Depuis samedi, des mesures restrictives pour éviter le gaspillage d’eau en cette période de sécheresse sont en vigueur. Il est interdit d’utiliser un tuyau d’arrosage, un arroseur ou tout appareil à pression d’eau « sans excuse valable » ou encore de « manière inutile ». Des mesures qui sont loin de faire l’unanimité.
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« Où sont les mesures d’accompagnement pour les planteurs ? »
La colère gronde du côté des planteurs. Depuis le samedi 17 décembre, des restrictions concernant l’utilisation de l’eau sont en vigueur. Des mesures qu’ils sont nombreux à qualifier de « coup de massue ». D’autant qu’ils étaient déjà affectés par la sécheresse qui sévit actuellement.
Kaviraj, planteur de légumes à Glen-Park, est très remonté. « Généralement, en cette période, nous essayons tant bien que mal de puiser l’eau de la rivière à travers des installations pour l’irrigation en raison des restrictions imposées par l’Irrigation Authority », fait-il savoir. Lui, dont les activités agricoles s’étendent sur un terrain de 16 arpents, a fait le choix de limiter ses plantations sur deux arpents à proximité de la rivière.
« Mais avec les rivières asséchées et les nouvelles mesures en vigueur, nous n’avons plus de recours. La situation est grave. Nous ne pouvons que prier pour que la pluie soit généreuse dans les jours à venir », lance Kaviraj.
Il ne cache pas sa colère contre les autorités. « On nous a oubliés. Personne ne parle de la souffrance des planteurs. On impose des mesures radicales, mais où sont les mesures d’accompagnement ? » Le planteur déplore un manque de vision et d’anticipation. « C’est ça, le drame à Maurice. On parle de progrès... Me si ou pa kav asir sekirite alimanter ou pou voyaz dan metro vant vid ? »
Le même mécontentement se fait sentir du côté de Rajesh, un planteur de Triolet. Il raconte qu’il était content d’avoir pu négocier avec l’Irrigation Authority pour que ses confrères et lui puissent avoir de l’eau au moins trois fois par semaine. Il est cependant tombé des nues face aux nouvelles mesures en vigueur.
Il s’appesantit sur la mauvaise gestion de l’eau, notamment au niveau de l’irrigation. « Il y a des endroits où l’eau est gaspillée avec insouciance. Et lorsqu’il pleut, le système d’irrigation continue la fourniture. C’est du gaspillage ! Aujourd’hui, on en fait les frais », lâche-t-il.
Rajesh estime qu’il aurait fallu remédier à ces lacunes afin d’assurer une meilleure gestion de l’eau. « Aujourd’hui, cela nous aurait sauvé la mise. Ces nouvelles mesures nous coupent l’herbe sous les pieds. »
La consommation et les besoins du quotidien sont la priorité»
Le planteur avance que « si la situation ne s’améliore pas, nous n’aurons d’autre choix que d’entamer un dialogue sérieux sur la marche à suivre avec le ministère ».
Les Car Wash à la peine
Du côté des opérateurs de Car Wash, les nouvelles mesures en vigueur sont mal accueillies. Surtout en raison du flou quant aux termes utilisés dans le communiqué annonçant les restrictions. L’incertitude plane quant à la continuité de leurs activités.
D’ores et déjà, fait savoir Jamil, propriétaire de Quick Carwash à Eau-Coulée, les opérateurs ressentent le poids de ces restrictions concernant l’utilisation de l’eau. « Si elles restent en vigueur jusqu’à fin décembre, nous ne sommes pas sûrs de soutenir nos activités. »
Il s’efforce à songer aux alternatives. Il fonde notamment ses espoirs sur la collecte de l’eau de pluie. Il a installé un système de récupération pour les besoins des stations de lavage. Le hic : tout dépend des caprices de Dame Nature.
« C’est une situation délicate, car nous devrons dépendre de la pluie pour procéder au lavage. Autrement, la continuité des activités sera impossible avec ces nouvelles restrictions », souligne-t-il.
