Faits Divers

Trafic de drogue : quand des ados se transforment en barons

jeunes Des jeunes dealers ou jockeys... une scène fréquente dans les endroits dits chauds.
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« Le monde est à toi ». Ces petits Scarface en herbe y croient. Ils sont adolescents, pas scolarisés et trempés dans le trafic de drogue. Le Défi Plus lève le voile sur le quotidien de ces trafiquants en culotte courte.

Ils ont troqué leur dent de lait contre une dent en or et opèrent à Cité La Chaux, Mahébourg, African Town, Riambel, Cité Surinam, Balance, Plaine-Magnien, Cité Rose-Belle, Batterie-Cassée, Bois-Marchand, Baie-du-Cap, Argy, Flacq, La Valette, Bambous et Richelieu pour ne nommer que ces quartiers. Le Défi Plus a parcouru ces villes et villages pour observer ces jeunes adolescents dont certains préfèrent la rue et le trafic que les bancs de l’école. Trois d’entre eux se sont confiés à nous, alors que Shivam Mungalia, âgé de 22 ans, qualifié de « bon garson » par sa famille (voir hors-texte), est derrière les barreaux pour importation de drogue… Il ne voulait qu’aider sa famille, avance-t-il comme prétexte.

Riambel : Ces ados piégés par l’argent facile

La précarité qui gagne du terrain dans une partie de cette région côtière a profité au trafic de drogue. En manque de « main-d’œuvre » et pour contourner les agents de l’Adsu de la division Sud, les trafiquants de drogue enrôlent de jeunes adolescents attirés par l’argent facile. À Cité Riambel ou African Town, le trafic se déroule au vu et au su de tous. Les dealers sont parfois âgés d’à peine 12 ans.

La journée du jeudi 27 septembre, le trafic est animé. Sur la route Royale, un jeune a pour tâche d’assurer la surveillance sur son scooter. Il scrute le va-et-vient et examine les plaques d’immatriculation des véhicules. Rien ne doit lui échapper. Le moindre intrus doit être signalé à ses « supérieurs ». Après une dizaine de minutes, une BMW de couleur blanche, plaque personnalisée, s’arrête à l’arrière du scooter. Après un bref échange de propos, le jeune demande au conducteur de patienter. Il sort son téléphone.

Le trafic se déroule au vu et au su de tous. Les dealers sont parfois âgés d’à peine 12 ans.

Quelques minutes plus tard, il raccroche. Il fait signe au conducteur d’avancer. La berline pénètre une des ruelles de la cité. Elle s’arrête à une jonction où trois jeunes, qui auraient dû être à l’école, l’attendent. En une poignée de secondes, les trois ados lui remettent un colis contre paiement. La berline, avec à son bord le conducteur d’une cinquantaine d’années, déserte les lieux rapidement. Ici, le trafic, explique un boutiquier, se déroule au quotidien, principalement de 8 à 11 heures et de 15 à 18 heures. « Sa bann zen-la inn fini sa, ale vini stasion. »   

Port-Louis : Le visage juvénile du trafic

19 h 15. Les ruelles sombres de Batterie-Cassée, Baie-du-Tombeau et de Caro Kalyptis sont animées. Des jeunes parcourent les rues à pied, à vélo ou à moto. C’est une scène qu’on retrouve dans toutes ces localités. C’est pourtant à Batterie-Cassée que nous sommes témoins de la manière dont les doses passent des mains de jeunes caïds à celles des consommateurs.

Sous un arbre, contre un muret ou dans une impasse, le manque de lampadaires laisse plusieurs zones sombres. Dans l’une d’elles s’abrite un groupe de trois jeunes. Certains arborent fièrement leurs dents chromées. L’odeur des eaux usées déversées dans la rue ne semble pas les gêner. Ils sont là pour travailler, pour prendre les commandes et livrer.

Il est presque 20h00. Une voiture approche. Pendant qu’un des jeunes trafiquants se tient à l’écart, deux autres s’approchent du véhicule. Après une brève conversation avec le chauffeur, les deux gamins rejoignent celui qui se tient à l’écart. Ils font deux fois la navette de la voiture au troisième larron, avant de glisser un objet enveloppé dans du papier aluminium au conducteur. Ce dernier leur remet de l’argent. C’est le premier deal de la nuit. Les trois vendeurs se regroupent pour faire le compte. Puis, tranquilles, ils grillent une cigarette pendant qu’un autre de leurs compères fait le guet plus loin.

