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School Drop-outs - Enfants hors-système mais pas hors-jeu ! 

Cela fait un an qu'Alvin est "en vacances".
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En 2017, 929 élèves quittent le secondaire avant l'âge de 16 ans. Ce chiffre sera mis à jour puisque le ministère de l'Éducation compile les données de 2018. C’est la réponse de Leela Devi Dookun-Luchoomun, le 23 avril dernier, à une question parlementaire d’Aurore Perraud. Si certains enfants ont intégré des formations techniques, d’autres sont dans des établissements publics et privés ou dans des écoles informelles gérées par des ONG. C’est le cas d’Alvin D., 12 ans, qui est chez Safire depuis un an.  


Alvin D. (12 ans) : «Je ne vais plus à l’école depuis un an» 

Après le trajet en autobus de Beau-Bassin à Verdun avec Géraldine Manuel, l’éducatrice des rues de Safire, Alvin D. 

(12 ans) prend un verre d’eau. Avant de s’affaler sur une chaise pour raconter son histoire… Les cheveux en bataille, il regarde tantôt le plafond, tantôt ses baskets.  Il dénoue son pull de ses hanches pour se couvrir le visage. C’est un geste qui revient à chaque fois qu’il refuse de répondre à une question. Selon lui, cela porte atteinte à sa vie privée. Eh oui ! À 12 ans, il en a une, dit-il. 

Alvin, pourquoi as-tu abandonné l’école ? Avec un sourire moqueur, il répond : « Apre Form I, mo lekol inn ferme. Ti bizin rant dan enn lot. Mais ti bizin aste iniform ek tou ban zafer. Pann kapav. Lerla monn ress lakaz. » Il esquive toute question relative à ses enseignants et ses camarades de classe. En déchiffrant son langage corporel, on comprend d’emblée qu’il a eu des soucis. Au fil de la conversation, le gamin laisse échapper : « Banla ti p ekrir ban zafer lor tablo. Apre zott dir profesere mwa sa. Alor ki mo pas ti mem lekol sa zour la. Toultan mwa ki gaygn problem. »  

Brimades à l’école

Tout laisse penser qu’il a été victime de brimades à l’école.  Mais vu son tempérament, Alvin n’est pas du genre à se laisser faire. Pour le comprendre, on remonte à son enfance. Il confie qu’il connaît peu son père. Il a un frère de 15 ans qui est aussi accompagné par Safire. Sa sœur, 18 ans, est scolarisée dans un collège à Curepipe. Sa mère, 40 ans, fait le ménage chez des gens. Elle travaille aussi comme garde-malade mais elle est actuellement au chômage. 

Comment ça va avec maman ? Dans un premier temps, le garçonnet ne répond. Puis, avec des larmes qui perlent aux yeux, il lâche : « Tou dimoun kontan zott mama. »  Impossible de lui en faire dire plus. Alvin essaie de brouiller la conversation tout en calmant ses émotions. Nerveux, il bouge constamment ses jambes. On y voit des tâches de brûlure. On le questionne. « Enn mo boper ti pe sof kouyere lor dife apre li ti p bril mwa. Guet la. ankor ena ici. Souvan li ti pe lagere ek mo mama. Pa kone ki li ti pe gaygne ar mwa. » Alvin nous fait d’autres confidences qui aident à mieux comprendre son amertume. 

Puis, il fait comprendre qu’il n’a plus envie de continuer la conversation. Sans le brusquer, on lui demande ce qu’il fait de sa journée. « Je n’arrive pas à me lever tôt, car j’ai des conversations et des plaisanteries sur WhatsApp jusqu’aux petites heures du matin avec mes amis (âgés entre 13 et 15 ans). » À son réveil, Alvin prend un petit-déjeuner composé de lait et de céréales. Ensuite, il vaque à ses occupations. S’il ne retourne pas la maison de fond en comble juste pour agacer sa maman, il part en vadrouille dans sa localité. Dans l’après-midi, il se rend chez son meilleur copain pour jouer à la console. Il ne rentre chez lui qu’à la tombée de la nuit. « Je suis en vacances depuis un an ! » ironise-t-il dans un grand rire. 

Ce serait bien si je pouvais juste dormir... mais je sais que je vais devoir me réveiller chaque matin… "

Cela ne va pas durer. En effet et de concert avec sa mère, Safire a déjà enclenché des démarches pour qu’Alvin réintègre le système éducatif ce trimestre. L’idée de reprendre l’école déplaît à Alvin mais, au fond de lui, il sait que c’est pour son bien. En attendant, il vit sa vie comme bon lui semble. Il n'a aucun rêve. Que veux-tu faire plus tard ? « Aucune idée, mais ce serait bien si je pouvais juste dormir, rétorque-t-il en souriant, mais je sais que je vais devoir me réveiller chaque matin… » Il bascule sur ses loisirs pour clore la conversation. « J’aime planter des fleurs et jouer au foot. » 

Géraldine Manuel, éducatrice des rues pour Safire depuis 2010, raconte sa rencontre avec Alvin. C’est en 2018 et elle remarque un gosse qui achète du pain. Elle observe ensuite qu’il traîne les rues à longueur de journée. Un jour qu’ils se trouvent sur le même arrêt d’autobus et que Géraldine le fixe, Alvin lui demande : « Ou pe rod kikenn?» Elle en profite pour savoir où il habite. Alvin la conduit à sa mère à qui elle dévoile la mission de Safire. Intéressée par les services offerts, la maman est d’accord pour que son fils participe à une activité de Safire. Alvin répond présent. Depuis, il fréquente l’ONG Safire. 