Du reste, fait comprendre Jamil, changer de mode opératoire du jour au lendemain n’est pas si facile. « Le lavage à sec et à la vapeur sont également des options. Toutefois, ce n’est pas aussi efficace. Le résultat n’est définitivement pas le même. En sus, ça demande un gros investissement. Par ailleurs, comme ce n’est pas un moyen de lavage courant à Maurice, nous serons dans l’incertitude quant à son adoption par les clients », fait-il ressortir.
Du côté de Wieberr Group Mtius Ltd, sise à Quatre-Bornes et Tamarin, l’impact des mesures restrictives s’est fait ressentir dès le premier jour. « Durant le week-end, je reçois entre 20 et 25 véhicules en moyenne, mais aujourd’hui (NdlR, samedi) je me retrouve avec cinq véhicules seulement. Le nombre de véhicules a drastiquement baissé depuis l’entrée en vigueur de ces mesures contre le gaspillage d’eau », dit Arvy Erriah, le directeur.
Il est d’avis que ces mesures seront un obstacle de taille pour ses activités, surtout durant le week-end. Il entame les semaines à venir avec beaucoup d’appréhension.
Comme son confrère de Quick Carwash, il a également envisagé la collecte de l’eau de pluie, l’achat de l’eau ou même le lavage à l’appareil à vapeur. Cependant, « dans la pratique et la durée », Arvy Erriah estime que c’est difficile à réaliser.
Il fait un appel aux autorités pour trouver des alternatives afin de soutenir les stations de lavage et ainsi assurer leur survie en cette période difficile.
Utilisation inutile, excuse valable… : éclaircissements
« Utilisation inutile », « excuse valable »… De nombreux Mauriciens peinent à comprendre les termes des nouvelles mesures en vigueur depuis samedi. Éclaircissements avec Sunil Gopal, chargé de communication à la Central Water Authority (CWA).
Que signifie concrètement « utilisation inutile » ? « Les fêtes de fin d’année pointent à l’horizon. Traditionnellement, les Mauriciens s’adonnent au grand nettoyage en cette période. Par conséquent, ils utilisent beaucoup d’eau pour brosser le sol, arroser la pelouse, entre autres. Ce sont des choses que nous demandons d’éviter en cette période de sécheresse aggravée », dit Sunil Gopal.
Les Mauriciens, souligne-t-il, sont appelés à utiliser l’eau judicieusement. « La consommation et les besoins du quotidien sont la priorité », précise-t-il.
Sunil Gopal rappelle qu’une campagne de sensibilisation contre le gaspillage d’eau a été entamée au début de la période de sécheresse à travers les médias. Sauf que, face à la « résistance » de certains Mauriciens, les autorités ont opté pour la manière forte afin de sensibiliser sur la gravité de la situation.
« L’idée est de provoquer une prise de conscience quant à cette situation pénible. La CWA a entamé plusieurs projets pour soulager les régions les plus affectées et nous avons besoin de la contribution de tous les Mauriciens pour trouver la lumière au bout du tunnel », avance Sunil Gopal.
Et que veut dire « without reasonable excuse », terme utilisé dans le communiqué du Conseil des ministres du vendredi 16 décembre ? « L’utilisation de l’eau doit se limiter uniquement aux besoins les plus essentiels », répond Sunil Gopal.
Et qui se chargera de déterminer si l’utilisation de l’eau est inutile et si une excuse est valable ou pas ? « Maintenant que les Central Water Authority (Dry Season) Regulations 2022 sont promulguées, tout acte rapporté à la police concernant le gaspillage d’eau sera sanctionné. Les gens y réfléchiront à deux fois avant de gaspiller l’eau. »
Réactions
Raj Soodeehul, 67 ans, de Moka : «Ces mesures ne font aucun sens !»