À une centaine de mètres, trois silhouettes se dessinent sous une boutique fermée. Nous discernons un jeune homme à moto, un autre de forte corpulence, debout, et un troisième assis derrière eux. Nos phares parcourent leurs visages. Encore des adolescents. Nous décidons de nous attarder sur les lieux pour observer leurs manœuvres. Nous comprenons rapidement que celui qui est debout fait le guet alors que son partenaire assis garde la marchandise. Le jeune à moto est le coursier de service. Pendant que nous observons la scène, il fera le va-et-vient entre ce poste d’observation et une maison qui se trouve dans une ruelle plus loin.

Bientôt, une femme s’approche d’eux. À vue d’œil, on lui donnerait la cinquantaine. Elle porte une robe de coton de couleur crème qui dégage un effet de ‘linz dormi’. Plutôt ronde, elle ne ressemble pas au cliché de la junkie qui dépérit. Elle fait un brin de causette avec un des trois jeunes avant qu’il ne lui remette sa dose. La quinquagénaire s’en va en demandant au jeune homme de « fer to mama konpliman ».

Nous reprenons notre tournée. Direction : Cité Tôle. Nous sommes surpris par un individu tapi dans le noir au coin d’une rue. Notre véhicule a failli lui rouler dessus. Encore un gamin ! Il est placé à un endroit stratégique : à la jonction de trois rues.

«Un martin»

Lui, c’est un « martin ». Son rôle est de faire le guet et avertir ses camarades d’un éventuel danger. En voyant notre véhicule, il commence à faire des signes. Un motocycliste nous prend en filature. Il ne s’inquiète pas d’être discret : son pneu est carrément collé au pare-chocs du 4x4. Il nous a suivis jusqu’à ce que nous quittions Baie-du-Tombeau.


Les jeunes ‘chimistes’ du Sud

jeunes
Des jeunes sont prêts à tout pour leurs doses quotidiennes, quitte à poireauter au soleil des heures durant.

Dans le Sud, les trafiquants semblent s’inspirer de Breaking Bad : la méthamphétamine est la nouvelle star. Cette drogue est fabriquée clandestinement en laboratoire. L’un des maillons essentiels de ce trafic n’est autre qu’un adolescent. Il a été arrêté par la division Sud de l’Adsu. Ce petit chimiste est âgé de 17 ans seulement. Un autre de 16 ans a été arrêté avec la même drogue, de l’ecstasy et de la drogue synthétique. Selon les enquêteurs, ils opéraient entre la région de Plaine-Magnien, Rose-Belle et St-Aubin. Plus étonnant encore : ils ne « roulent » pour personne. Ils s’approvisionnent dans le Nord et vendent leurs produits dans le Sud. Ils sont à la tête d’un réseau composé d’adolescents et de collégiens. « Ils sont jeunes et maladroits…C’est pour cela qu’il a été facile de les identifier et de les arrêter », confie une source proche de l’enquête.

C’est donc dans le Sud-Est que nous nous rendons pour observer et rencontrer ces jeunes trafiquants d’un nouveau type. Le quartier connu comme Balance dans le village de Plaine-Magnien est connu pour être un ‘hot spot’ du trafic de drogue. Le quartier somnole durant la journée. Toutefois, les choses commencent à s’activer vers 16h00. Moins ouvert qu’à Port-Louis, le trafic se fait dans les rues retirées du village. On y voit entrer des voitures et, à côté du chauffeur se tient toujours un homme ou une femme au téléphone. La transaction dure moins de 30 secondes. Un gamin sort d’une maison, tend un petit objet (pas plus gros qu’une pièce) au passager, empoche l’argent et rentre. Le véhicule ressort du quartier par une autre rue.

Ces ados sont à la tête d’un réseau composé de jeunes et de collégiens.

Ce sont dans ces ruelles que nous sommes témoins d’un échange qui implique un jeune qui n’a pas 17 ans. Un fin duvet recouvre sa lèvre supérieure. Il est mince, a les cheveux bien coiffés et arbore une montre au poignet. Son pantalon bleu marine confirme son appartenance à un collège de la région, même s’il porte un t-shirt au lieu d’une chemise blanche. C’est un adolescent accro à la drogue synthétique. Il est à l’aise dans ce quartier, un habitué de toute évidence. Il se pavane dans la rue au téléphone. Bientôt, un autre adolescent le rejoint et lui glisse un objet enveloppé dans du plastique dans la poche de son pantalon. C’est sa dose d’après-l’école. L’affaire étant bouclée, il rebrousse chemin et nous croise en repartant. Il évite de nous regarder. Nous parvenons quand même à constater que le blanc de ses yeux a jauni et que ses lèvres noirâtres se fendent.

