La dette publique frôle les 90 % du PIB et les mesures d’austérité peinent à convaincre une population qui n’en voit pas encore les retombées positives. Pour l’économiste Ishvind Caleechurn, ce décalage entre les sacrifices immédiats et les résultats différés nourrit une frustration légitime. Il souligne que seule une combinaison d’assainissement budgétaire, de réformes structurelles profondes et d’une relance de la croissance permettra de réduire durablement la dette. En cas de relâchement, le pays s’expose à une dégradation de sa notation souveraine par Moody’s, avec des conséquences potentiellement lourdes.
La dette publique reste proche de 90 % du PIB : Rs 608,25 milliards en décembre 2024 (87,4 % du PIB) sous l’ancien gouvernement, contre Rs 654,47 milliards (89,3 %) en septembre 2025 sous l’actuel. Comment expliquez-vous cette stagnation ?
Ce dérapage s’explique en partie par une croissance économique molle qui limite l’augmentation du PIB, combinée à un niveau élevé de dépenses publiques. Le gouvernement a continué à emprunter pour financer ses dépenses et projets, maintenant ainsi le niveau d’endettement public presque inchangé en proportion du PIB. En sus, le service de la dette s’alourdit, ce qui contribue à la stagnation du ratio dette/PIB. Pour l’exercice 2024-2025, les seuls intérêts versés sur la dette publique ont atteint Rs 21,8 milliards, soit le deuxième poste de dépenses le plus important du Budget après les pensions de retraite de base. Ces intérêts élevés limitent les marges de manœuvre pour réduire l’endettement, d’autant qu’ils augmentent rapidement.
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Au ministère des Finances, on attribue cette hausse à « l’intégration de la dette parapublique dans la dette consolidée », « l’explosion des dépenses sociales liées aux promesses électorales et à la flambée du coût de la vie », ou encore le « poids croissant des pensions qui représentent près d’un tiers des dépenses courantes ». Que pensez-vous de ces justifications ?
L’intégration de la dette parapublique est avant tout une mesure de transparence comptable. Ces engagements parapublics existaient déjà et étaient déjà implicitement pris en compte dans la soutenabilité de la dette publique. Leur inclusion formelle dans le calcul de la dette consolidée constitue un ajustement ponctuel plutôt qu’une nouvelle dérive d’endettement.
Pointer ces dépenses sociales comme cause de la dette revient en quelque sorte à constater que l’État a fait le choix d’emprunter pour financer un niveau de protection sociale élevé. La justification est recevable, mais elle révèle un arbitrage budgétaire qui pouvait difficilement conduire à une diminution de la dette à court terme.
Quant au poids croissant des pensions, c’est un facteur structurel bien connu, lié au vieillissement de la population mauricienne et à la générosité du système de pension universelle. Depuis 2015, les dépenses annuelles de Basic Retirement Pension ont plus que quadruplé, passant de Rs 3 700 à Rs 15 000, exerçant une pression budgétaire considérable. Elles constituent effectivement un facteur de creusement du déficit et donc d’alourdissement de la dette.
La dette des corps parapubliques est déjà prise en compte dans le calcul de la dette publique. Peut-on alors vraiment parler d’un facteur nouveau ou s’agit-il d’une explication de convenance ?
En réalité, il s’agit surtout d’une modification méthodologique et d’une volonté de transparence. Le chiffre de la dette publique a augmenté en incorporant ces dettes (Rs 30 milliards additionnelles annoncées). Toutefois, cela ne change rien à la réalité économique, la dette parapublique, qu’elle soit comptabilisée séparément ou consolidée, pèse in fine sur la capacité de remboursement du secteur public. L’argument de son intégration soudaine peut servir à justifier une partie de la hausse statistique de la dette en 2025, mais il ne s’agit pas d’un choc exogène nouveau, plutôt d’une régularisation comptable.
Sur les réseaux sociaux, de nombreuses voix dénoncent que la politique d’austérité, notamment la réforme des pensions et certaines mesures fiscales, ne porte pas ses fruits car la dette continue d’augmenter. Cette frustration est-elle légitime ?
Cette réaction est compréhensible car voir la dette publique frôler puis dépasser potentiellement 90 % du PIB en fin 2025 peut donner l’impression que les sacrifices consentis n’ont servi à rien. La population a le sentiment de se serrer la ceinture pour rien et ceci peut être jugé légitime jusqu’à un certain point. En effet, le gouvernement s’était engagé à restaurer la discipline budgétaire et des mesures douloureuses ont dû être prises. Le report de l’âge de la retraite de 60 à 65 ans, décidé dans le Budget 2025-2026, a constitué un changement brutal pour la population. De même, certaines exemptions fiscales ont été abolies et des taxes ont été ajoutées, ce qui pèse sur le pouvoir d’achat. D’autant que le coût de la vie reste élevé et que la croissance économique ralentit, autour de 3 % en 2025, la colère populaire est donc alimentée par le décalage temporel entre, d’une part, l’austérité immédiate ressentie et, d’autre part, l’amélioration de la santé financière de l’État qui tarde à se concrétiser. Il est primordial de comprendre que la réduction de la dette publique ne peut se faire du jour au lendemain, mais des réformes structurelles majeures sont nécessaires.
