En ce mois de décembre, comment se fait la récolte des pommes de terre cultivées de plein champ ? Pour en avoir une idée, Le Dimanche/L’Hebdo a passé une journée dans les terrains agricoles dont s’occupe l’agripreneur Amarjeet Beegoo. Reportage.
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En camion
6 h 30, mardi 6 décembre. Cap sur le village de Côte-d’Or. Pour ce faire, nous empruntons l’autoroute de Phoenix. À 7 heures piles, Amarjeet Beegoo vient nous récupérer en camion de la marque Nissan Atlas, année 1997. Nous voilà partis pour notre aventure dans les champs, bravant d’énièmes sentiers rocailleux.
Cheveux dans le vent, nous admirons ces étendues de terres fertiles remplies de légumes. En toile de fond, la rangée de montages de Moka dont font partie Le Pouce et Le Pieter Both. Et le chant des oiseaux dans le ciel.
« Déjà découragés ? » nous lance Amarjeet Beegoo sur un ton moqueur. « Non, non. Nous avons la patate ! » rétorquons-nous avec le sourire.
Au boulot !
Amarjeet Beegoo coupe soudainement le moteur. « Voilà, nous y sommes. » Nous descendons du camion pour aller à la rencontre de ses employées Jenna et Tasha. La doyenne se prénomme Mi. Une gratte en acier à la main, elles déterrent machinalement des pommes de terre qu’elles entassent çà et là. Vêtues de chemisiers, jupes, pantalons, bottes et chapeaux, elles sont armées contre le soleil. On ne peut en dire autant, malheureusement…
Amarjeet Beegoo leur fait un brin de causette. Entre-temps, nous les regardons à l’œuvre. Une gigantesque chasse aux trésors nous vient à l’esprit… mais de patates ! « Allez ! Allez ! Au boulot », nous interpelle l’agripreneur.
S’ensuit un va-et-vient pour sortir quelques pommes de terre. Nous sommes vite fatigués. Et que dire des mains noires de terre… Les tâcheronnes nous épient en secouant la tête… avant d’éclater de rire. Si nous rions aussi de bon cœur, n’empêche que nous prenons vite conscience que travailler la terre n’est guère un métier facile.
À un certain moment, les trois femmes demandent à Amarjeet Beegoo d’aller chercher des sacs pour stocker les pommes de terre récoltées. « Vous me donnez des ordres ! » lance-t-il en riant.
Mise en terre
Comment se fait la mise en terre ? L’agripreneur explique que les tubercules de pomme de terre sont plantés dans des sillons de 90 centimètres d’écart et à une distance régulière de 12 pouces. Cela permet d’avoir des tubercules uniformes lors de la récolte.
« Nous utilisons un mélange de fertilisants recommandé par le FAREI et nous bénéficions d’un suivi de la plantation à la récolte. Des officiers de cet institut nous rendent visite dans nos champs chaque semaine. » La pomme de terre étant un aliment de base pour le pays, ils leur recommandent des produits phytosanitaires pour permettre la préservation de la plante jusqu’au temps de récolte.
Toutefois, l’approvisionnent en eau demeure un problème. D’où une récolte très médiocre cette année en raison de la sécheresse, affirme Amarjeet Beegoo.
Deux saisons pour planter la pomme de terre
Nous voilà à présent dans un autre champ. Amarjeet Beegoo confie qu’il pratique la culture de légumes de plein champ sur une superficie de cinq arpents. « J’entreprends la plantation de légumes pour certains planteurs. L’autre champ où nous étions appartient à un planteur habitant Rose-Hill. En août de cette année, nous y avons planté quatre différentes variétés de tubercules de pomme de terre. Malgré une sécheresse persistante, nous avons pu avoir une récolte qui couvrira les frais de la plantation et de sa maintenance. »
La récolte pour la deuxième saison vient de commencer dans cette région. « Nous avons deux saisons pour la plantation des pommes de terre. La première commence en avril et la deuxième se fait début juin pour se terminer en août. Les semences sont des tubercules de pommes de terre certifiées et exclusivement disponibles à l’Agricultural Marketing Board (AMB) qui se trouve à Moka. »
Bouse… de vache
Quid des engrais ? Avec l’expérience, les planteurs arrivent à comprendre les besoins des plantes. Il se peut que les récoltes soient extraordinaires, même dans des conditions très difficiles, fait savoir Amarjeet Beegoo.
Au mois de mai, raconte-t-il, il avait planté des giraumons. Faute d’argent et de disponibilité, il n’a pu mettre d’engrais chimiques, ni de fiente de poules comme fumier. Il a alors eu recours aux techniques de Zero Budget Farming en supplémentant les engrais chimiques avec du Jivamritram. Qu’est-ce donc ?
