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Tabou, tensions, découverte, mésinformation… : l’heure d’une réelle éducation sexuelle à l’école a sonné

Didier Moutou, le recteur du collège Bhujoharry, « le sujet de la sexualité à l'école est toujours débattu, mais reste tabou… »
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Dans un monde où les informations circulent rapidement et parfois de manière erronée, il est essentiel de fournir aux élèves une éducation sexuelle complète et précise. Avoir les informations adéquates leur permettrait d’aborder ces sujets avec confiance et responsabilité, tout en leur fournissant les outils nécessaires pour faire des choix éclairés. 

« Les amoureux qui s’bécotent sur les bancs publics (…) En s’foutant pas mal du regard oblique des passants honnêtes ; Les amoureux qui s’bécotent sur les bancs publics (…) En s’disant des ‘je t’aime’ pathétiques ; Ont des p’tites gueules bien sympathiques… » Ces paroles d’une chanson de Georges Brassens, écrite en 1953, pourraient aujourd’hui parfaitement illustrer certains comportements des adolescents. Pour certains passants, ce genre de scène passe inaperçu. Pour d’autres, c’est embarrassant et perturbant, surtout lorsque les gestes deviennent plus explicites. 
Il y a quelques semaines, une vidéo publiée sur les réseaux sociaux a captivé l’attention de nombreux internautes. Elle montrait deux adolescents en uniforme à la gare de Curepipe. Le garçon était assis avec la fille sur ses jambes, s’embrassant, et sa main sous sa jupe… Ce spectacle a profondément choqué, y compris le ministre de l’Éducation, Mahend Gungapersad, qui a tenu à ce qu’un suivi psychologique soit fourni aux jeunes concernés.

Dans certains collèges, les toilettes sont devenues des lieux de rencontre où se nouent des relations intimes pour découvrir l’autre. La situation est telle que les responsables de certains établissements ont pris des mesures de surveillance. Cette situation met en lumière un problème plus large : le manque d’une éducation à la sexualité adaptée et structurée. 

« L’éducation sexuelle demeure fragmentaire et insuffisamment structurée dans nos écoles. Bien qu’elle soit présente dans le programme de biologie et au travers de séances sporadiques sur les valeurs sociales, elle ne répond pas pleinement aux attentes des jeunes d’aujourd’hui », confirme Yugeshwur Kisto, président de la Government Secondary School Teachers’ Union (GSSTU). Du coup, dit-il, les enseignants sont confrontés à plusieurs défis majeurs. 

Peu de ressources sur le sujet 

Il déplore également les inégalités entre les établissements. « Certains bénéficient d’interventions régulières de professionnels de la santé et d’organisations non gouvernementales (ONG) spécialisées, tandis que d’autres n’ont que peu de ressources sur ce sujet. Le manque de formation des enseignants sur ces problématiques reste un frein majeur », explique-t-il. 

Arvind Bhojun, président de l’Union of Private Secondary Education Employees (UPSEE), déplore aussi le comportement de certains élèves. « Beaucoup ne savent pas comment se comporter avec les enseignants, notamment ceux du sexe opposé. Cela découle principalement d’un manque d’information », affirme-t-il.

Selon lui, la vulgarité des images diffusées sur les réseaux sociaux et des films à caractère sexuel n’arrange rien. Ces influences extérieures exacerbent des problèmes déjà bien présents, tels que les grossesses précoces ou le manque de respect envers les enseignants. Il plaide pour une formation accrue des enseignants pour mieux encadrer cette génération.

S’adapter à tout prix 

Il devient donc de plus en plus évident que les établissements doivent s’adapter. Didier Moutou, Le recteur du collège Bhujoharry, observe que malgré les efforts pour aborder la question, la sexualité reste un sujet tabou dans certains milieux. En tant que recteur d’un collège mixte et père d’une fille et d’un garçon, en sus de voir 600 à 700 filles et garçons devant lui, il peut observer de près les manies, les comportements et les attitudes des uns et des autres. 

Il est d’avis qu’avoir des collèges mixtes est une bonne chose. « Dans la société où nous vivons, une compréhension mutuelle entre les filles et les garçons est essentielle. J’encourage les écoles mixtes, car cela favorise une meilleure compréhension entre les sexes et enseigne l’égalité dès l’adolescence. C’est essentiel pour former des adultes responsables, conscients des valeurs de respect mutuel », estime-t-il. 

