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Sarojini Seeneevassen, haut-commissaire de Maurice en Australie : «Les mouvances civiles ont eu des victoires hors des urnes»

Sarojini Seeneevassen, récemment nommée haut-commissaire de Maurice en Australie, estime que les Mauriciens savent réagir quand il le faut. La fille de Renganaden Seeneevassen cite les syndicats et les mouvements citoyens qui ont remporté des victoires sans attendre les urnes. Et elle prévient : « Il ne faut pas prendre les Mauriciens pour des toutous ».

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Vous êtes une « fille de »… Comment le vivez vous ? 
C’est toujours émouvant d’entendre le respect qu’on porte encore à mon père. On me dit souvent qu’il était un grand homme, ce qui me met parfois mal à l’aise, car je me sens plutôt insignifiante face à ce qu’il a accompli en 48 ans. J’ai une immense admiration pour lui. 

C’était un homme de bonté et de gentillesse. Je pense qu’on l’aimait beaucoup. J’aimerais que tous les enfants puissent être aussi fiers de leurs parents que je le suis. Les jeunes parents d’aujourd’hui devraient penser à être des modèles. Je crois profondément qu’il y a un grand homme ou une grande femme qui sommeille en chacun de nous.

Porter le nom Seeneevassen, un patronyme cher au Parti travailliste (PTr), est-ce un avantage au sein de ce parti ? 
Je suis simple membre du PTr, présente quand il faut soutenir mon parti, mais sans me mettre en avant. Mon nom suscite de la sympathie, au-delà du parti, et cela me suffit. J’en suis comblée et je n’ai pas besoin de plus. Je bosse pour gagner ma vie comme tout le monde. 

Ce patronyme ne nous a pas enrichis financièrement. Mon père travaillait beaucoup pro bono et, à sa mort, ma mère s’est retrouvée sans moyens pour nourrir ses enfants. Amis, proches et voisins nous ont aidés jusqu’à ce qu’elle, veuve à 29 ans, commence à travailler à la Women’s Association du Sugar Industry Labour Welfare Fund (SILWF). 

Votre nomination en Australie est-elle une récompense pour ce que votre père a fait pour l’indépendance aux côtés de SSR ?
Non. J’ai déjà été ambassadrice en Allemagne en 2010, avant d’être rudement rappelée après les élections générales de décembre 2014. Il faudrait donc d’abord se demander pourquoi Navin Ramgoolam m’avait choisie à l’époque. 

Je lui avais exprimé mon intérêt pour le poste dès 2005. Cela n’a pas été difficile pour moi de respecter sa décision de donner ce poste à quelqu’un d’autre. Cinq ans après, je réitère ma demande, forte de mon expérience. J’ai été fonctionnaire au ministère de la Pêche pendant cinq ans après mon Masters en biologie marine. J’ai été exposée au fonctionnement des ministères à partir de 2006 en tant qu’Advisor au ministère de la Pêche, puis aux Affaires étrangères. 

J’ai également grandi dans le monde politique et diplomatique, même après la mort de mon père. Entre-temps, j’ai suivi quatre « postgraduate courses » en diplomatie, des diplômes que j’ai présentés au Premier ministre avec ma demande pour ce poste. De plus, j’ai étudié en Allemagne et je parle donc couramment la langue.

En 2010, personne ne pouvait reprocher à Navin Ramgoolam de me choisir comme ambassadrice en Allemagne. Je pense avoir été digne de sa confiance, car parmi 156 représentations diplomatiques à Berlin, le magazine diplomatique allemand m’a désignée « Ambassadeur de l’Année » en 2013. 

Pour répondre à votre question initiale, non. Ce n’est pas une récompense liée à mon père. Mais comme Navin Ramgoolam me connaît depuis ma plus tendre enfance, il me fait confiance. Il ne suffit pas d’être qualifié pour représenter un gouvernement comme ambassadeur.

Vous sentez-vous capable de tenir les rênes de votre nouveau job en Australie ? 
Chaque poste est un nouveau défi. Ce n’est pas parce que j’ai eu un bon bilan en Allemagne que tout est acquis. L’Australie est un autre pays, dans un contexte géopolitique en constante évolution. C’est fascinant, parfois intimidant. Je ferai certainement de mon mieux. 

Mais c’est réconfortant de se sentir soutenue par les fonctionnaires du ministère des Affaires étrangères tout comme les autres ministères, ainsi que beaucoup d’institutions étatiques et privées qui m’ont aidée à comprendre les priorités ainsi que les contraintes. 

Je dois dire un grand merci à tous ceux qui m’ont reçue et patiemment répondu à ma demande d’aide et d’information. La haut-commissaire australienne à Maurice m’a même consacré du temps dans une réunion d’échanges intenses avec ses officiers pour me briefer sur son pays et les relations avec Maurice. Je pense avoir fait mes devoirs avant d’entamer ce nouveau challenge.

