
Après deux décennies à la tête de la Mauritius Revenue Authority, Sudhamo Lal passe le flambeau. Dans cet entretien, il revient sur les défis relevés, les mutations technologiques menées et la culture d’excellence instaurée au sein de l’institution. Entre fierté du chemin parcouru et lucidité sur les enjeux futurs, il partage aussi sa vision du leadership et livre des conseils à ceux qui continueront l’œuvre entamée.
Quelle est, selon vous, votre plus grande réussite après 20 ans à la tête de la MRA ?
Être à la tête de la MRA pendant 20 ans a été un grand honneur. Je suis extrêmement fier d’avoir participé à cette aventure remarquable, en dirigeant une équipe dévouée qui a contribué à façonner une institution jouant un rôle essentiel dans le développement du pays. Quand je regarde en arrière, ce qui me marque le plus, ce n’est pas un projet ou un jalon particulier, mais la transformation de la MRA, passée du statut de nouvelle institution à celui de modèle d’excellence dans la Fonction publique. Fonder la MRA en 2005 était un défi de taille. Nous posions les bases d’un organisme devant être à la fois techniquement compétent et irréprochable sur le plan éthique.
Publicité
Je suis fier d’avoir contribué à bâtir non seulement une autorité fiscale, mais aussi une institution publique en laquelle les Mauriciens peuvent avoir confiance. Aujourd’hui, la MRA est synonyme de professionnalisme, d’innovation et d’intégrité, non seulement à Maurice, mais dans toute la région et au-delà. Pour moi, c’est cela la plus grande réussite : avoir instauré une culture de l’excellence, durable et évolutive.
Comment la MRA a-t-elle évolué au cours de votre mandat en matière de transformation numérique, d’efficacité et de qualité de service ?
Au départ, le système était encore largement basé sur le papier et très manuel. Il m’est apparu que l’avenir de l’administration fiscale serait numérique. Nous avons donc adopté cette voie tôt et avec détermination. Du déploiement de la déclaration en ligne aux systèmes de dédouanement en temps réel, en passant par l’analyse de données et l’intelligence artificielle, chaque innovation a été mise en œuvre avec un seul objectif : rendre la conformité fiscale plus simple, plus rapide et plus transparente. Aujourd’hui, la MRA est un leader de la transformation numérique de la fiscalité en Afrique.
Nous avons aussi changé notre perception du contribuable : non plus comme un sujet à surveiller, mais comme un citoyen à servir. Notre modèle de prestation de services est devenu plus centré sur le client. Qu’il s’agisse de simplifier la déclaration ou le traitement des remboursements, notre priorité a toujours été de rendre le système équitable, accessible et efficace.
Quels ont été les défis les plus importants que vous avez rencontrés, qu’ils soient politiques, économiques ou structurels, et comment les avez-vous surmontés ?
Chaque parcours de leadership comporte son lot de défis, et le mien n’a pas fait exception. Nous avons traversé des périodes de ralentissement économique, des crises financières mondiales et, bien sûr, la perturbation sans précédent causée par la pandémie de COVID-19. J’ai eu la chance de bénéficier du soutien constant des gouvernements successifs durant tout mon mandat à la MRA. Ce soutien m’a permis de me concentrer sur le cœur de la mission de l’institution sans distraction. Il a joué un rôle crucial dans l’évolution de la MRA en une organisation moderne, efficace et respectée, résolument engagée dans l’excellence de l’administration fiscale et contribuant au développement national.
Notre stratégie a toujours été fondée sur la transparence et le dialogue. Nous avons maintenu des canaux de communication ouverts avec les parties prenantes, les ministères, les entreprises, la société civile et le grand public. Nous avons également beaucoup investi dans le renforcement des capacités et de la résilience institutionnelle. À travers tout cela, nous sommes restés guidés par une vision claire qui est de servir le pays avec intégrité, professionnalisme et excellence. Cette clarté d’objectif nous a aidés à traverser même les périodes les plus turbulentes.
La conformité fiscale et les contrôles ont toujours été des domaines sensibles. Comment avez-vous trouvé l’équilibre entre l’éducation du contribuable et la répression ?
J’ai toujours cru que la grande majorité des gens veulent faire ce qui est juste. Ils ont simplement besoin d’un système qui facilite et encourage la conformité. C’est pourquoi nous avons mis autant l’accent sur l’éducation, la sensibilisation et la simplification. Nous avons lancé des campagnes de sensibilisation publiques régulières, des programmes dans les écoles et des guides fiscaux simplifiés. Notre équipe a également engagé un dialogue actif avec les entreprises et les associations professionnelles pour démystifier les obligations fiscales.
En même temps, la crédibilité de tout système fiscal repose sur une application rigoureuse. Nous avons été intransigeants en matière d’évasion délibérée et de fraude. L’application de la loi s’est faite avec équité, et nous avons toujours offert aux contribuables un moyen de régulariser leur situation. Notre philosophie était simple : éduquer d’abord, sanctionner si nécessaire, et toujours agir avec transparence. Cette approche a contribué à créer une culture de conformité volontaire qui, je l’espère, restera l’une des forces majeures de la MRA.
Sous votre direction, la MRA s’est bâti une réputation de professionnalisme et de transparence. Quelles sont les valeurs internes ou stratégies qui ont permis de maintenir cette culture ?