Comme Alvin, dit Géraldine, il y a de nombreux enfants non-scolarisés dans cette région de Plaines Wilhems. Ils sont une quinzaine à venir au centre de jeunesse les mercredis de 16 à 18 heures. « Dans le Sud où Safire accompagne plus d’une cinquantaine de bénéficiaires, la situation est quasi la même, ajoute l’éducatrice des rues, Sheila Courtaud. L’ONG accueille des enfants au comportement difficile, non-scolarisés et issus des endroits démunis. » 


Safire : Qui sont-ils ?  

Prendre un enfant par la main est la motivation de Safire.
Prendre un enfant par la main est la motivation de Safire.
Mehdi Bundhun, Communications Officer.
Mehdi Bundhun, Communications Officer.

Le Service d’Accompagnement, de Formation, d’intégration et de Réhabilitation de l’Enfant (SAFIRE) est une organisation non-gouvernementale qui a pour vocation de venir en aide aux enfants en situation de rue à travers Maurice. Depuis sa création en mai 2006, l’ONG étend son activité dans neuf régions de Maurice. À savoir : Camp-Levieux, Baie-du-Tombeau, Beau-Vallon, Bambous, Triolet, Bois-Marchand, Bel-Air, Caroline et Riambel. Chaque année, Safire accompagne plus de 200 enfants, âgés de 7 à 16 ans, en situation de rue.

« Notre objectif est de contribuer à leur protection et leur réhabilitation tout en promouvant leurs droits et en les aidant à avancer vers demain, indique Mehdi Bundhun, le Communication Officer de Safire. Le projet de ferme pédagogique ‘Nou Laferm’, à Verdun, vise au développement des enfants bénéficiant de l’accompagnement de Safire. Y sont aussi proposées des activités pédago-éducatives variées pour apprendre à lire et à écrire, l’artisanat, la musique et l’agriculture 100% biologique et animalier. Ils font aussi du sport. »

Mehdi Bundhun ajoute que Safire s’attelle à ce que certains bénéficiaires réintègrent le système éducatif national. « S’il y en a qui ont toujours des difficultés à s’adapter, ils sont alors canalisés vers des formations professionnelles en suivant de près leur évolution dans le cadre que propose l’ONG. » À Safire, ils sont six éducateurs de rues sur le terrain pour le repérage des enfants non-scolarisés de moins de 16 ans. Actuellement, huit bénéficiaires de Safire sont à Londres pour participer à la ‘Street Child Cricket World Cup’. Ce voyage à l'étranger comprend trois volets : une plaidoirie pour leurs droits, une danse culturelle mettant à l'honneur le Séga et le Cricket. Ce sont le Coach Sylvain et le personnel de Safire (formé à ce sport) qui les y ont invités.


ritaRita Venkatasawmy : «Certains parents refusent d’envoyer leurs enfants à l’école»

Mandaté pour initier des enquêtes lorsqu’il y a des violation graves commises envers les enfants à Maurice, le bureau de l’Ombudsperson for Children, qui est indépendant, travaille aussi en collaboration avec des ONG pour la sensibilisation aux droits de l’enfant à Maurice. D’ailleurs le mardi 30 avril dernier, l’‘Ombudsperson for Children’ a organisé un atelier de travail intitulé ‘Promoting Ethical Practices by Managing Committees of NGOs Working for Children’ en collaboration avec l’‘Investigation Commission Against Corruption’ (Icac) et la ‘National Corporate Social Responsibility Foundation’ (NCSRF) avec la participation de plus de 80 ONG dans les locaux de l’Icac à Moka. Commentant les chiffres de 2017 du ministère de l’Education stipulant que 929 élèves de moins de 16 ans ont quitté le secondaire, Rita Venkatasawmy, ‘Ombudsperson for Children’ indique que plusieurs facteurs contribuent à ce problématique. À titre d’exemple : faute de transport, un enfant souffrant d’un handicap lourd ne va pas à l’école. Il y a aussi des parents qui refusent de scolariser leurs enfants. D’autres facteurs, dit-elle, sont la précarité, la grossesse précoce, la présence des fléaux dans l’environnement familial, la maltraitance, etc. 

