Société

Scènes de vie - Perdre un être cher: Reconstruction douloureuse

Peut-on se préparer à la perte d’un être cher ? Comment se reconstruire ? Survivre à un être aimé pourrait être ce qu’il y a de plus douloureux dans la vie. « Les dieux nous envient. Ils nous envient parce que nous sommes mortels, parce que chacun de nos instants peut être le dernier; et tout est beaucoup plus beau parce que nous sommes condamnés », ont fait dire les scénaristes du film Troie à Achille, le plus valeureux guerrier de la Grèce antique.
Certes, l’homme est mortel et « condamné ». Mais ce n’est pas pour autant qu’on est préparé à la mort, surtout celle d’un être cher. « On n’est pas préparé à cela. C’est la raison pour laquelle un décès déstabilise une famille entière. C’est toujours un choc de perdre un proche de façon subite », explique la psychologue Nirmala Savrimuthu-Cartha. Et comment réagit-on ? « La réaction des gens diffère face à un tel drame. Certains ressentent une profonde tristesse, alors que d’autres laissent exprimer de la colère. Mais celle-ci, dans ces circonstances, cache au fond une profonde tristesse. À cause de la peine, beaucoup se murent dans le déni. Ils refusent d’accepter ce qui s’est passé. Plus le décès est soudain, plus le déni peut être grand », ajoute-t-elle.

À savoir

  • Pour certains scientifiques, les premières pratiques funéraires connues datent du Paléolithique inférieur (gisement de la Sima de los Huesos, Espagne).
  • La sépulture d’El Tabun, en Israël, attribuée à l’Homme de Néandertal date de 120 000 ans.
  • Dans l’Égypte antique, la famille exprime sa peine en couvrant les cheveux de limon ; chaque membre se frappe la tête avec la main gauche (main de la mort). Les hommes de la famille ne se rasent pas pendant 70 jours, ce qui correspond à la durée du cycle de l'étoile Sirius.
  • Dans la Grèce antique, la mort sans sépulture ne permettait pas au défunt de descendre aux Enfers, et il devait errer dans l'Érèbe.

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  Nirmala Savrimuthu-Cartha souligne que même le chagrin comprend plusieurs étapes. « Certains se lassent aller complètement. C’est une façon pour eux de faire leur deuil. Ils se disent qu’ils vont reprendre le cours de leur vie dans une semaine, un mois… Puis, ils vont passer par une phase de dépression. Enfin, il y a la phase d’acceptation », dit-elle. La phase de dépression est très douloureuse. « Le soutien de l’entourage est primordial. C’est la raison pour laquelle il existe des rituels autour des décès. Ce qui, dépendant des religions, permet l’accompagnement des proches pendant quelques jours. Le regroupement familial permet aux proches de se sentir moins seuls durant cette épreuve », indique Nirmala Savrimuthu-Cartha.

Évolution

Le hic, c’est qu’avec notre rythme de vie effrénée, certains rituels et habitudes ont connu une certaine évolution. « Par exemple, on est de moins en moins nombreux à assister aux veillées mortuaires. Dans le passé, il y avait tout un folklore autour de ce triste événement. Toute la famille était réunie. Tel n’est plus le cas de nos jours », explique le sociologue Chandra Rungasawmi. Cela découle, dit-il, de l’évolution de la société. « Aujourd’hui, il y a plus de personnes qui travaillent. Ce n’est pas évident de passer une nuit à ‘veiller’ sur le défunt. De plus, je constate que ce sont davantage les femmes qui sont présentes aux veillées. Il y a de moins en moins d’hommes », dit-il. Heureusement, ajoute-t-il, les gens trouvent encore du temps pour assister aux funérailles d’un proche ou d’un ami. « On prend une permission. Mais, les exigences du monde du travail deviennent de plus en plus contraignantes. En sera-t-il toujours ainsi dans quelques années ? »

Les consequences

Outre la tristesse, un décès peut aussi avoir des conséquences fâcheuses sur plusieurs autres plans. La psychologue Nirmala Savrimuthu-Cartha évoque notamment le cas d’une jeune femme, devenue veuve du jour au lendemain, qui était femme au foyer. « La perte était multiple dans son cas. Outre son partenaire de vue, c’est aussi le père de ses deux enfants et le seul gagne-pain de la famille qui a disparu. Certes, elle va bénéficier d’un soutien financier de la part des proches et d’une assistance sociale. Mais l’aide de l’État ne permet pas d’élever deux enfants et les proches ne vont pas soutenir éternellement. » Du coup, elle s’est vue dans l’obligation de se trouver un boulot. Ce qui signifie qu’elle a moins de temps qu’avant à se consacrer à ses enfants. Et, en même temps, elle se voit contrainte de tenir le rôle des deux parents. Même si, ajoute la psychologue, dans ces cas, « il y a toujours un membre de la famille qui va agir comme un/e père/mère de substitution ». Quoique, dans ces situations, les rapports ne se passent pas toujours bien entre les enfants et le/la père/mère de substitution.

