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Essence moins chère, panier plus lourd : l’équilibre fragile du pouvoir d’achat

L’absence de baisse du diesel et la flambée des produits laitiers freinent le gain pour les ménages.

La baisse du prix de l’essence soulage les automobilistes. Toutefois, le maintien du diesel et la hausse des produits laitiers tempèrent son impact sur le pouvoir d’achat des ménages.

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Depuis le lundi 3 novembre 2025, le prix de l’essence à Maurice a connu une baisse de Rs 2,75 par litre. Cette révision, annoncée par le Petroleum Pricing Committee (PPC), fait suite à l’évolution des cours mondiaux du pétrole entre août et octobre 2025, ainsi qu’aux prévisions pour la période de novembre à janvier 2026. Le nouveau prix de référence de l’essence est désormais fixé à 681,72 dollars la tonne métrique, sur la base d’un taux de change de Rs 46,43 pour un dollar. Le diesel, en revanche, demeure inchangé.

Cette réduction, bien que saluée par le gouvernement, suscite des réactions contrastées parmi les économistes et les consommateurs. Entre geste symbolique et impact concret, la question du pouvoir d’achat reste au cœur du débat.

Pour le ministre du Commerce, Michael Sik Yuen, cette baisse représente « un geste concret » en faveur des ménages. Interrogé par Le Défi Quotidien, il a indiqué que la diminution de Rs 2,75 par litre pourrait se traduire par une économie notable pour les conducteurs. « Un automobiliste ne consomme pas un seul litre, mais plusieurs dizaines », a-t-il rappelé. Sur un plein de 40 à 50 litres, la baisse équivaut à une économie d’un peu plus de Rs 100, d’après ses estimations. Dans un contexte économique marqué par la hausse du coût de la vie, cette réduction, selon lui, « n’est pas négligeable ».

L’économiste Randhir Mannick adopte une lecture plus nuancée. D’après lui, la réduction de 4,5 % du prix à la pompe reste modeste au regard de l’évolution du marché mondial. « Le prix du pétrole a chuté de 23,5 % depuis janvier 2025, et le dollar s’est déprécié de 3,7 %. C’est une baisse cumulée d’environ 27 %. En comparaison, la réduction appliquée localement demeure faible », explique-t-il.

Il souligne également que le diesel, essentiel pour le transport de marchandises et donc pour l’activité économique, n’a pas connu de baisse. Or, selon lui, une révision du prix du diesel aurait eu un effet plus marqué sur l’économie nationale et sur les coûts de production et de distribution.

Essence moins chère, panier plus lourd

prix-essencePour sa part, l’économiste Manisha Dookhony estime que la réduction du prix de l’essence pourrait apporter un léger répit aux ménages disposant d’un véhicule à essence. « Pour une consommation moyenne de 20 litres par semaine, une personne économisera environ Rs 250 par mois. Ce n’est pas une somme considérable, mais dans un contexte où les prix baissent rarement, c’est une évolution favorable », indique-t-elle.

Elle ajoute que cette baisse pourrait avoir un effet indirect sur d’autres postes de dépense, notamment par une stabilisation du coût de certains biens et services. « Les prix du pétrole influencent aussi le fret maritime. Si les coûts logistiques se maintiennent à la baisse, cela pourrait se répercuter sur les prix de certains produits importés », précise-t-elle. Cependant, elle souligne que le maintien du prix du diesel limite les retombées positives sur le coût du transport et, par extension, sur les prix de détail.

Pouvoir d’achat et inflation : une équation complexe

Les dernières données de Statistics Mauritius montrent que l’indice des prix à la consommation (IPC) est resté stable à 107,9 en octobre 2025. L’inflation annuelle s’élève à 4,1 %, contre 3,4 % un an plus tôt. Sur 12 mois, le taux d’inflation moyen atteint 3,5 %, légèrement inférieur aux 3,7 % enregistrés sur la période précédente.

