Le réajustement salarial pourrait s’avérer insuffisant face aux prix qui augmentent régulièrement. Le calcul aurait-il été meilleur sans l’enjeu politique des prochaines élections ?
Lors de l’annonce de l’exercice de relativité salariale le 9 août dernier, Renganaden Padayachy, ministre des Finances, a mis en avant les efforts du gouvernement pour renforcer le pouvoir d’achat des Mauriciens. Pour étayer ses dires, il a argué que plus de 500 000 travailleurs ont bénéficié d’une compensation totale de Rs 4 175 depuis 2019.
Cependant, cette affirmation se heurte à une réalité plus complexe. Un sondage réalisé par StraConsult pour Afrobarometer entre le 24 avril et le 11 mai 2024 révèle que 44 % des répondants considèrent le coût de la vie comme le problème le plus pressant auquel le pays doit faire face. Bien que le taux d’inflation Year-on-Year ait diminué de 11,8 % en janvier 2023 à 5,2 % au même moment cette année, le coût réel de la vie reste une préoccupation majeure. Le panier des ménages subit l’irréfutable impact de la hausse des prix.
Selon Claude Canabady, secrétaire de la Consumers’ Eye Association, l’exercice de la relativité salariale va, d’une certaine manière, remettre un peu les pendules à l’heure. Un responsable des ressources humaines indique que ce réajustement salarial, qui n’a que trop tardé, était essentiel pour corriger les anomalies du marché du travail.
Les entreprises, explique-t-il, utilisent une évaluation des emplois pour attribuer un grade à chaque poste, chaque grade déterminant un salaire décent. « Cette hiérarchisation vise à éviter des injustices, comme celle où un diplômé sans emploi accepterait un travail pour Rs 10 000 par mois, une somme dérisoire compte tenu des années d’études et des sacrifices financiers consentis », dit-il. Selon Renganaden Padayachy, ministre des Finances, cette révision des salaires représente une forme de justice sociale. Qu’en est-il de ceux qui sont hiérarchiquement mieux placés ? Lors de la présentation des résultats du « 2024 Survey on Directors’ Fees and Board Composition in Mauritius » en juillet dernier, Caroline Piat, Associated Consultant de Korn Ferry, a noté que « le sondage a mis en évidence que les entreprises mauriciennes ont pris des mesures significatives pour améliorer la compétitivité des rémunérations des directeurs et pour aligner les pratiques de compensation à travers les différents secteurs ».
Les augmentations expliquées par le ministre du Travail eu égard de la relativité salariale varieront en fonction des salaires. Claude Canabady, bien qu’il reconnaisse l’effort gouvernemental, estime que ce n’est pas suffisant face à l’augmentation régulière des prix. « La Competition Commission fait déjà un excellent travail pour vérifier les possibilités de cartel dans certaines sections de nos industries. Cela aidera à éradiquer les risques d’abus », ajoute le secrétaire de la Consumers’ Eye Association. « Qu’adviendrait-il dans l’éventualité où ce réajustement salarial n’était pas d’actualité ? Ce sont les syndicats qui ne sont jamais satisfaits. Ce qui intéresse les salariés, c’est de bénéficier d’un salaire décent », avance le responsable des ressources humaines. Il note que, peu importe la formule de calcul utilisée pour la relativité salariale, l’important est d’en avoir une, avec la possibilité de l’améliorer par la suite.
Pour l’économiste Rajeev Hasnah, l’objectif initial et primaire de la relativité salariale n’est pas ce qu’il est censé être et c’est ce qui a débouché sur une cote mal taillée. La rationalité, le raisonnement et l’objectif sont plus politiques qu’autre chose, selon lui. « La politique prend aujourd’hui le pas sur l’économie. Il y a l’économie politique qui parle de cycles politiques. Nous sommes à la fin d’un cycle politique et plusieurs décisions économiques sont prises avec une base politique », déplore-t-il. Lors de son introduction en 2018, le salaire minimum s’élevait à Rs 8 140. Il est aujourd’hui de Rs 16 500, excluant les allocations liées au revenu minimum garanti. Certes, poursuit Rajeev Hasnah, le salaire minimum a presque doublé, mais la relativité salariale n’a pas été d’actualité pour l’ensemble de la classe des travailleurs. « Il faudrait savoir si un salarié touchant Rs 50 000 en 2018 bénéficie aujourd’hui d’une rémunération de Rs 100 000.
C’est ce qui définit la relativité salariale dans une certaine mesure. Pour l’heure, les calculs sont plus politiques qu’économiques par rapport à la relativité salariale », argumente l’économiste.
Bon à savoir
L’indice des taux de salaire mesure les variations du prix du travail, c’est-à-dire les variations des taux moyens effectivement payés par les employeurs à leurs employés pour un travail effectué pendant les heures normales de travail.
L’inflation n’a pas dit son dernier mot
La conférence de presse du 9 août dernier sur la relativité salariale a donné lieu à une série de réactions. Certains s’inquiètent des répercussions qui en seront entraînées. L’économiste Rajeev Hasnah fait observer que bien que les salaires aient augmenté ces dernières années, l’inflation a également poursuivi sa courbe ascendante.
Certains ménages ont continué de faire part de leur difficulté de joindre les deux bouts à la fin du mois. « Plus on injecte de l’argent dans le circuit et que la roupie poursuit sa dévaluation, plus nous reviendrons à la case départ. C’est ce qu’on appelle la spirale inflationniste », avance l’économiste.
Est-ce que ce sont les employés qui paieront le prix de cette augmentation salariale ? Rajeev Hasnah argue que toute aide sociale ou autre est financée par les contribuables. Les entreprises risquent de passer l’augmentation salariale aux consommateurs.
Cela dépendra toutefois de la capacité des entreprises à absorber le coût de ce réajustement salarial. « Le ‘feel-good factor’ sera temporaire avant qu’on ne bascule de nouveau dans un sentiment de goût amer », concède-t-il.
Quant au responsable des ressources humaines, il se dit optimiste alors que Maurice bouge vers une économie à hauts revenus. « Sans les différentes augmentations salariales qui sont intervenues suivant la pandémie, l’employé n’allait pas avoir de pouvoir d’achat. L’influence allait se faire sentir sur la consommation et par ricochet sur les entreprises », déclare-t-il.
Les petites et moyennes entreprises pourraient de nouveau être le souffre-douleur de cette décision gouvernementale. Claude Canabady rappelle que certaines d’entre elles peinent à joindre les deux bouts. « Le gouvernement se dit prêt à donner une aide financière où c'est nécessaire, mais je crains pour la survie de certains business et une augmentation du chômage », conclut-il.
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