Maurice importe beaucoup de produits de l’Australie. Ils sont de bonne qualité mais chers... 
En effet, les produits sont de bonne qualité et pas bon marché. Mais la qualité a un prix, et rien n’est vraiment bon marché aujourd’hui, pas seulement à Maurice. Je ne raterai pas la chance de contribuer à trouver une solution ou même d’en proposer au ministère concerné. 

En revanche, je me garderai d’agir en solo. C’est mon devoir de passer la balle aux techniciens bien plus qualifiés que moi en commerce ou en économie, que j’ai d’ailleurs rencontrés lors d’un briefing à l’Economic Development Board (EDB), à la Mauritius Chamber of Commer and Industry (MCCI) et autres institutions. Le travail doit se faire en équipe. L’ambassadeur est surtout un facilitateur. 

Les subventions gouvernementales de Rs 400 millions concernent cinq produits de base. Et le reste ? 
Maurice n’est pas le seul pays à subir la hausse des prix alimentaires, énergétiques et du logement. Tout pèse l’augmentation des coûts de transport et de stockage pour les importateurs ; la hausse du dollar face à la roupie mauricienne qui rend les produits importés plus chers ; la corruption associée à des augmentations de prix suspectes ; et même l’inflation globale. Tout cela affecte les prix de nombreux biens de consommation. Ajoutez à cela la politique économique catastrophique de ces dernières années. La situation est pour le moins complexe. Le gouvernement a trouvé une solution partielle en urgence pour cinq produits de base afin d’alléger les plus démunis. Ce n’est pas parfait, mais on ne peut pas s’attendre à tout et tout de suite. 

Venons-en aux nominations. On prend les vieux, on les redore et on les place, ce qui attise la colère de beaucoup, et non des moindres, Paul Bérenger en particulier. Qu’en pensez-vous ? 
Si la critique repose uniquement sur l’âge, elle devrait être mieux débattue. C’est discriminatoire de discréditer une personne à cause de son âge. L’important, ce sont les compétences. Où sont passées la méritocratie, les qualifications, la bonne volonté et l’intégrité, qui sont les véritables critères pour mener à bien un projet ? 

Vous dites Paul Bérenger en particulier. Je me demande qui serait capable de le remplacer ? Bien sûr, il n’est pas parfait, mais qui l’est ? C’est facile de le critiquer. Je comprends que les médias sont là pour ça, mais ils sont aussi censés faire l’éloge de ses contributions. 

On l’apprécie mieux quand on pense à certains « jeunes » arrivistes en politique qui se sont rempli les poches à nos dépens. On est libre de critiquer une nomination, mais pas sur la base de l’âge. 

Le gouvernement a promis un Appointment Committee. Mais il n’a pas encore vu le jour. À la place, on assiste à la nomination de proches du pouvoir… 
Je suis d’accord : l’Appointment Committee doit voir le jour le plus rapidement possible. Mais il faudrait dire de qui vous parlez et ce qui leur est reproché pour ouvrir un débat. Les critères pour une nomination sont complexes, ce qui rend une décision parfois difficile. Même si les opinions diffèrent et que certains pensent qu’une autre personne aurait été plus appropriée, l’important dans l’immédiat est que la personne nommée accomplisse sa tâche correctement afin que les institutions fonctionnent.

Le leader du MMM a laissé entrevoir le fond de sa pensée lors de deux conférences de presse. Il a dit qu’il n’est pas satisfait de toutes les nominations. Faites-vous partie de sa liste à cause de votre patronyme ? 
Bon, pour le patronyme, on en a parlé plus haut. Paul Bérenger et Navin Ramgoolam me connaissent. J’ai moi-même un très grand respect pour ces deux leaders. Ma nomination repose non seulement sur mes qualifications et mon vécu, mais aussi sur la confiance qu’ils me font. 

Revenons-en aux subsides récemment annoncés par le Deputy Prime Minister : cinq produits de base, dont trois concernent des parents ayant des bébés. Il n’en reste que deux pour les autres composantes de la population. Pourquoi ne pas viser les produits de consommation de masse ? 
Comme je vous ai dit plus haut, on ne peut pas régler tous les problèmes tout de suite et parfaitement. Je ne sais pas sur quelles réflexions techniques/économiques ces décisions se basent, mais il est clair qu’il y a la volonté d’alléger les dépenses du citoyen en difficulté financière. Pour une réponse plus détaillée, il faudra demander ailleurs, car je n’ai pas les qualifications requises pour m’y aventurer. 

