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Tourisme et exportation sous : la pression d’une roupie stable 

2023 sera une année de la stabilisation de la roupie, selon le ministre des Finances.

Le taux faible de la roupie, qui a duré un long moment, a boosté les revenus touristiques et du secteur de l’exportation. Le processus de la stabilisation de la monnaie locale, mené par la Banque centrale, n’est cependant pas aligné avec l’objectif du ministère du Tourisme qui s’est dévié du nombre de visiteurs.   

La roupie a, durant un temps considérable, glissé de manière inquiétante. Entre fin juin 2021 et le mois correspondant en 2022, elle s'est dépréciée de 5,4 % par rapport au dollar. Importateurs, analystes et économistes n’ont pas caché leurs inquiétudes, alors que la dépréciation influait fortement sur l’inflation importée. À tel point que voulant mettre un terme à cette situation, le ministre des Finances a laissé comprendre que 2023 sera une année de la stabilisation de la roupie. 

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deficitÀ vrai dire, les différentes interventions de la Banque de Maurice sur le marché intérieur des changes s’inséraient dans cette optique. De janvier au 6 décembre 2022, la BoM avait injecté un montant total de USD 1 Md sur le marché, ce qui a valu à la roupie de s’apprécier de 3,3 % par rapport au dollar entré le 28 septembre 2022 et la mi-décembre de la même année. Depuis, les banques commerciales réfractaires des instructions de la BoM concernant la spéculation de la roupie ont été sanctionnées et averties. 

Le Gouverneur de la Banque centrale, Harvesh Seegolam, a affirmé que la BoM interviendra de façon soutenue pour renforcer la valeur de la roupie mauricienne. Le total d’intervention de la BoM en mars s’élève à USD 30 M à des taux passant de Rs 46,50 à Rs 45,50.  Le 7 avril dernier la Banque centrale a vendu USDS 10 M à Rs 45,25 par dollar. 

Selon le dernier rapport annuel de la Banque de Maurice, le marché intérieur des changes a été revitalisé par la réouverture des frontières nationales en octobre 2021 et par le dynamisme du tourisme et d'autres secteurs d'exportation qui en a découlé. Une amélioration du niveau des ventes de devises aux banques a été constatée, avec une augmentation de 9 % des ventes totales à environ USD 3,8 Md au cours de l'exercice 2021-22.

Raffermissement de la roupie

La roupie s’est donc légèrement raffermie face au dollar. Cette politique de la Banque de Maurice ne semble pas en adéquation avec la planche de salut de Steven Obeegadoo. Le ministre du Tourisme a, ces derniers temps, soutenu à diverses reprises, que l’objectif d’accueillir 1,4 million de visiteurs pour l'exercice 2022-23 est ambitieux, mais que le but serait plutôt « d’atteindre le même niveau de recettes touristiques que le pays a enregistré en 2019 », à savoir USD 1,7 Md, soit Rs 77 Md. De janvier à octobre 2022, les recettes touristiques brutes s'élèvent à Rs 48,3 Md (USD 1,09 Md) contre Rs 50,5 Md (USD 1,44 Md) pour la période correspondante en 2019. Les revenus touristiques pour 2022 se chiffre à Rs 64,85 Md. Le taux de récupération par rapport à 2019 est de 84 %. Et parlant récemment des recettes touristiques, Jocelyn Kwok, Chief Executive Officer de l’Association des hôteliers et restaurateurs de l’île Maurice (Ahrim), estimait qu’il est tout à fait judicieux de chercher à faire durer cette tendance. « C’est une approche logique, qui correspond à notre souhait à long terme pour l’industrie », soulignait-il au Défi Quotidien. 

Ainsi, à n’en point douter, la dépréciation de la roupie rend la destination attractive, comme le précise Cédric Béguier, Head of Research and Portfolio Management International chez Ekada Capital. D’ailleurs, les dépenses des touristes, qui sont passées de Rs 38 Md en 2011 à Rs 64 Md en 2018 selon les données de Statistics Mauritius, vont dans ce sens. 

Cédric Béguier ajoute que le taux de change est l’un des facteurs influençant le plus la compétitivité du tourisme. « Les touristes sont bien informés sur les fluctuations du taux de change. L’attractivité touristique varie d’une manière inversement proportionnelle à la fluctuation du taux de change, en d’autres termes, si le taux de change d'un pays augmente, sa compétitivité touristique diminue », argue-t-il.

