
Alors qu’un traité historique vient d’être signé entre Maurice et le Royaume-Uni concernant la rétrocession des Chagos, promettant une nouvelle ère pour ces îles disputées, la communauté chagossienne de Londres crie sa déception. Plusieurs voix, comme celles de Pascalina Nellan et Bertrice Pompe, dénoncent un compromis qui ne répond pas à leurs attentes.
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L’encre du traité n’est pas encore sèche que déjà, la colère gronde. Dans les rues de Londres, là où s’est reconstituée une partie de la diaspora chagossienne, l’amertume le dispute à l’incompréhension. Ce qui devait être un jour de victoire se transforme en nouvelle blessure. L’archipel des Chagos, ces îles nichées au cœur de l’océan Indien, portent depuis un demi-siècle les stigmates d’une tragédie oubliée. Déportations forcées, familles déchirées, identité confisquée : l’histoire de ce peuple résonne comme un écho douloureux des grandes injustices du XXe siècle.
Aujourd’hui, un accord diplomatique vise à tourner la page. Mais pour qui ? Et à quel prix ? Derrière la façade officielle, des voix chagossiennes s’élèvent, souvent critiques, parfois amères. Elles ne sont pas toutes prêtes à faire confiance à ce qu’on présente comme une avancée historique. À l’instar de Pascalina Nellan, 35 ans, qui incarne cette génération chagossienne née en exil.
Son regard porte le poids d’une histoire qu’elle n’a pas vécue, mais dont elle subit encore les conséquences. « Je ressens une déception. Pas tant à l’égard du gouvernement mauricien, mais surtout par rapport à notre propre communauté », confie-t-elle, la voix tremblant de frustration. « On nous promet le droit de retour et le versement de compensations, mais rien n’est clair. On parle d’un Trust Fund qui bénéficiera à une minorité. Pourquoi ne pas remettre la compensation directement, en mains propres, à tous ceux qui ont été spoliés ? » demande-t-elle.
Elle souligne une contra-diction au cœur du débat : l’absence de consultation réelle. « Les Chagossiens ont le droit de décider de leurs terres. Or, on nous prive de ce droit fondamental. Je suis en colère », lâche-t-elle, alors que se profilent des actions légales pour contester l’accord. Ce combat est perçu comme un ultime espoir, tant que les parlementaires n’auront pas ratifié ce compromis.
« Nous ne sommes pas contre la communauté chagossienne », insiste Pascalina Nellan. « Bien au contraire. Nous souhaitons un retour sur les îles, mais dans un cadre démocratique, transparent et surtout équitable », dit-elle. Elle plaide également pour un recensement officiel afin d’évaluer le nombre réel de Chagossiens, y compris ceux établis au Royaume-Uni, aux Seychelles, en Australie et ailleurs.
À 54 ans, Bertrice Pompe porte en elle la mémoire vive de l’archipel et d’une dépossession injuste. Née à Diego Garcia, déportée à l’âge de huit ans en 1971, elle fait partie de ces derniers témoins directs de la vie d’avant. L’installation de cette Chagossienne des Seychelles en Angleterre, il y a plus de vingt ans, n’a jamais effacé la nostalgie de ces îles natales.
Diego Garcia
« Les Anglais n’ont jamais pris contact avec nous, les descendants mauriciens. Nous n’avons pas été informés de l’intégralité du rapport. L’accord parle de Peros Banhos et Salomon, mais jamais de Diego Garcia. Ce silence est inacceptable », s’insurge-t-elle. Bertrice Pompe ne croit guère aux promesses financières.
« Ceux qui croient à une compensation attendue comme une bougie rouge se trompent. L’argent dans ce Trust Fund restera une illusion », dit-elle, amère. À Londres, cette colère s’exprime avec force dans les associations chagossiennes, souvent en opposition avec celles établies à Maurice.
Olivier Bancoult, président du Chagos Refugees Group, appelle à l’unité face aux divisions internes. « Cessez de nager à contre-courant », exhorte-t-il, dénonçant ceux qui « sèment la division » au sein de la communauté. « La vérité a fini par triompher. Si quelqu’un veut empêcher cet accord, qu’il le fasse, mais pour l’instant il n’y a rien. »
Le scepticisme et la colère au sein de la communauté s’expliquent aussi par des choix historiques, politiques et personnels. « Les descendants qui ont accepté la naturalisation britannique ont fait un choix et sont dans une logique différente. Ils ne sont pas à plaindre », analyse l’observateur Yvan Martial.
Cette divergence entre la diaspora britannique et les communautés insulaires ou mauriciennes exacerbe les tensions. D’un côté, il y a ceux qui misent sur les négociations diplomatiques et les mécanismes juridiques. De l’autre, il y a ceux qui réclament une reconnaissance plus directe, avec la garantie d’un retour dans des conditions justes.
« Rien n’est encore joué »
Au cœur de toutes ces tensions, une question centrale demeure : que signifie réellement ce droit de retour promis ? La communauté réclame un retour sur les îles de l’archipel, mais dans un cadre clair, encadré et respectueux. L’accord évoque des garanties, mais ces dernières semblent insuffisantes, voire illusoires. Dans quelles conditions ce retour sera-t-il possible ? Qui pourra en bénéficier ? Sur quelles îles ?
Le scepticisme gagne du terrain, nourri par le sentiment d’être écartés des négociations, et d’un processus peu transparent. Tout n’est pas encore perdu pour les opposants à l’accord. « Rien n’est encore joué ! » affirme Pascalina Nellan, pleine de détermination. La ratification parlementaire à venir offre une dernière fenêtre d’opportunité pour faire entendre leurs voix. La dernière ligne de défense pour Pascalina et d’autres qui partagent sa position, la dernière chance d’exprimer un refus collectif.

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