En janvier dernier Moody’s a maintenu la note souveraine du pays à Baa3, mais a abaissé ses perspectives de « stables » à « négatives ». La hausse continue de la dette publique pourrait-elle pousser l’agence de notation à rétrograder Maurice dans la catégorie « junk » ?
Si la tendance d’endettement élevée se poursuit sans correction, oui, ce risque existe. Moody’s a déjà tiré la sonnette d’alarme en signalant des défis importants sur le plan fiscal et la nécessité de mettre en œuvre rapidement des réformes pour rétablir l’équilibre. Une perspective négative indique que l’agence anticipe une probabilité significative de dégradation si les indicateurs ne s’améliorent pas. Concrètement, si d’ici 2026 Maurice n’arrive pas à stabiliser puis entamer une baisse du ratio de dette, ou si le gouvernement devait relâcher ses efforts de consolidation en augmentant encore les dépenses sans recettes, Moody’s pourrait décider de baisser la note à Ba1 (premier niveau junk). Les conséquences seraient sérieuses, une note spéculative pourrait décourager certains investisseurs institutionnels, augmenter le coût d’emprunt du pays et ternir la réputation financière de Maurice.
La Banque de Maurice va lever Rs 21 milliards sur la période de septembre à décembre. Quel impact sur la dette publique ?
Cette opération consiste en réalité à lever des fonds pour le trésor public via l’émission d’obligations d’État sur le marché domestique. L’impact sur la dette publique est direct, ces Rs 21 milliards supplémentaires viennent grossir l’encours de la dette du gouvernement. Cela se traduira par des charges d’intérêts futures supplémentaires, à hauteur du coupon servi sur ces nouvelles obligations (selon les taux actuels du marché mauricien). Par ailleurs, il convient de noter que Maurice finance une grande partie de sa dette publiquement sur le marché intérieur. Néanmoins, ce type d’opération reste une composante normale de la gestion budgétaire annuelle. L’essentiel est de s’assurer que la croissance économique et la discipline fiscale finissent par compenser, sur la durée, ces hausses ponctuelles de la dette.
Le gouvernement vise une réduction de la dette à 75 % du PIB d’ici trois ans. Est-ce un objectif réaliste ? Quelles conditions doivent être réunies pour y parvenir ?
C’est un objectif ambitieux, mais pas totalement hors de portée, à condition de réunir des conditions économiques et politiques favorables. Un PIB qui augmente plus vite que la dette permet mécaniquement de diminuer le ratio. A contrario, si la croissance stagne autour de 3 % pour les prochaines années, l’ajustement devra venir presque exclusivement de l’austérité budgétaire. Le gouvernement doit respecter une stricte discipline budgétaire pendant les trois prochaines années. Cela implique de contrôler la progression des dépenses courantes et d’améliorer l’efficience de la dépense publique. Le moindre relâchement pourrait, au contraire, voir la dette continuer de dériver au-dessus de 80 % du PIB. Maurice doit aussi attirer davantage d’investissements privés et étrangers dans les projets d’infrastructures et de développement. Le plan gouvernemental doit mettre l’accent sur la stimulation de l’investissement privé et une croissance inclusive. Si cela se concrétise, on pourra atteindre la cible de la dette à 75 % du PIB d’ici trois ans.
Quelles stratégies pourraient permettre d’inverser durablement la tendance à l’endettement élevé ?
Notre stratégie pour faire refluer durablement la dette publique doit combiner assainissement budgétaire, réformes structurelles et stimulation de la croissance. Maurice doit mener de front un programme de consolidation fiscale socialement acceptable (pour ne pas casser la croissance), tout en réorientant son modèle de développement vers plus de productivité et de diversification. Il faut emprunter pour investir, non pour des dépenses courantes sans retour. Une dette qui sert à construire des infrastructures de qualité, à moderniser le secteur énergétique ou à renforcer le capital humain peut stimuler la croissance future et ainsi améliorer la soutenabilité de la dette. Il faut stimuler une croissance économique robuste et diversifiée. Maurice doit donc investir dans les piliers de croissance future, l’innovation technologique, les services financiers numériques, les énergies renouvelables et l’économie bleue pour ne plus dépendre uniquement des piliers traditionnels comme le tourisme, le sucre et le textile qui montrent des signes d’essoufflement.
Nous approchons de la fin de l’année 2025. Quel bilan tirez-vous, à ce stade, de la situation économique et des finances publiques du pays ?
Le coût de la vie demeure une préoccupation majeure en 2025 et l’inflation reste très élevée. Par conséquent, l’inflation continue d’éroder le pouvoir d’achat des Mauriciens. La roupie a connu une certaine stabilité et les réserves de change du pays restent confortables (plus de 12 mois d’importations couvertes fin 2025), ce qui offre une marge de manœuvre pour atténuer les chocs externes. Les finances publiques sont, quant à elles, à un tournant. Le déficit budgétaire s’est accentué et la croissance économique a reculé. Le chômage reste contenu à un niveau relativement bas, mais le marché du travail fait face à des pénuries de compétences dans certains domaines.
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