La même scène peut être vue dans plusieurs de ces villages du Sud-Est. Les dealers sont moins souvent dans les rues, mais on peut tout de même les identifier : les samedis, ils marchent entourés d’adolescents plus jeunes qu’eux ; les cheveux teints, chaîne et dents en or, téléphones dernier cri à la main. À la rue Vandyke à Mahébourg ou Cité La Chaux, les jeunes se sont laissé facilement tenter par ce business fructueux qui leur a permis d’obtenir des motos, des montres luxueuses ou encore des vêtements de marque. Ces quartiers ont tous leurs pâles imitations de ‘50 Cents’ et de dangereuses copies de trafiquants juvéniles.

Katie :  « Je perds mon fils… Aidez-moi »

À 32 ans, Katie est mère de quatre enfants issus de deux mariages. Son aîné de 17 ans fait partie d’un réseau de trafic de drogue synthétique. Cette mère ne sait plus à quel saint se vouer. Selon elle, il y a un an, le jeune homme a commencé à rentrer tard. « Souvent, il titubait et ne prenait pas sa douche. Je croyais qu’il consommait de l’alcool. » Toutefois, elle allait vite comprendre que son aîné travaillait pour le compte d’un trafiquant. « Il rentrait dans un état second, mais aussi avec de l’argent. Lorsque je lui demandais d’où provenait ces liasses de billets, il disait que ce n’était pas à lui. » Il passe ses journées à dormir, ne fait pas le ménage et ne contribue pas aux dépenses de la maison. Le fils de Katie sort durant la nuit et parfois toute une journée, dépendant de la période. Les fins du mois, il passe son temps dehors, raconte la mère. Cela exaspère Katie. Elle a fini par craquer et l'a dénoncé à la Brigade pour la Protection des Mineurs, à l’Adsu et même à la Child Development Unit (CDU). Depuis janvier, elle frappe à toutes les portes pour chercher de l’aide. Elle a même forcé le jeune homme à consulter un psychiatre. « Il promet de quitter ce milieu, mais finit toujours par y retourner. Je veux qu’on enferme mon fils. »

Selon Katie, c’est la seule solution pour qu’il quitte ce réseau. Or, la justice ne l’entend pas de cette oreille. La semaine dernière, la magistrature de la Cour de Grand-Port lui a fait savoir qu’il faut que son fils entame un traitement à l’hôpital psychiatrique de Brown-Séquard. « Je ne pourrais pas l’accompagner chaque jour, il faut l’enfermer pour son bien. Je perds mon fils, aidez-moi », pleure cette mère.

Jonas : «Mo gagn de fwa plis ki enn mason»

Les rues moites portent toujours les traces du ruissellement de la pluie de la veille. Jonas est là, avec comme habit d’hiver un short de surfeur en nylon et un t-shirt portant des graffitis de gangster. L’adolescent est loin d’être un gangster, même s’il glisse un juron dans chaque phrase. Il nous vouvoie tout en baissant les yeux vers ses savates usées. Dans un quartier du Sud-est, Jonas est un parmi plusieurs jeunes à avoir rejoint le trafic de drogue synthétique. Il en vend pour le compte d’un ami afin de pouvoir se payer sa dose quotidienne. « Mo anvi sorti, selman mo pa kapav », dit le jeune homme qui a arrêté l’école il y a deux ans. Il a cessé de travailler sur des chantiers, car il ne touchait que Rs 800 par jour contre Rs 1 000 à Rs 1 500 tout en livrant de la drogue. « Mo gagn de fwa plis ki enn mason, pena pou mars dan soley, lev blok, pena pou gagn lekor fermal. »

Le jeune homme tient dans ses mains une dose, du papier alu qu’il ouvre avec ses ongles. Ses mains tremblent. À cela, il répond que lorsqu’il ne fume pas, il tremble. Jonas n’a aucune idée que cette substance risque de le tuer. « Si fim boukou kapav vinn fou mo finn tann dir ». Il cite l’exemple de son cousin qui l’accompagne. Ce dernier chante pendant qu’on discute, il n’est pas connecté. Jonas nous raconte qu’il a commencé à perdre la tête en fumant trop de drogue synthétique. Toutefois, cela ne l’empêche pas de porter des liasses de billets de Rs 1 000 et de Rs 2 000 (provenant de la vente des doses).

Pour se la jouer gangster, les deux jeunes entrent souvent dans une boutique pour acheter deux cigarettes et une boisson gazeuse avec un billet de Rs 2 000. À 16 ans, Jonas n’est pas scolarisé, il a abandonné ses études secondaires en Form II. Il raconte que sa première bouffée de drogue synthétique, il l’a prise à l’âge de 11 ans. Ce n’est qu’à 14 ans qu’il a compris qu’il pouvait se faire de l’argent facile en vendant de la drogue. Il a commencé par livrer des doses pour Rs 50 par livraison. « Mo finn gete kouma koup ladrog-la ek kouma fer doz… lerla ek bann kamarad nou finn dir nou bizin al lev enn gro koup apre vande », nous raconte Jonas.

