensibilisation et d’éducation à faire. Malheureusement, le National Emergency Operations Command (NEOC), qui est une bonne structure, et le Local Emergency Operations Command (LEOC) ne procèdent pas à des exercices de simulation étendus et pas assez régulièrement. 

Il faut maintenir la vigilance. Aujourd’hui, les moins de 25 ans n’ont pas connu un gros cyclone et nombreux sont ceux qui ne savent pas ce qu’est une alerte au tsunami. 

Le NEOC et le LEOC devraient descendre sur le terrain et aller dans toutes les régions pour sensibiliser à travers des méthodes de communication interactive afin de rendre le système d’alerte plus efficace. Tout a déjà été mis en place dans un cadre légal, mais il faut le rendre ludique. Il manque cette interface entre ce qui est fait à un haut niveau et la population.

Vous avez évoqué l’insouciance lors d’une alerte cyclonique. Maurice a été épargné de violents cyclones depuis de nombreuses années. Toute une génération n’a pas fait l’expérience d’un tel phénomène. À quel point cela peut-il jouer contre nous ?
La situation est très inquiétante. Ceux qui ont souffert des pluies torrentielles en connaissent les conséquences, mais il y a beaucoup d’insouciance par rapport aux cyclones. Les alertes cycloniques sont pris à la légère du fait qu’il n’y a pas eu de gros dégâts quand le pays a été en alerte cyclonique ces dernières années. C’est le maintien de la vigilance et l’état d’alerte qui va sauver les gens. 

Depuis le cyclone Dina en 2002, il n’y a pas eu de gros cyclone à Maurice. Les maisons ont été construites avec de grandes baies vitrées, sur le flanc des montagnes ou près des rivières et cours d’eau. Maurice se trouve dans la ceinture cyclonique et avec la grosse lumière rouge qui s’est allumée en 2018, à travers le cyclone tropical intense Fantala, qui a battu tous les records de force de cyclone jamais enregistré dans l’océan Indien avec des vents à 350 km/h, il faut s’attendre à ce que Maurice soit confronté à un tel phénomène. 

Si le pays a été « épargné » ces 20 dernières années, il faut néanmoins s’attendre à un gros cyclone un de ces jours. Nous sommes en très grand danger, parce que nous sommes insouciants par rapport aux risques cycloniques. Je suis très inquiet par rapport à cette situation. 

Il faut prévoir un plan d’évacuation pour Maurice dans les plus brefs délais, spécifique aux risques : cyclone, inondation, tsunami»

L’efficacité des drains fait polémique actuellement. Or, les autorités affirment qu’ils ont été efficaces à divers endroits.
L’aspect drainage de l’eau pluviale n’est pas véritablement pris en considération dans l’aménagement des lotissements. Mais faire des drains ne résout pas le problème. Le danger du drain par rapport au système naturel, c’est qu’il accélère l’eau qui prend de la force. Mais si l’eau s’écoule à travers la végétation comme le swale drain (rigole de drainage), elle sera ralentie, comme les coraux amortissent la force des vagues en mer.  

Il ne faut ainsi pas se mettre dans la tête que les drains vont tout régler. Ce n’est pas la panacée au problème d’inondations. Tout est dans la conception. Certains des drains qui ont été construits ont joué leur rôle, mais aménager des drains sur tout le territoire de Maurice et récupérer 30 à 40 ans de mauvaise gestion n’est pas évident. Il faut trouver des solutions d’ensemble et ne pas compter que sur la construction des drains et arrêter de donner des permis de construction dans des zones pas constructibles.

Il y a, hélas, une approche fragmentaire dans les travaux de construction, avec un manque de consultation, de concertation et de vision d’ensemble des problématiques, ce qui empêche d’établir des stratégies à long terme. Les drains doivent pouvoir accueillir une grande quantité d’eau avec, pour finalité, que celle-ci puisse atteindre une rivière ou la mer. 

Les autorités évoquent des « cut-off drains » pour récupérer l’eau des montagnes en amont avant qu’elle n’atteigne le centre-ville de Port-Louis, par exemple. Pensez-vous que cela peut marcher ?
Oui, c’est ce qui est utilisé en général là où il y a des montagnes et fortes pentes, afin que l’eau soit déviée avant qu’elle n’atteigne les zones habitées. Mais il faut cependant faire attention et ne pas jouer à l’apprenti sorcier. La nature fait les choses et elle est notre meilleure alliée pour résoudre les problèmes que nous rencontrons. 