Raj Soodeehul, 67 ans, peine à comprendre la mise en place des mesures qu’il qualifie de « draconiennes ». L’habitant de Moka déplore notamment le manque de considération des autorités face à la souffrance des foyers affectés.
« Trop, c’est trop ! Nous souffrons déjà d’une restriction d’eau sévère en termes de fourniture. Les autorités font la sourde oreille. Ceux ayant le luxe d’avoir un réservoir d’eau peuvent s’en sortir. Mais ceux moins fortunés sont toujours pénalisés », s’insurge-t-il.
Selon Raj Soodeehul, l’eau coule à peine. « La question de gaspillage ne se pose même pas. Ces mesures draconiennes ne font aucun sens ! »
Il montre du doigt une mauvaise gestion des ressources. « Le problème de la sécheresse ne date pas d’hier. Dès le début, les autorités n’ont pas su gérer et exploiter nos ressources en eau. Il fallait prévoir, ce n’est pas maintenant qu’on va sensibiliser sur le gaspillage d’eau ! » tempête-t-il.
Son agacement est attisé par ce qu’il qualifie de « mesures mal définies » accompagnées « d’une loi qui fait peur aux gens ». « Qu’est-ce que ça veut dire “utilisation inutile” ? Qu’est-ce que ça veut dire “without reasonable excuse” ? Et qui se chargera de déterminer ce qu’est l’utilisation inutile et si une excuse est valable ou pas ? C’est le même principe que les abus concernant les contraventions pour le port du masque pendant la pandémie. Je suis contre ! » tonne Raj Soodeehul.
Edwardo Salvara, 25 ans : «Les conditions ne sont pas claires»
Edwardo Salvara demande à être éclairé sur les restrictions d’eau en vigueur depuis samedi. « En d’autres mots, il ne faut plus arroser et nettoyer ? Il ne faut utiliser l’eau que pour boire ou juste se doucher ? Déjà, les conditions ne sont pas claires. »
Le jeune homme, qui mise sur l’autosuffisance alimentaire, dit nager dans le flou total. « Pour moi, ça veut dire qu’on n’a pas le droit d’arroser son jardin ou même sa plantation. Donc, quoi faire des légumes et de son potager ? » s’interroge-t-il.
Devant la sécheresse sévère et prolongée qui frappe Maurice de plein fouet, il craint le pire. « On fait face à ce problème chaque année et jusqu’à présent aucune mesure durable n’a été mise en place. Je crains que les restrictions soient plus drastiques dans les semaines à venir, notamment une fourniture réduite à une ou deux heures par jour. »
Fawzee Barkhut, 46 ans, de Bambous : «Qu’il n’y ait pas deux poids et deux mesures»
« Ces mesures sont bienvenues dans le contexte actuel », dit d’emblée Fawzee Barkhut, 46 ans. Toutefois, l’habitant de Bambous veut savoir si celles-ci s’appliqueront à tout le monde.
« Ayant témoigné du gaspillage d’eau de 15 à 20 m³ par jour dans les piscines des villas IRS en cette période et l’irrigation des terrains de golf dans les hôtels, j’espère qu’il n’y aura pas une politique de deux poids et deux mesures », lance-t-il.
Pour le quadragénaire, la sensibilisation au gaspillage d’eau et les mesures préventives doivent se faire toute l’année. Et d’attirer l’attention des autorités sur le gaspillage d’eau provenant des tuyaux cassés. « Je fais un appel aux autorités pour miser davantage sur l’entretien des tuyaux. Car les tuyaux qui restent cassés pendant des mois et des mois avant d’être réparés sont une grande source de gaspillage. L’exemple doit également venir des autorités concernées », fait-il remarquer.
Face à la situation, Fawzee Barkhut estime que des solutions à long terme doivent être trouvées. « Nous investissons dans des projets d’envergure pour le développement de l’île Maurice. Pourquoi ne pas miser sur le captage de l’eau de pluie notamment ? »
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