Interview

Sanjay Antoo, ex-CEO de la NEF : «Combattre la pauvreté ne peut se faire en mode télécommande»

Sanjay Antoo

L’ex-directeur de la National Empowerment Foundation dit regretter que la pauvreté ne soit pas attaquée à sa source. Il insiste sur l’importance du travail de terrain et sur le recrutement de personnel qualifié. Faute de quoi le problème perdurera et s’envenimera.

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Un salaire de misère est le début d’une descente aux enfers pour ceux qui sont déjà dans la pauvreté.

Une conférence Chine/Afrique s’est tenue à Maurice pour combattre et réduire la pauvreté, tout en apportant le développement sur le continent noir. À quoi sert ce genre de rencontres ?
Les racines de la pauvreté se trouvent dans une répartition inégale de ressources – de la nourriture, des terres et du capital. La structure économique et politique du monde continue à refléter ce déséquilibre. La pauvreté est spécifique à chaque pays, même si Maurice fait partie du continent africain, la pauvreté n’y est pas la même que celle observée dans d’autres pays du continent et elle est loin de celle qui sévit en Chine. Nous ne pouvons pas compter sur les étrangers pour nous dire comment combattre et réduire la pauvreté dans notre pays. Ce type de rencontres a peu de valeur et d’importance, car la pauvreté à Maurice est très particulière à notre système économique, politique et social.

Le Premier ministre a déclaré lors de cette conférence que son gouvernement se penche sur six axes : le modèle inclusif de la croissance ; les investissements massifs dans la formation et l’éducation ; mettre fin au transfert intergénérationnel, entre autres. Encore faut-il que ces plans soient mis en pratique…
Dans le combat contre la pauvreté, il doit y avoir un ensemble de projets pour aider les démunis de la société. Ce n’est un secret pour personne que parmi les aspects multidimensionnels de la pauvreté, un élément stratégique est celui de l’accès à l’éducation et à la formation. L’éducation est un facteur déterminant qui empêchera le transfert de la pauvreté d’une génération à une autre. Mais il faut aussi une approche plus coordonnée et intégrée des questions d’accès à des sanitaires fonctionnels, d’accès à la communication, d’accès à un logement décent et d’approvisionnement en eau potable et en électricité.

Oui, il faut que ces plans soient mis à exécution. Pour cela, il faut investir dans les ressources humaines pour avoir du personnel qualifié en nombre suffisant, car le combat contre la pauvreté ne peut se faire en mode télécommande.

Cela fait des années, qu’on parle de l’extrême pauvreté à Maurice, mais la situation ne semble guère s’être améliorée. Que fait donc la National Empowerment Foundation (NEF), organisme dont vous vous occupiez ?
Je ne saurais vous dire ce que la NEF est en train de faire, mais si c’est le ministère qui met son nez dans les affaires de cet organisme, alors c’est foutu, car le ministère est champion dans l’organisation des réunions futiles. Le combat contre la pauvreté commence par un logement décent. Notre plus grande réalisation a été la construction des logements sociaux.

Depuis l’avènement de ce gouvernement, la NEF n’a pas construit un seul logement social. Alors que durant les quatre années que j’ai passées à la NEF, nous avons construit plus de 800 logements sociaux à travers l’île. Depuis 2010, suite à la création du ministère de l’Intégration sociale, le nombre de logements sociaux s’élevait à 775 unités.

L’enregistrement des familles pauvres dans un système d’information est important. Sans un système d’information, il est impossible de traiter les demandes des gens pauvres. En ce moment, c’est le Social Register for Mauritius (SRM) qui fait ce travail, suite aux données fournies dans le système. Le SRM est un produit du ministère de la Sécurité sociale passé aux mains du ministère de l’Intégration sociale tout récemment suite aux mauvaises gestions du système. Le SRM aurait dû être une application avec des données sûres et fiables sur chaque famille. Or, tel n’est pas le cas. Le SRM présente un manque de cohérence dans son raisonnement.

Le plan Marshall passe de gouvernement à gouvernement. Est-il trop onéreux pour enfin en créer un ?
Il est faux dire que le plan Marshall passe de gouvernement à gouvernement, par contre de ministre à ministre de ce gouvernement, oui. Le plan Marshall était annoncé par ce gouvernement dans sa « Vision 2030 » et il me semble que cette vision éphémère restera toujours une vision sans réalisation.

On dit que la pauvreté n’est pas une fatalité. Pensez-vous que naître pauvre n’est pas un fardeau qui tempère toute envie de réussir et de s’en sortir ?
Certainement, il est vrai que la pauvreté n’est pas une fatalité. Si une personne naît pauvre, cela ne signifie pas qu’elle sera toujours pauvre. Il y a beaucoup d’exemples à travers le pays et dans le monde. Moi-même je suis né dans une famille pauvre mais avec le soutien de mes parents qui se sont beaucoup sacrifiés pour investir dans mon éducation, je suis devenu ce que je suis.

Les familles nombreuses sont légion dans cette catégorie de Mauriciens. Est-ce par manque d’éducation ou y a-t-il d’autres raisons qui échappent à l’entendement ?
Cela ne fait aucun doute que la lutte contre la pauvreté passe par l’éducation. Dans un monde en constante évolution, la capacité à s’adapter et à se former en continu est un facteur déterminant pour permettre à tout un chacun de s’insérer socialement et économiquement. Avec la définition classique de la pauvreté basée sur le critère monétaire, il faut aussi prendre en considération les critères objectifs, tels que l’accès à la communication, l’accès à l’eau potable, les conditions matérielles d’existence et le capital humain, entres autres.

Est-ce qu’un salaire de misère est le préambule d’une descente aux enfers pour les familles déjà dans l’extrême pauvreté ?
Effectivement, un salaire de misère est le début d’une descente aux enfers pour ceux qui sont déjà dans la pauvreté. Un salaire de misère enfreint l’investissement des familles dans l’éducation des enfants. Même si l’éducation est gratuite à Maurice, il faut une éducation pérenne et complète.

Pour beaucoup, la fainéantise conduit tout droit vers la débauche et le chômage. Est-ce par manque de volonté qu’un tel phénomène survient ?
Pas nécessairement, car il y a des formations pour des personnes semblables. Il faut développer des formations qui les intéressent tout en ayant un système de contrôle continu qui permettrait de les évaluer.

Le fossé se creuse davantage entre les nantis et les autres, alors que la classe moyenne s’appauvrit. Expliquez-nous ce phénomène…
La pauvreté est le produit d’un modèle économique prôné par les grandes économies du monde. C’est-à-dire le système capitaliste, qui s’oppose au socialisme et plus encore au communisme. Aujourd’hui, même la Chine se frotte avec un modèle économique basé sur le capitalisme. Le fossé se creusera davantage tant qu’il y aura le capitalisme.

Pour beaucoup, louer une maison est difficile, d’où le fait qu’ils squattent les terres de l’État. Quelle solution trouver pour leur offrir un logement dit décent ?
Nous avions déjà travaillé en 2014 sur des schémas pour venir en aide aux personnes démunies sans un logement. Durant les consultations prébudgétaires, des propositions en ce sens ont été faites au ministre des Finances d’alors. Malheureusement, après les élections, avec un nouveau gouvernement, les propositions ont été mises au frigo.

Il faut que le gouvernement identifie des lotissements à travers le pays pour construire des maisons à moindre coût. Chaque lotissement doit avoir un maximum de 25 familles, un genre de village intégré et suffisamment de travailleurs sociaux pour assurer le suivi.

 

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