Propositions 

Pour remédier à cette situation, plusieurs propositions émergent. La GSSTU plaide pour une réforme ambitieuse de l’éducation sexuelle à l’école.

Elle suggère notamment la mise en place d’une formation continue pour les enseignants spécialisés, accompagnée de la création d’un corps d’éducateurs spécialisés en santé sexuelle. Ce projet devrait être soutenu par un partenariat renforcé avec le ministère de la Santé afin de favoriser un encadrement optimal des interventions. 

En parallèle, la GSSTU propose l’élaboration d’un programme éducatif complet, adapté aux différentes tranches d’âge et intégrant des séances régulières sur la sexualité. Cela devra, selon elle, inclure le développement de supports pédagogiques modernes et contextualisés qui répondent aux réalités de notre société. 

Enfin, dans une approche holistique, l’union souligne l’importance de l’implication des parents à travers des sessions d’information régulières. Elle prône une collaboration active entre ces derniers et les psychologues scolaires pour garantir un accompagnement holistique des élèves, tout en mettant en place un système de référencement efficace pour les cas nécessitant un suivi particulier.

Ce qui se fait dans nos écoles  

Les composantes de l'éducation à la sexualité du National Curriculum Framework au niveau du primaire et du secondaire, soit de la Grade 1 à la Grade 9, sont conformes aux directives de l’UNESCO International Technical Guidance on Sexuality Education et sont en ligne avec le Mauritius Institute of Education (MIE) sur l'éducation à la sexualité. Les concepts ont été principalement intégrés dans les matières Health Education et Life Skills and Values Education du primaire et du secondaire respectivement. Cependant, certains concepts sont essentiellement abordés dans les matières suivantes : Values and Citizenship Education au primaire ainsi qu’en Biology et Technology Studies au secondaire. 

Jotee Beenud, rectrice et membre exécutif de l’United Deputy Rectors and Rectors Union (UDRRU), reconnaît qu’il y a des cas d'indiscipline liés à la sexualité dans des académies et des collèges mixtes, mais elle ne peut se prononcer quant à l’ampleur sans données officielles. 

Évoquant la gestion par les chefs d’établissements, elle souligne que : « Certainement, les collèges régionaux, que ce soit ceux des filles ou ceux des garçons, font face à des problèmes d'indiscipline, mais je peux vous assurer que la situation est gérée efficacement par les chefs d'établissements scolaires. Quant à l'indiscipline liée au sexe en particulier, les cas sont minimes dans les collèges régionaux, étant donné qu'ils ne sont pas mixtes. Ces incidents d'indiscipline se produisent le plus souvent hors de l'enceinte scolaire, par exemple, des comportements indécents en public, dans les autobus ou sur les gares ». 

Il revient que lorsque de tels incidents sont rapportés, le collège mène une enquête approfondie et prend des mesures disciplinaires appropriées en fonction de la gravité de la situation. 

Jotee Beenud, souligne également que les collèges régionaux sont bien équipés pour prévenir des cas d'indiscipline liée à la sexualité. « Nous faisons tout notre possible pour créer un environnement, où tous les élèves se sentent en sécurité et respectés. Depuis quelques années déjà, l’éducation à la sexualité fait partie intégrante du programme d'étude des élèves des Grades 7, 8 et 9 », indique-t-elle. 

Ces classes ont pour but d'éduquer les élèves sur les questions de sexualité, de consentement, de respect mutuel et de limites personnelles. Elles leur fournissent ainsi les compétences nécessaires pour naviguer dans les relations interpersonnelles de manière saine et respectueuse. Jotee Beenud avance que : « Grâce à ce programme, dès la Grade 7, les élèves sont sensibilisés sur le "Gender based Violence" avec justement pour objectif de prévenir ce problème. Il est important de souligner que l'éducation sexuelle devrait se poursuivre même au-delà de la Grade 10 à travers des causeries par des professionnels de santé et des associations spécialisées ». 

Au niveau des collèges catholiques du SeDEC, depuis 2013, le projet "Au Mystère de la Vie" a été lancé suite à la demande de Mgr Piat. Son objectif est de promouvoir une éducation affective et sexuelle adaptée pour les jeunes des collèges catholiques. Ce programme, conçu par plusieurs instances du diocèse, comprend trois volets principaux : La distribution de manuels aux élèves et éducateurs afin de guider l'enseignement et l'apprentissage de l'éducation affective et sexuelle. Les enseignants reçoivent une formation initiale rigoureuse avant de commencer à transmettre le programme en Grade 7. Cela garantit qu'ils soient bien préparés pour aborder des sujets délicats et répondre adéquatement aux questions des élèves. La formation continue a lieu chaque année pour les enseignants déjà formés, afin de maintenir et actualiser leurs compétences. Les parents sont pour leur part informés du contenu du programme éducatif, lors de causeries organisées par les éducateurs. Ils sont encouragés à discuter de ces sujets avec leurs enfants, favorisant ainsi une communication ouverte et constructive. 