La culture, dans toute organisation, est à la fois fragile et fondamentale. Nous avons pris grand soin de construire une culture fondée sur des valeurs, dès le départ, axée sur l’intégrité, le respect, la responsabilité et le service. Nous avons intégré ces valeurs dans tous les aspects de notre travail, de nos processus de recrutement et d’intégration à nos systèmes d’évaluation de la performance. Nous avons exigé des standards élevés, mais aussi instauré une culture de reconnaissance et de soutien. La formation à l’éthique était obligatoire, les dirigeants devaient incarner les comportements attendus, et les contrôles internes ont été constamment renforcés. Nous avons également favorisé le dialogue et les retours en interne. Une organisation transparente est celle où chacun se sent écouté et responsable. Avec le temps, ces pratiques sont devenues bien plus que de simples politiques : elles font désormais partie de l’ADN de la MRA.
Comment votre style de leadership a-t-il évolué au fil des années, à mesure que l’organisation gagnait en complexité ?
Au début, je devais diriger en étant très présent. L’organisation avait besoin d’une direction claire et d’une main ferme. Mais à mesure que nous avons mûri, j’ai appris à diriger davantage en retrait, à déléguer, à coacher, à guider plutôt qu’à commander. J’ai compris la valeur de l’écoute, pas seulement des rapports et des chiffres, mais des personnes. Certaines de nos meilleures idées sont venues de jeunes agents sur le terrain. À mesure que l’organisation grandissait, mon appréciation pour l’humilité dans le leadership s’est renforcée. Il faut faire confiance à ses équipes, et leur laisser l’espace de diriger à leur tour.
Le leadership, j’en suis convaincu, ne repose pas sur le pouvoir, mais sur la capacité à inspirer confiance. Si j’ai réussi en ce sens, c’est parce que je ne me suis jamais vu au-dessus de l’organisation, mais comme une partie intégrante de celle-ci.
Quelles leçons avez-vous tirées de la gestion d’une institution aussi stratégique que vous souhaiteriez transmettre à votre successeur ?
D’abord, protéger l’intégrité de l’institution avant toute chose. Les autorités fiscales vivent ou meurent par la confiance du public. Cette confiance met des années à se construire et peut se perdre en un instant.
Ensuite, investir dans les Quels sont les défis ou priorités clés que la MRA devra relever dans les cinq à 10 prochaines années ?
Nous entrons dans une ère où l’administration fiscale sera plus complexe, plus numérique et plus mondialisée. L’essor de l’économie numérique, des crypto-actifs, des transactions transfrontalières et des nouveaux modèles économiques mettra à l’épreuve l’agilité de la MRA. En parallèle, les attentes du public augmentent. Les citoyens exigent plus de transparence, de commodité et de responsabilité. Répondre à ces attentes tout en protégeant l’intégrité du système fiscal sera un exercice d’équilibre délicat.
En interne, la gestion des talents sera cruciale. Il faudra s’assurer que la prochaine génération de professionnels de la fiscalité soit dotée non seulement de compétences techniques, mais aussi de sens éthique et stratégique. Sur le plan externe, la coopération internationale sera essentielle. Maurice doit rester activement engagée dans les discussions fiscales mondiales, tout en alignant ses systèmes sur les normes internationales en évolution et en défendant ses intérêts avec clarté et détermination.
Pensez-vous que Maurice est sur la bonne voie en matière de politique fiscale et de viabilité budgétaire ? Quels aspects restent à améliorer ?
Maurice a pris des mesures audacieuses au fil des années pour construire un système fiscal compétitif, transparent et aligné sur ses objectifs de développement. Nous avons accompli de grands progrès, notamment en adoptant les meilleures pratiques internationales et en modernisant l’administration fiscale. Cependant, la viabilité budgétaire reste un défi permanent. Il faut élargir l’assiette fiscale. Nous devons aborder plus fermement des questions comme l’érosion de la base, la fiscalité numérique et l’économie informelle. Il est aussi temps de repenser la manière dont nous communiquons la valeur de l’impôt au public. Les impôts ne sont pas qu’un coût, ils sont le prix à payer pour une société civilisée. Revoir ce discours est essentiel pour assurer une conformité durable et une bonne santé budgétaire.
Maintenant que vous quittez vos fonctions, quels sont vos projets : retraite, nouveaux défis professionnels, ou contribution sous une autre forme ?
Après deux décennies de travail intense et profondément gratifiant, je compte prendre un peu de temps pour me reposer et réfléchir. Mais je ne me vois pas me retirer complètement. Il reste encore beaucoup à faire, que ce soit en encadrant les futurs leaders, en conseillant sur les réformes fiscales dans la région, ou en contribuant aux efforts internationaux de renforcement des institutions publiques. Le service a toujours été ma vocation. Je ne suis plus Directeur Général, mais je reste un citoyen profondément engagé dans le progrès de Maurice et l’excellence de son service public.
Le leadership n’est jamais un parcours solitaire. Tout ce que la MRA a accompli, elle le doit au travail acharné de milliers d’agents dévoués, au soutien des gouvernements successifs et à la confiance du peuple mauricien. Je suis honoré d’avoir pu jouer un rôle dans cette histoire extraordinaire. En passant le relais, je le fais avec fierté, espoir et une profonde gratitude. La MRA n’est pas seulement un héritage, c’est une institution vivante avec un avenir prometteur. Et pour moi, cela a été l’honneur d’une vie.

Notre service WhatsApp. Vous êtes témoins d`un événement d`actualité ou d`une scène insolite? Envoyez-nous vos photos ou vidéos sur le 5 259 82 00 !