S’exprimer

Quid d’un enfant ? Comment réagit-il au décès d’un de ses parents ? Pour la psychologue Nirmala Savrimuthu-Cartha, l’enfant réagira en fonction de la réaction de son père ou sa mère. « S’il voit, par exemple, qu’il/elle accepte facilement cette disparition, il va en faire de même », dit-elle. Elle explique que le deuil est également important pour l’enfant. « Cela passe par l’étape de la parole. Il faut le laisser s’exprimer. Il doit partager ses sentiments avec le parent restant, d’autres membres de la famille ou encore son prof », dit-elle. Avec un bon encadrement, ajoute-t-elle, l’épanouissement de l’enfant ne sera pas trop affecté. « Il pourra réussir son parcours académique. Mais cela dépend aussi de son caractère. Un enfant très émotif, par exemple, aura plus de mal à s’en remettre. Certains enfants sont marqués à vie, alors que d’autres s’en remettent plus facilement », ajoute la psychologue.

Marie-Lourdes: «J’ai perdu mon fils, puis mon mari»

Lors de la diffusion de l’émission Scènes de vie, sur Radio Plus, Marie-Lourdes a livré un témoignage bouleversant. Elle expliquait que perdre un enfant pouvait être « la pire souffrance qui soit ». Elle venait de perdre son fils. Il avait 30 ans. « Pourquoi Dieu n’a-t-il pas pris ma vie à la place de celle de mon fils ? C’est la question que je me posais constamment. Il avait encore tant d’années à vivre. Douler mama, se pa kan ou gagn zanfan me kan ou perdi li », dit-elle. Le défunt était chanteur. « Il y avait une grande foule à ses funérailles. Mais juste après, tout le monde avait disparu. Il n’y avait personne pour me soutenir », dit-elle. Marie-Lourdes n’avait pas encore fait son deuil qu’un nouveau malheur la frappa. Elle perd, cette fois-ci, son époux. « J’ai dû puiser dans tout ce qu’il me restait comme force, avec le soutien de mes autres enfants, pour me reconstruire. J’étais abattue. Mais après quatre mois, je me suis dit que la vie devait continuer », dit-elle.

Pas dans l’ordre des choses

En revanche, des parents qui perdent un enfant sont beaucoup plus affectés. « Aucun parent ne devrait avoir à enterrer son enfant », faisait d’ailleurs dire le réalisateur Peter Jackson au roi Theoden dans « Le seigneur des anneaux ». Ce que confirme Nirmala Savrimuthu-Cartha. « Dans la logique des choses, un parent est censé mourir après son enfant. Quand c’est le contraire qui se produit, il est normal que les parents aient du mal à l’accepter. Ils sont envahis par un sentiment de culpabilité », dit-elle. Se remémorer les moments agréables passés avec l’enfant peut certes aider. « Mais dans certains cas, les deux partenaires ont du mal à continuer à vivre ensemble et finissent par se séparer. C’est encore plus dur lorsqu’un des parents reproche cette disparition à son conjoint. De plus, comme l’enfant est devenu le socle du couple, son décès fait que tout s’écroule. Or, pour qu’un couple puisse surmonter un tel drame, le soutien mutuel est indispensable », explique la psychologue. Ce n’est pas évident aussi pour les autres enfants du couple. Les parents ont tendance à projeter sur lui l’image de l’enfant disparu.
 

Chandra Rungasawmi, sociologue: «Le meilleur soutien c’est l’écoute»

A-t-on toujours le soutien des proches en cas de décès d’un être cher ? Il est moins qu’avant. Avec l’évolution, on est, par exemple, de moins en moins nombreux à assister aux veillées mortuaires. Dans le passé, il y avait tout un folklore autour de ce triste événement, qui réunissait toute la famille. Cela a changé. Un rapport du Bureau international du travail sur les usines, datant d’il y a 40 ans, indiquait que les travailleurs s’absentaient une ou deux fois par mois pour assister à des funérailles. Mais le développement économique empêche les gens d’accomplir leur devoir de solidarité. Cela affecte-t-il les rites et les rituels ? Heureusement, ce n’est pas la foi des personnes qui est affectée. De ce fait, les rites et rituels se pratiquent toujours. Mais chacun a sa petite vie à mener. On ne soutient plus autant ceux qui sont affectés par la perte d’un être cher. Aujourd’hui, on peut entendre beaucoup de personnes dire qu’ils ne savent pas quoi dire. Ils envoient un texto ou mettent un message de condoléances sur les réseaux sociaux. Or, la meilleure façon de soutenir quelqu’un, c’est de l’écouter. Doit-on se préparer à la mort? La mort fait partie de la vie. C’est l’aboutissement de la vie. Nous allons tous mourir. On devrait pouvoir en parler ouvertement, tout en profitant pleinement de la vie. Mais cela est toujours difficile parce qu’on a peur de la mort. Mais c’est la réaction face à la mort qui importe.
 

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