Parole aux élèves du Bhujoharry College 

De gauche à droite Annaëlle Christine, Bérénice Marchevet et Kushal Bhageea
De gauche à droite Annaëlle Christine, Bérénice Marchevet et Kushal Bhageea

Kushal Bhageea (Head Boy) 

« Dans notre pays, nous avons des collèges mixtes, des collèges de garçons et des collèges de filles. Je suis au collège Bhujoharry depuis sept ans et la complicité est présente. L'atmosphère est unique. Nous partageons beaucoup d'idées. Ce qui nous permet d’avancer en respectant l’autre. » 

Annaëlle Christine 

« Le collège est notre deuxième maison. Vu que c’est un collège mixte, les garçons et les filles apprennent à cohabiter. Il y a une compétition saine, pas de conflits ni de violences. Dans les compétitions sportives, tout le monde encourage  tout le monde. Nous mettons l'accent sur les valeurs. »

Bérénice Marchevet 

« Je suis nouvelle au collège. Avant j'étais dans un collège de filles. Au début, j'avais des appréhensions, mais maintenant, ça va mieux. J'ai des amis garçons et filles qui m'aident et qui m'encouragent dans beaucoup de choses. Ceux qui m'ont dit que j'arriverais à comprendre la façon de penser des autres avaient raison. Cette situation me permet de grandir et d'adopter un comportement agréable. Nous arrivons à communiquer et à comprendre le sexe opposé. Ce qui facilite les choses pour que tout se passe bien. La cohabitation nous permet de développer un environnement stable et nous enseigne à être de futurs parents et collègues… »  


L'Action Familiale pour une éducation sexuelle positive 

Agnès Mallet, éducatrice et coordinatrice du Département Jeunes à l’Action Familiale, explique que l'organisation offre une éducation sexuelle aux jeunes âgés de 10 à 20 ans dans les écoles et collèges. C'est-à-dire de la Grade 5 à la Grade 13. Elle souligne que l'Action Familiale collabore avec le ministère de l'Éducation et le SeDEC, touchant environ 2 500 jeunes par an. 

En dehors des écoles, les éducateurs travaillent également avec des groupes comme des ONG, des centres de jeunesse, des paroisses et différentes associations comme les mouvements de scoutisme. Le programme d'éducation à la sexualité, Family Life Education, est adapté à l'âge des enfants et n'est pas uniforme pour toutes les classes. 

À Maurice, comme ailleurs dans le monde, le sujet de l'éducation sexuelle est souvent mal perçu. Certains parents craignent que les informations fournies ne correspondent pas à leurs convictions personnelles ou aux valeurs familiales. Cependant, Agnès Mallet assure que le programme est basé sur des valeurs telles que le respect, la dignité humaine, l'empathie, l'égalité, l'estime de soi et la responsabilité entre autres. « Le programme met en avant l'aspect positif de la sexualité, la présentant comme quelque chose de beau et de merveilleux, loin des images véhiculées par les réseaux sociaux. Cette approche vise à protéger la santé des jeunes et à favoriser leur bien-être et leur épanouissement, tout en les préparant à leur vie d'adulte. Les élèves sont encouragés à poser des questions librement, bien que certains parfois se sentent gênés en classe », avance-t-elle. 

Agnès Mallet exprime sa tristesse face aux vidéos véhiculées sur les réseaux sociaux ou aux comportements de certains jeunes. Elle déplore que ces derniers ne réalisent pas que mieux connaître son corps, les aidera à se respecter eux-mêmes et à respecter les autres. Elle insiste sur l'importance d'éduquer les jeunes, de respecter l'innocence des enfants et de délivrer les informations de manière appropriée. 

Agnès Mallet est convaincue que l'éducation affective et sexuelle est une manière efficace pour protéger la santé des jeunes et assurer leur bien-être et leur épanouissement. Tant que ceci est fait par des éducateurs formés, professionnels et passionnés par l'accompagnement des jeunes.

 

 

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