La rue grogne. Le peuple a faim. C’est comme dans le film « Le Pain Noir ». Ne craignez-vous pas une mini-révolution pacifique, car les Mauriciens sont des toutous : ils font du bruit, mais aux urnes, ils se résignent ? 
Comparer la situation mauricienne au film « Le Pain Noir », qui se déroule en 1944 et qui décrit la misère et la violence de l’Espagne d’après-guerre civile, c’est exagéré. Nous n’en sommes pas là, fort heureusement d’ailleurs. Mais je suis persuadée que nous saurons gérer nos difficultés. 

Et non,  les Mauriciens ne sont pas des toutous. Nos syndicats et mouvances civiles ont déjà remporté des victoires sans attendre les prochaines élections. Lors du naufrage du MV Wakashio, par exemple, la population ne s’est pas contentée de protester face au déversement de fioul dans le lagon. Elle s’est mobilisée et a travaillé d’arrache-pied pour limiter le désastre écologique. Non, nous ne sommes pas des toutous. Nous savons réagir quand il le faut.

En ce qui concerne les violences envers les femmes, quelle est votre analyse de la situation ? 
Nous parlons de l’homme qui se libère de sa frustration par la violence. Il choisira forcément une victime physiquement plus faible que lui : la femme mais aussi parfois l’enfant ou les personnes âgées. Il est important de trouver la source de cette frustration et de ce besoin de se sentir maître par la force. Souvent, l’homme qui agresse sa femme croit agir en toute légitimité. Même la loi trouvait des punitions plus légères en cas de « crimes passionnels ». 

Il faut donc agir à la racine, par l’éducation : apprendre aux jeunes que la femme n’est pas un être inférieur ni une propriété. La pauvreté, l’alcool et la drogue aggravent encore ce phénomène. C’est un problème de société qui concerne tout le monde, hommes et femmes.

Heureusement qu’il y a suffisamment d’hommes sensés qui aiment et respectent leurs femmes, sœurs et filles, tout en voulant les protéger. Leur coopération est essentielle pour que nos enfants grandissent dans une culture d’égalité et de respect. 

La police traite encore certains cas comme des affaires personnelles. Votre réaction ? 
Je crois comprendre qu’un projet de loi en gestation prévoit de supprimer l’excuse légale pour les homicides commis en cas d’adultère. Mieux vaut tard que jamais. Les mentalités changent lentement mais sûrement. À nous d’accélérer en nous faisant entendre. 

Dans le même schéma, il y a plus de 200 abandons d’enfants en deux ans. Que vous inspire ce chiffre ? 
Quand une femme se retrouve dans une situation tellement précaire qu’elle estime devoir abandonner son bébé parce qu’elle se sent incapable d’assumer son rôle de mère, c’est un signe que notre société n’est pas à la hauteur. Je trouve que nos institutions ont bien réagi dans le cas du nouveau-né retrouvé accroché dans un sac qui a failli finir dans la poubelle. La main tendue de la ministre concernée à la maman a été louable, car elle a compris le désespoir d’une mère qui abandonne son enfant.

Et les filles-mères et mineures ? 
Je leur dirais ceci : assumez, demandez de l’aide aux autorités et ne vous laissez pas décourager par des remarques désobligeantes de personnes insensibles. C’est dur, mais pas impossible de traverser ces moments difficiles. 

La drogue, notamment synthétique, touche durement les jeunes. Que faire ? 
Cela a l’air simple quand on n’est pas concerné, mais l’enfer que vivent les familles, les mères surtout, avec un ou deux membres toxicomanes, est difficile à imaginer. J’ai entendu des récits qui m’ont donné froid dans le dos. S’il y avait mille et une façons de les en empêcher, je connais bien des parents qui l’auront fait. Le gouvernement a une responsabilité énorme et difficile pour contenir ce fléau. 

Un regard général sur notre société en tant qu’ex-artiste et féministe… 
Si notre société montre toujours des failles, elle a quand même progressé dans bien des domaines. J’ai vécu assez longtemps pour constater une évolution qu’on n’imaginait pas un demi-siècle de cela. Nous vivions avec bien moins il y a 50 ans. Vous vous imaginez aujourd’hui sans Internet ? 

Autrefois, pour s’offrir le luxe d’un morceau de bon fromage, il n’y avait que le Prisunic à Curepipe. Aujourd’hui, les supermarchés n’ont rien à envier à ceux de France ou d’ailleurs. Ce qui me fâche, c’est que des poches de pauvreté puissent toujours exister malgré tout ce progrès. 

Cette évolution coexiste avec de nouveaux fléaux comme la drogue. Rien n’est jamais acquis : nous devons sans cesse nous battre pour une société plus juste et plus saine. Et, comme hier, l’art, la musique et le chant continueront d’accompagner le militant dans sa quête de justice..

  • salon

     

 

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