Pour Randhir Mannick, ces chiffres traduisent une érosion progressive du pouvoir d’achat. Il explique :  « Une inflation annuelle à 4,1 % signifie que les prix des biens et services ont augmenté dans la même proportion. C’est le coût de la vie qui en subit les conséquences, particulièrement pour les ménages aux revenus modestes ». 

Il estime que la baisse du prix de l’essence profite davantage aux ménages disposant d’un véhicule privé, souvent situés dans des tranches de revenus plus élevées. « L’impact sur la classe moyenne et les foyers les plus vulnérables reste limité, car ce sont les hausses généralisées, notamment des produits de base, qui pèsent le plus sur leur budget », précise-t-il.

Une hausse des produits laitiers qui contrebalance la baisse

Cette diminution du prix du carburant intervient alors que plusieurs produits laitiers connaissent une nouvelle hausse. À partir du 8 novembre, certaines références des marques Yoplait et Candia verront leurs prix augmenter jusqu’à Rs 13. Les laits en poudre, tels que Green Meadow, Cowland et Promex, seront également plus chers.

Ces ajustements pèsent sur le panier des ménages, déjà affecté par des coûts alimentaires élevés. Manisha Dookhony note que « certains produits laitiers fabriqués localement ont connu des augmentations importantes ». Elle invite à observer les écarts de prix entre les produits locaux et importés. « La baisse des coûts du fret ne se reflète pas toujours sur les étagères. Les marges des revendeurs ou les délais d’ajustement jouent aussi un rôle », souligne-t-elle.

Une amélioration perceptible, mais fragile

La baisse du prix de l’essence intervient donc dans un contexte économique contrasté. D’un côté, elle offre une respiration financière pour les automobilistes et peut, dans une moindre mesure, atténuer la pression sur les budgets des ménages. De l’autre, la hausse continue de certains produits essentiels et le maintien du prix du diesel réduisent la portée de cette mesure sur l’ensemble de la population.

En somme, la réduction de Rs 2,75 par litre constitue un signal positif, mais insuffisant pour inverser la tendance générale d’un pouvoir d’achat fragilisé. Si les prix mondiaux du pétrole continuent de baisser et que le taux de change reste favorable, le PPC pourrait disposer d’une marge de manœuvre pour de nouveaux ajustements. Mais pour l’heure, le soulagement reste partiel et dépendra de l’évolution de l’inflation et du coût des biens de première nécessité dans les mois à venir.

La réduction du prix de l’essence profite principalement aux automobilistes, mais n’allège pas les charges des entreprises dépendant du diesel. Transport, industrie et distribution restent confrontés à des coûts élevés, limitant l’effet global sur l’économie et le pouvoir d’achat des consommateur


Claude Canabady, secrétaire de la Consumers' Eye Association : « Le prix de l’essence baisse sur le marché mondiale »

Claude Canabady se dit satisfait de la récente baisse du prix de l’essence et souligne la difficulté de satisfaire tout le monde. « Je suis content qu'il y ait une baisse. Je ne comprends pas, les gens se plaignent. Quand il n'y a pas de baisse, ils se plaignent. Quand il y a une baisse aussi, ils se plaignent pour dire que ce n'est pas assez », explique-t-il.

Selon lui, la baisse du prix de l’essence est bénéfique pour les consommateurs. « Cela devrait les aider. Le prix est de Rs 2,75 par litre. Quand on fait le plein, on ne met pas qu’un litre, n’est-ce pas ? Si l’on compte sur plusieurs litres — disons une dizaine —, cela représente déjà une économie d’environ Rs 27.  », souligne-t-il. 

Claude Canabady rappelle, toutefois que certains secteurs, comme le transport ou les entreprises utilisant du diesel, ne bénéficient pas directement de cette baisse. « La STC a bien expliqué pourquoi on n'a pas pu baisser le diesel. Je comprends que la plupart des business en servent du diesel », précise-t-il. Il se montre optimiste pour l’avenir. « Je pense qu'il y aura une autre baisse d'ici au début de l'année prochaine, parce que le prix de l'essence baisse sur le marché mondial », avance Claude Canabady. 