Le mécanisme, mis en place par le ministère de l’Éducation (Extended Programme), revêt toute son importance pour canaliser ces enfants à risque d’abandonner l’école à moins de 16 ans, souligne Rita Venkatasawmy. Elle salue le travail des éducateurs de rue et les ‘Educational Social Workers’ des ONG qui aident ces enfants à avancer vers un meilleur avenir. « C’est en travaillant ensemble qu’on pourra atténuer l’ampleur de ce problème. » 


Education obligatoire jusqu’à 16 ans : Les couacs du système

En dépit du fait que l’éducation est obligatoire à Maurice jusqu’à l’âge de 16 ans depuis 2005, suite à un amendement de l’Education Act dans ce sens, on est encore trѐs loin du compte. Chaque année, des centaines d’enfants continuent à échapper à cette obligation démontrant cruellement l’impuissance des autorités d’appliquer une loi vieille de 13 ans.

En 2017, 929 collégiens, soit presqu’un millier, avaient quitté leur établissement avant l’âge de 16 ans. C’est le chiffre donné par la ministre de l’Education, Leela Devi Dookun Luchoomun, au Parlement le 23 avril dernier, en réponse à une question de la députée PMSD, Aurore Perraud.

Le ministre n'a pas fourni les chiffres pour 2018. Ceux-ci n’ont pas encore été compilés par la section des statistiques de son ministère. Leela Devi Dookun Luchoomun soutient cependant que « beaucoup de ces enfants ont ensuite rejoint les programmes techniques et vocationnels dans des institutions privées et publiques et des écoles gérées par des ONG ». 

Là encore, aucun chiffre pour quantifier ce « beaucoup d’enfants ». Comme le prouvent les chiffres, le ‘Student Tracking System’ est loin d’être au point. Un autre système existe depuis plusieurs années pour faire en sorte que les enfants et adolescents soient à l’école jusqu'à leurs 16 ans au moins. Le ministère de la Sécurité sociale paie Rs 862 par enfant aux familles figurant sur le registre social. Parmi les critères, il faut que l’enfant ait un taux de présence à l’école d’au moins 90%. Cependant, au ministère de la Sécurité sociale, l’on reconnaît qu’il y a des failles au niveau de la vérification.

Leela Devi Dookun Luchoomun souligne la complexité d’appliquer la loi dans toute sa rigueur. La section 37(2) prévoit pourtant des pénalités. Cette clause stipule que le responsable d’un enfant de moins de 16 ans qui « sans raison valable, refuse ou néglige d’envoyer l’enfant à l’école régulièrement, commet une offense et s’expose, après condamnation, à une amende ne dépassant pas Rs 10 000 et un emprisonnement ne dépassant pas deux ans ». Toutefois, aucun parent ou tuteur légal d’un enfant n’a été poursuivi jusqu’ici.

Dans sa réponse parlementaire, la ministre indique que « cela n’a pas été le cas jusqu’à présent parce que ces enfants, viennent des régions défavorisées, d’un secteur très vulnérable et qu’il y a encore de nombreux problèmes très complexes liés à leur milieu ». « Dans ce cas-là, nous suivons les enfants autant que possible et nous essayons de voir s’ils peuvent rejoindre soit les ONG ou encore la MITD. »
Elle reconnaît aussi : « Bien sûr, nous n’avons pas un système extrêmement fiable mais à partir de maintenant, avec la réforme et le suivi qui se fait pour les élèves qui sont de l’‘extended programme’, j’espère que cela nous permettra de retenir nos élèves à l’école. »

Ce n’est que depuis cette année-ci que le « student tracking mechanism », qui n’est déjà pas infaillible en soi, a été étendu aux centres de la MITD (ex-IVTB). En attendant, un grand nombre d’enfants continuent à ne pas être où ils devraient être. Soit sur les bancs d’école !

En faits :

> En 2017 : 929 élèves quittent le secondaire avant l'âge de 16 ans. 
> Certains rejoignent des formations techniques dans des établissements publics et privés.
> Certains sont dans des écoles gérées par des ONG.
> Certains errent encore dans la rue.
> Secteur préprofessionnel : 10.5% est le taux d’abandon scolaire en 2017. 
> Réformes entreprises par le ministère de l’Éducation : l’‘Extended Programme’ pour les élèves qui ne sont pas en mesure d’atteindre le niveau de compétences requis à la fin du cycle primaire. 
> L'accent est mis sur les élèves les plus vulnérables.
> Leur assiduité à l'école est contrôlée par un mécanisme de suivi des élèves. 
> 3 600 étudiants inscrits à l’‘Extended Programme’ en 2018 à la suite de cet exercice mené par les travailleurs sociaux éducatifs du ministère de l’Éducation et d'autres autorités..
> Depuis 2019 : le mécanisme de suivi des élèves a été étendu à ceux participant au MITD.
> Les raisons justifiant le départ des élèves des écoles secondaires où il a été inscrit : 
> Problèmes de santé
> Invalidité grave nécessitant des soins spécialisés
> Raisons sociales et familiales
> Certains cas : mineurs et émigration 
> Student Tracking System 

Source :  Ministère de L’Education 

 

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