Mahé de Labourdonnais a su respecter les drains naturels lors de l’aménagement de Port-Louis dans les années 1720, afin que l’eau puisse aller à la mer. Les cut-off drains doivent être utilisée avec précaution afin de ne pas modifier l’écoulement naturel de l’eau, qui doit être conduite vers les zones non vulnérables afin de ne pas transférer le problème d’un endroit à l’autre. 

Il y a encore eu une grande accumulation d’eau à la Place d’Armes, l’eau n’arrivant pas à atteindre la mer. Est-ce que ce travail de transfert de l’eau d’un point à l’autre a été fait convenablement ?
Quand on aménage des drains, ce n’est pas juste pour transporter l’eau jusqu’à la mer. Il y a d’autres facteurs à prendre en considération, comme la marée. S’il y a un gros cyclone avec des pluies torrentielles de 85 mm à 100 mm par heure et qu’il passe près de Maurice, nous pouvons avoir des ondes de tempête. Avec la mer qui monte, cela peut inonder les côtes.  

L’eau des drains ne pourra pas être évacuée convenablement. Elle remontera vers la terre et engendrera une accumulation d’eau ou une inondation. Il faut être très prudent dans l’évacuation de l’eau afin de ne pas mettre la vie des gens en danger.

Port-Louis pourrait subir une grande inondation lors du passage d’un cyclone, selon vous ?
Oui, définitivement. Une bonne partie de la capitale a été comblée sur la mer à un niveau assez bas. Avec le changement climatique, Port-Louis va devenir une ville fantôme, où il n’y aura plus beaucoup d’activités. Si on a une pluie torrentielle, la ville risque d’être sous l’eau. 

C’est une zone très vulnérable par rapport au changement climatique, par rapport aux inondations et montagnes à proximité et le fait qu’il y a beaucoup de constructions qui obstruent les drains. Il y a de nombreuses modifications qui ont été faites et qui empêchent l’eau pluviale de s’évacuer naturellement. Il faut rétablir cela. 

Port-Louis risque de devenir une zone inhabitable dans le long terme.

Vous avez évoqué un plan d’évacuation. Faut-il établir un tel plan spécifiquement pour Port-Louis, au cas où ce scénario catastrophe se concrétise ?
En fait, il faut prévoir un plan d’évacuation pour Maurice dans les plus brefs délais. Il doit être spécifique aux risques qu’il y a à Maurice : cyclone, inondation, tsunami et que tout le monde ait une copie de ce plan pour savoir comment réagir. Il faut une communication efficace et des consultations ainsi qu’une bonne éducation et la sensibilisation à l’intention de la population.

La planification de l’aménage-ment du territoire doit être revue car certaines régions côtières vont devenir inhabitables. Il faut penser à relocaliser les gens dans les 10 à 20 prochaines années, avec l’érosion côtière et le rehaussement du niveau de la mer, ainsi qu’avec les désastres naturels qui vont devenir de plus en plus fréquents. 

Pour en revenir à la météorologie, que faut-il faire pour mieux sensibiliser la population sur le changement climatique et ses conséquences ?
La population entend parler du changement climatique, mais ne comprend pas vraiment de quoi il s’agit. Certains ne réalisent pas que cela va durer et empirer, et qu’il faut se préparer à y faire face. Le changement climatique doit faire partie de notre vie, de notre système éducatif et de notre système de pensée dans toutes les sphères de la société. 

Avant de procéder à n’importe quel projet de construction, il faut penser à la vulnérabilité par rapport au changement climatique, doit être au centre de notre développement durable. 

On parle trop en termes économiques, de nos jours, mais tous ces projets effectués dans le pays et qui ont accentué le problème du changement climatique viennent nous prouver que nous avons plus à perdre au niveau monétaire. Le changement climatique doit être à la base de toute réflexion économique, sociale et environnementale.  

Le changement climatique est un défi pour l’humanité et la sécurité humanitaire. C’est un défi qui doit être vulgarisé à travers des campagnes de sensibilisation parmi la population. 

 

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