Toutefois, la compétition est rude, d’autres jeunes partagent le même territoire et pas question de voler les clients d’autrui sous peine de se faire taillader. Ses clients sont principalement des collégiens. Il achète la drogue par gramme chez un dealer du quartier pour la mélanger et la revendre. Le rêve de Jonas, c’est de contrôler un quartier, rouler en BMW, posséder une grosse cylindrée et un campement pieds dans l’eau. Pour cela, il vendra de l’héroïne s’il le faut…


Shivam Mungalia arrêté avec de la drogue dans son anus - Son père : «Mon fils a été piégé»

shivam
Shivam Mungalia.

Il n’a que 22 ans et fait déjà face à une charge d’importation de drogue. Shivam Mungalia a été arrêté le mardi 25 septembre dès sa descente d’avion. Cet habitant de Plaine-des-Papayes revenait d’un voyage d’une semaine de l’Afrique-du-Sud. Les officiers de l’Adsu et la Customs Anti-Narcotics Section (Cans) ont découvert que ce laveur de voitures avait inséré quatre boulettes bourrées d’héroïne dans son anus. Les 103 grammes sont évalués à Rs 1,5 million.

Le quartier de la NHDC de Plaine-des-Papayes est désert dans la soirée du jeudi 27 septembre. Aucun signe de trafic de drogue ni de jeunes dealers. Dans cette localité, tout le monde connaît le jeune Shivam Mungalia. À son premier délit, il est en prison. « Enn bon garson li », lâchent les habitants.

On klaxonne devant son portail, c’est sa cousine qui nous ouvre la porte. Ensuite, la tante et le père de Shivam arrivent. Après une brève explication, ils décident de nous parler au seuil de sa porte d’entrée. Son père, atteint d’un cancer, peine à parler. Il explique que son fils a été « manipulé » et « piégé ». « Mon fils est un jeune homme sans histoires, il n’a jamais eu de démêlés avec la police », lâche-t-il d’une voix tremblante.

Fils unique, il s’est jeté corps et âme dans son travail pour faire bouillir la marmite

Larmes aux yeux, il s’appuie sur le portail et semble être perdu dans son regard. Il lâche ensuite que son fils n’a ni moto ni vélo, rien.

Des responsabilités

C’est sa tante qui prend le relais en expliquant que le père n’arrive pas trop à parler. « Mon frère est atteint d’une maladie cancéreuse. Son rendez-vous est pour ce lundi à l’hôpital Victoria et nous ne savons pas comment partir. Shivam a été abandonné par sa mère à l’âge de deux ans. Il a cessé sa scolarité au collège SSS Mapou à l’âge de 15 ans. Lorsque son père est tombé malade, il a pris la barre de la maison. Fils unique, il s'est jeté corps et âme dans son travail pour faire bouillir la marmite », souligne-t-elle.

Le loyer de cette maison de la NHDC a accumulé des retards, affirme notre interlocutrice, et cela avait un impact sur la famille. « Mon neveu s’est laissé piéger. Il était venu en compagnie de policiers durant la journée et il est reparti en larmes. Il nous avait dit qu’il allait voyager bientôt et c’est finalement le 15 septembre qu’il nous a annoncé qu’il partait à l’étranger pour son travail. Il a dit qu’il retournerait le 25 septembre. Pour Shivam, seuls son travail et le gym comptent. »

La cousine de Shivam le défend en lâchant : « Peut-être qu’il avait des raisons à lui, ce qui l'a poussé à se laisser manipuler. Des retards sur le loyer ainsi que la maladie de son père. Shivam portait la casquette du responsable de la famille. Depuis sept ans, il travaillait comme laveur de voitures et il n’a jamais eu de démêlés avec la justice. »

Fils d’un dealer, il vend du gandia au collège

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Résidences Sainte-Catherine, Saint-Pierre. Cette localité a connu une progression face à la pauvreté au fil des années. Toutefois, elle possède toujours des dealers qui jonglent avec le trafic du gandia. Se composant d’une cinquantaine de maisons faites en béton et en tôle, ce quartier n’est pas également épargné par les jeunes trafiquants. Jean (prénom modifié) est âgé de 15 ans et fréquente un collège de Rose-Hill. Il a été interpellé par la direction de l’établissement scolaire en vendant du gandia dans l’enceinte même du collège. « Il proposait du gandia contre paiement aux autres élèves. Les transactions se déroulaient sur le terrain de basket-ball », raconte un de ses camarades. Dans la ruelle où il habite ou même chez les services de renseignements, cette famille est connue être mêlée au trafic du gandia. Le père avait déjà été arrêté pour trafic de gandia. Quant à Jean, il a été transféré dans un autre collège.

 

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