Bhim Sunassee, président du Petroleum Retailers Association : « La quasi-totalité des activités économiques fonctionne au diesel »

Bhim Sunassee, président de la Petroleum Retailers Association, salue la baisse du prix de l’essence annoncée récemment. Toutefois, il estime que le gouvernement aurait pu aller plus loin pour soulager les automobilistes.

« Nous nous attendions à une réduction d’au moins Rs 5 par litre, surtout sachant que le prix n’a pas diminué depuis le début de l’année », fait-il remarquer. S’il reconnaît que cette mesure profitera avant tout aux automobilistes, Bhim Sunassee estime qu’une baisse du prix du diesel aurait eu des retombées beaucoup plus significatives sur l’économie. « Il faut rappeler que la quasi-totalité des activités économiques fonctionne au diesel — qu’il s’agisse des usines, de la logistique, du transport public ou encore de la grande distribution », souligne-t-il.

Selon lui, la baisse du prix de l’essence n’aura donc pas d’effet notable sur les coûts dans les différents secteurs d’activité. « Pour les opérateurs économiques, c’est le prix du diesel qui fait la différence. Tant qu’il reste inchangé, ils ne pourront pas réduire leurs coûts. En fin de compte, ce sont les consommateurs qui continueront à faire face à des prix élevés, sans amélioration de leur pouvoir d’achat à l’horizon », martèle-t-il.


Suttyhudeo Tengur, président de l’APEC : « Une baisse du diesel aurait rendu les entreprises locales plus compétitives »

Le président de l’Association pour la Protection de l’Environnement et des Consommateurs (APEC), Suttyhudeo Tengur, se montre catégorique. La récente baisse du prix de l’essence à Maurice est, selon lui, largement insuffisante au regard de la chute des cours mondiaux. « Il fallait une réduction d’au moins Rs 5 par litre », soutient-il.

Mais au-delà de cette déception, c’est surtout le maintien du prix du diesel qui l’inquiète. « Les consommateurs mauriciens subissent déjà une érosion du pouvoir d’achat avec la flambée continue des prix. Une baisse du diesel aurait eu un effet beaucoup plus positif sur l’économie que celle de l’essence », explique-t-il. Selon Suttyhudeo Tengur, le diesel alimente l’ensemble des activités économiques du pays, du transport à la production industrielle. Une réduction de son prix aurait donc permis de soulager directement les entreprises locales. « Le coût du carburant pèse lourdement sur le coût de production. Une baisse du diesel aurait rendu nos entreprises plus compétitives sur le marché international », affirme-t-il.


Bahim Khan Taher s’attendait à ce que le prix du Diesel baisse 

Bahim Khan Taher, directeur du Hassen Taher Seafoods Group, estime que la récente baisse du prix de l’essence n’aura aucun impact sur les coûts d’exploitation de son entreprise. « Depuis nos pirogues jusqu’aux camions de livraison, toute notre flotte fonctionne au diesel », explique-t-il. Le groupe, acteur majeur du secteur de la pêche et de la distribution de produits de la mer, dispose d’une flotte imposante composée d’une cinquantaine de pirogues, d’une dizaine de bateaux et d’une trentaine de véhicules. Selon Bahim Khan Taher, la facture mensuelle en carburant s’élève à environ Rs 1 million. « Une baisse de 10 % du prix du diesel nous permettrait d’économiser près de Rs 100 000 par mois, une réduction significative qui aurait pu se répercuter positivement sur les prix de vente », souligne-t-il. Il déplore que le gouvernement n’ait pas inclus le diesel dans la révision des prix, car une telle mesure aurait contribué à alléger les coûts opérationnels des entreprises et, par ricochet, à soutenir le pouvoir d’achat des consommateurs mauriciens. Pour lui, le secteur attend toujours un signal fort qui prenne en compte les réalités économiques des acteurs dépendant du diesel.

 

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