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Réinventer l’habitat sans dénaturer : les Chagossiens face au défi du retour

Derrière la beauté intacte des Chagos se profile le défi complexe de créer un habitat durable pour les habitants et respectueux de l’environnement.

Après des décennies d’exil, les Chagossiens pourront enfin retrouver leur archipel. Mais comment rebâtir une vie sur des îles vierges, fragiles et dépourvues d’infrastructures ? Entre rêve de retour et réalités écologiques, la réinstallation impose de repenser entièrement l’aménagement du territoire, dans une démarche durable, participative et respectueuse d’un environnement unique. 

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Enfin, l’heure du retour sonne peut-être pour les Chagossiens. Après plus d’un demi-siècle d’exil, l’annonce d’une possible réinstallation sur leur archipel fait naître un espoir immense. Pourtant, cette perspective soulève un défi titanesque : comment réaménager et réinventer l’habitat sur des terres vierges ? 

L’archipel des Chagos, joyau écologique du cœur de l’océan Indien, est un territoire vierge quasi désertique. Absence totale d’infrastructures, ressources limitées, vulnérabilité environnementale extrême... Derrière le rêve d’un retour se cache une équation complexe. Urbanisme, écologie, patrimoine culturel et viabilité économique : tout doit être repensé de A à Z. 

Le géomorphologue Prem Saddul est catégorique : les îles de l’archipel des Chagos ne sont aujourd’hui pas adaptées à une installation humaine durable. « Ce sont des terres vierges, désertiques, sans aucune infrastructure essentielle. Il n’y a ni routes, ni services publics, ni approvisionnement stable en eau ou en énergie. On ne peut pas envisager que les Chagossiens y retournent comme des Robinson Crusoé. Un relogement viable implique un plan précis, dans un contexte écologique très sensible », souligne-t-il.

Il insiste sur la nécessité d’étudier au préalable la vulnérabilité des îlots. Chacune de ces terres basses, souvent coralliennes, présente ses propres défis. Érosion marine, montée des eaux, tempêtes tropicales : elles subissent des pressions environnementales considérables. « Chaque îlot demande une réponse adaptée. Il ne s’agit pas de construire n’importe comment, mais d’élaborer une infrastructure sur mesure, respectueuse de l’environnement et de la nature corallienne », propose Prem Saddul. 

Dans cet esprit, il préconise une visite de terrain approfondie, réunissant des experts en environnement, des architectes, des urbanistes, des ingénieurs et des spécialistes de l’aménagement territorial. « Cette mission permettrait d’évaluer concrètement les conditions d’habitabilité et de poser les bases d’un véritable plan de relogement », précise-t-il.

Un urbanisme repensé 

Face à ce défi colossal, l’urbaniste Zaheer Allam propose une approche radicale. « Il faut tout recommencer à zéro. Revoir les bases, les infrastructures et les aménités existantes pour construire un projet qui soit à la fois respectueux de la nature et des habitants », propose-t-il. 

Sa philosophie ? Intégrer les aspirations des Chagossiens eux-mêmes afin qu’ils retrouvent leurs valeurs et leur identité. « La communauté doit être partie prenante des discussions. Le retour sur les îles ne peut être imposé d’en haut, sous peine de répéter les erreurs commises à Maurice et Rodrigues, où le développement n’a pas toujours pris en compte les besoins réels des populations », dit-il. 

Côté aménagement, Zaheer Allam prône le maintien du caractère idyllique et naturel de l’archipel. « Il faut privilégier les sentiers plutôt que d’asphalter partout, garder le charme des îles », ajoute l’urbaniste. Cette approche, fait-il comprendre, s’accompagne du besoin de Planning Guidelines, soit un guide d’aménagement clair qui découragerait les constructions massives ou en hauteur, afin de préserver l’harmonie du paysage. 

« Dans ce cadre, les constructions seraient plutôt limitées à des maisons individuelles ou à des petites structures hôtelières, sans grands immeubles ni complexes luxueux. L’idée serait d’attirer un tourisme responsable, en quête de calme et de simplicité, loin des standards des hôtels 5-étoiles. C’est l’occasion rêvée de tout mettre au vert. L’énergie doit être renouvelable, notamment solaire. Il faut aussi prévoir des infrastructures modernes de télécommunication, mais sans sacrifier l’environnement », insiste Zaheer Allam.

Eau et énergie au cœur des enjeux 

Parmi les questions techniques majeures, figure l’approvisionnement en eau douce. En milieu corallien, les ressources en eau sont limitées, la pluviométrie étant souvent irrégulière. Zaheer Allam rappelle qu’il faudra étudier toutes les options possibles, dont le dessalement, une technologie coûteuse, mais aujourd’hui éprouvée pour produire de l’eau potable à partir de l’eau de mer. 

L’énergie devra être aussi produite localement, par des moyens durables. L’archipel est soumis à une forte insolation, ce qui en fait un site idéal pour le solaire. « Il faut profiter de ces conditions exceptionnelles », insiste l’urbaniste, qui imagine un archipel autonome en énergie, avec batteries et systèmes de gestion intelligents. Ces choix techniques, fait remarquer Zaheer Allam, devront s’inscrire dans une logique de durabilité et de minimisation des impacts sur la fragile biodiversité locale.

Culture, santé et éducation 

Le retour des Chagossiens ne peut se limiter à la simple construction de logement, mais à un habitat complet, répondant à tous les besoins fondamentaux. « La santé, l’éducation et la culture doivent être au cœur du projet, les aspects indissociables du bien-être de la communauté », rappelle Zaheer Allam. 

Il précise que le projet de relogement doit éviter de reproduire les erreurs du passé. « À Maurice et à Rodrigues, l’urbanisation a parfois été trop rapide, imposée et déconnectée des populations. Ici, il faut intégrer les habitants dès la conception », indique-t-il. L’urbaniste fait ensuite comprendre que la dimension culturelle est primordiale. « Retrouver un lien avec la terre, restaurer les traditions et permettre aux jeunes générations d’apprendre l’histoire de leur archipel, tout en construisant un avenir durable. » 

Un marathon, pas un sprint 

Les deux experts s’accordent à dire que ce retour ne s’accomplira pas du jour au lendemain. « Il ne faut pas se leurrer. Ce n’est pas un simple déménagement. Le relogement prendra du temps, au minimum trois ans, probablement plus », estime Prem Saddul. Il évoque aussi un profil particulier des futurs habitants. « Ce seront avant tout des artisans, des personnes ayant une capacité d’adaptation et des compétences spécifiques. Je ne vois pas les jeunes s’installer directement, sans garanties de services ou d’emplois », dit-il. 

Dernière pièce du puzzle : l’équilibre économique. L’archipel des Chagos est une réserve naturelle exceptionnelle, avec une biodiversité marine et terrestre remarquable. L’équilibre entre développement humain et préservation écologique est fragile. Zaheer Allam plaide pour un tourisme low impact, axé sur la nature et la tranquillité, avec des hébergements limités en hauteur et en capacité. « Ils seraient destinés à des touristes cherchant le calme et la simplicité, pas le luxe ostentatoire », conclut-il.

 

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