Les hôtels bénéficient également de « windfall profit » par le biais de la dépréciation de la roupie. « Ce n’est que récemment que la fluctuation de la roupie a été plus prononcée. Il faut cependant savoir que les charges hôtelières étaient en devises alors que la roupie se dépréciait d’une moyenne de 5 % par an », souligne Karl Braunecker, observateur du secteur touristique. 

Stabilité de la roupie

Une roupie plus stable ne sera pas sans conséquence sur le tourisme. L’impact se fera sentir, selon Karl Braunecker, par les touristes qui vont convertir leurs devises en roupies. « Les produits hôteliers se vendent dans la plupart des cas en euros. Un grand pourcentage des revenus ainsi que les dépenses des opérateurs hôteliers se font en devises », affirme l’observateur.  

Pour sa part, Cédric Béguier s’interroge sur l’objectif d’une roupie stable, alors que l’échelle de temps est indispensable. « Les recommandations du Fonds Monétaire International parlent de la roupie surévaluée de 30 %. Dans ce cas-là, nous sommes encore loin du compte. La stabilité de la roupie autour du niveau actuel aura un impact neutre à court terme et le déficit commercial devrait atteindre Rs 210 Md en 2023, selon Statistics Mauritius », selon le Head of Research and Portfolio Management International chez Ekada Capital. Le timing d’une stabilisation de la monnaie locale doit de ce fait être pris en considération. « À l’approche de la saison creuse une période de stabilisation de la devise pour préparer la haute saison semble bienvenue, car oui, l’industrie touristique induit des importations de biens et services qui ne font pas partie de la production nationale. Nous considérons le tourisme comme un facteur qui réduit une partie du déséquilibre de la balance des paiements, mais ce n’est pas une variable d’ajustement. Car pour subvenir aux besoins des touristes, il est nécessaire d’importer et, avec nos objectifs toujours plus ambitieux, il faudra importer toujours plus », conclut-il. 

Autre secteur qui risque d’être impacté par une stabilisation de la roupie est celui des exportations. Ce secteur a engendré des revenus de Rs 101,68 Md l’année dernière.

taux de change

Questions à … Amit Bakhirta, fondateur et CEO d’Anneau : « Nous devons commencer à nous diversifier loin du dollar » 

2023 sera l’année de la stabilisation de la roupie. C’est ce que font comprendre le ministre des Finances et la Banque de Maurice à travers les interventions régulières sur le marché de change. Quel est votre constat de cette politique ?
En affaires, il y a une puissante citation philosophique : « Vous devez mettre votre argent là où se trouve votre bouche ». Cela dit, il est clair que le quantum des interventions de change, soit un maigre USD 30 M depuis le début de l'année, est en contraste avec cela. Au moins USD 1 Md auraient été nécessaires pour maintenir la roupie dans la bande de négociations de Rs 40 et moins contre le dollar américain. Aussi, les conditions monétaires du pays, notamment le taux directeur, restent toujours accommodantes aux niveaux actuels et nous restons donc en retrait de la courbe. Il est clair que le marché n'a pas encore confiance dans l'engagement et la capacité de la Banque centrale à défendre la monnaie.

La faible roupie, qui a longtemps duré, a boosté les revenus touristiques et du secteur de l’exportation. Le processus de la stabilisation risque-t-il de réduire les recettes de ces deux secteurs ?
Nous devons faire très attention à cette notion fallacieuse trop simplifiée selon laquelle une roupie dévaluée ou faible augmente la valeur des exportations. Bien que cela soit mathématiquement vrai, d'un point de vue concurrentiel et absolu, les revenus sont bien inférieurs en dollars ou en euros - en termes réels. En termes réels, cela traduit au contraire un affaiblissement de la compétitivité et de la productivité du pays au niveau global. Par conséquent, une augmentation des revenus en termes de roupies diluées n'est pas un véritable coup de pouce. C'est artificiel car les dépenses et le pouvoir d'achat réels de ces revenus plus élevés ne sont pas les mêmes qu'avant ils ont été dilués. Si la stabilisation se produit vraiment de manière organique, menée par des politiques monétaires et publiques, naturellement les revenus de la roupie seront relativement plus faibles, mais en dollar ou en euro (en termes réels), nous serons meilleurs. Encore mieux pour les investisseurs étrangers dans l’économie mauricienne. La nation s'en portera mieux avec le temps, ainsi que la véritable économie sous-jacente. Cela est particulièrement vrai pour une économie « importatrice » avec des déficits courants constamment élevés.

Le terme « dédollarisation » est d’actualité. Quels sont les impacts de cette tendance sur l’économie mauricienne ? 
La dédollarisation est un processus de substitution du dollar américain comme monnaie utilisée pour le commerce du pétrole et/ou d'autres matières premières (c'est-à-dire le pétrodollar), l'achat de dollars américains pour les réserves d’un pays et pour des accords commerciaux bilatéraux ainsi que pour des actifs libellés en dollars. En d'autres termes, c'est le processus par lequel le puissant dollar perd son règne mondial ainsi que sa domination et son importance au fil du temps, dans les transactions. Cela devrait, à lui seul et singulièrement, ceteris paribus, être extrêmement positif pour notre roupie et l'économie nationale. Cependant, la fin du cycle d'un tel processus entraînera généralement une crise financière mondiale d'une ampleur rarement vue dans l'histoire moderne. Donc, en fin de compte, ce sera plus douloureux pour notre Banque centrale, notre économie, avant que ça ne s'améliore – surtout si on n’est point préparé et réactif. 

Que proposez-vous pour limiter les conséquences sur Maurice, voire pour bénéficier davantage de la dédollarisation ?
Nous devons être préparés et donc commencer à nous diversifier loin du dollar, autant que possible, à partir de maintenant surtout compte tenu du fait que les États-Unis s'engagent dans une guerre froide avec la superpuissance à venir, la Chine. Nos réserves mondiales devraient être équilibrées de manière à détenir moins d'actifs libellés en dollars, augmentant considérablement notre exposition à l'or, ainsi qu'aux actifs libellés en Yuan chinois et en euro. Notre trésorerie devrait commencer à envisager de refinancer les dettes extérieures et les lignes de crédit du pays dans d'autres devises (EURO, CNY et INR, par exemple) au lieu du dollar dont la durée de la dette et l'exposition quantique doit être minimisée de manière significative.


Les exportateurs en quête d’équilibre

Le secteur de l’exportation a enregistré, l’an dernier, une performance historique. Les revenus d'exportation ont dépassé la barre des Rs 50 Md, ce qui représente une augmentation de 17 % par rapport à 2021. L’un des facteurs ayant contribué à cette hausse est l’appréciation des devises étrangères face à la roupie. Mais la tendance risque de s’inverser avec une stabilité de la roupie.

François de Grivel, industriel : « Un euro variant entre Rs 48 et Rs 50 et un dollar variant entre Rs 44 et Rs 47 seraient idéaux »

Il est important de trouver le juste équilibre, insiste l'industriel François de Grivel.  Il soutient qu’une stabilisation de la roupie face au dollar et à l'euro permettra aux exportateurs de faire leur budget et de garantir les exportations futures. « Un euro variant entre Rs 48 et Rs 50 et un dollar variant entre Rs 44 et Rs 47 seraient idéaux », indique-t-il.  Depuis ces deux dernières années, les exportateurs ont bénéficié d’une dépréciation de la roupie, selon lui. « Avec une roupie faible, les revenus en termes d’exportation seront certainement plus élevés. Toutefois, il ne faut pas que la roupie soit trop faible aussi », dit François de Grivel, qui explique qu'il y a d'autres secteurs qui contribuent à l’économie. « Avec une roupie trop faible, les importations coûteront plus cher et cela aura un effet boule de neige sur toutes les activités économiques, y compris les exportations », fait-il valoir.


Sadhna Sokhal, directrice de Cutting Works Ltd : « Nous constatons déjà une baisse de 50% sur les revenus »

Si le secteur de la bijouterie a connu une bonne année 2022, 2023 se montre plutôt morose. C’est ce qu’avance Sadhna Sokhal. Cette dernière exporte des bijoux et pierres précieuses vers l’Europe, principalement vers l’Angleterre. « Depuis le début de l’année, je constate déjà une baisse de 50 % sur les revenus par rapport à la même période l’an dernier », dit-elle. 

Pour elle, le taux de change n’a pas vraiment d’influence sur les revenus. « Par exemple, si je fais une vente de Rs 100 000, mon client paiera le même montant, mais en livres sterling. Il se peut que je puisse bénéficier en fonction du taux de change du jour, mais ce bénéfice est négligeable », explique-t-elle. Sa préoccupation demeure plutôt la baisse du pouvoir d’achat dans les marchés étrangers. « Les bijoux ne sont pas une priorité pour les gens. Avec les taux d’intérêt qui augmentent et le taux d’inflation, ils préfèrent dépenser sur les essentiels », souligne l’intervenante.

 

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