« C’est de la bouse de vaches mélangée à leur urine avec de la farine de pois chiche, du sucre et un peu de terre dans un grand bac d’eau. Cela m’a donné des giraumons qui étaient à la fois gros et très appréciés par les marchands et les consommateurs », indique-t-il.
Manger comme un planteur
L’heure du déjeuner est arrivée. Jenna, Tasha et Mi ont leurs « tiffins » respectifs en main. Amarjeet Beegoo nous propose d’aller prendre un déjeuner de « planteur ». Nous acceptons volontiers.
Nous embarquons une nouvelle fois dans le camion. Direction St-Pierre. Petit arrêt à la station d’essence pour « kol enn fit apre nou ale ». En attendant que le pneu soit réparé, nous nous retrouvons à Eshan Snack, « lotel dite » au coin de la rue.
Dès que nous franchissons le seuil de la porte, les regards sont braqués sur nous. Parmi les clients se trouvent d’autres planteurs qui calent leur faim et des usagers de la route. Amarjeet Beegoo est un habitué. Son plan du jour : « Manz gato banann ek bwar dite. » Il passe la commande et nous passons à table.
La panse remplie et la facture réglée, nous prenons à nouveau la route. Amarjeet Beegoo nous propose un café dans un centre commercial. « Les planteurs y vont aussi », s’amuse-t-il. C’est ainsi qu’autour d’un café, nous lui demandons comment il gère sa journée.
Son trajet depuis 00 h 45
« Ce matin, je me suis réveillé à 00 h 45. Après la douche et une tasse de thé, je suis sorti de chez moi pour aller à l’encan de Flacq, qui se déroule à 1 h 30, pour faire la livraison des giraumons pour un ami », explique Amarjeet Beegoo.
Une fois, les cargaisons de légumes débarquées, il les remet au commis de l’encanteur qui vend les giraumons à la criée aux plus offrants. Ensuite, l’agripreneur collecte la recette de la vente qu’il remettra au planteur le même jour. À 5 h 30, il va récupérer ses employées qui habitent à Vuillemin, Quartier-Militaire. « Vers 6 h 30 nous sommes arrivés dans les champs. »
Comment fait-il pour rester debout tout ce temps ? « Être planteur, c’est toute une expérience », répond-il. Lorsqu’il s’agit de la vente de ses pommes de terre par exemple, il quitte sa maison à Sébastopol vers
4 heures du matin. 45 minutes plus tard, il débarque ses cargaisons pour la mise en vente à la criée. « Les prix ne sont pas les mêmes dans tous les encans. Donc, j’ai le choix de mettre en vente mes légumes là où je veux pour avoir le meilleur prix. »
Le demi-kilo d’oignons à l’encan de Vacoas est à Rs 22 et Rs 18 à celui de Flacq, fait-il savoir à titre d’exemple. Grâce à ces infos, Amarjeet Beegoo place judicieusement ses légumes de saison dans les encans.
« Par la suite, je récupère mes employées chez elles et je les dépose dans les champs. Puis, j’organise la journée de travail. Ensuite, je dois aller à la banque parce que certains planteurs me paient par chèque. Je dois aussi m’assurer d’avoir de la monnaie pour faire la paye tous les samedis. C’est beaucoup de boulot. »
Même si ses employées sont à temps partiel, elles bénéficient d’un boni de fin d’année. « D’où l’intérêt et l’enthousiasme de travailler avec moi, je pense », sourit-il. Les vendredis, il leur offre également des légumes.
Et en cas de mauvais temps ? Si ses employées rentrent à la maison sans travailler, elles perçoivent uniquement la moitié de leur salaire. Justement, quels sont les aléas du métier ?
Aléas du métier
L’agriculture est un métier qui n’est pas à l’abri des effets du changement climatique. Pour le faire, il faut avoir de la passion et beaucoup de patience, souligne Amarjeet Beegoo. En termes d’aléas, il cite des insectes nuisibles et les maladies affectant les plantes. « Cette année, c’est pire. Car le prix des intrants agricoles a connu une majoration de plus de 400 % et même de 1 000 % sur l’ammoniaque. »
Comment s’en sort-il ? « Heureusement, j’ai des employées qui sont très motivées. D’ailleurs, je les considère plus comme des collaboratrices. Des fois, c’est leur opinion qui prime sur le choix des légumes à mettre en terre. »
Le maïs notamment est facile à planter, poursuit-il. « Les plantes de maïs ont des racines profondes et après la récolte, celles-ci pourrissent et deviennent des canaux naturels de drainage d’eau tout en permettant une meilleure aération du sol. »
Comme ses employées ont sans doute fini de remplir les sacs de pommes de terre pour les stocker en attendant la vente, Amarjeet Beegoo presse le pas pour retourner dans les champs.
Un café avec Amarjeet Beegoo
Agripreneur et consultant en agriculture raisonnée, Amarjeet Beegoo, 43 ans, habite à Sébastopol. Diplômé en informatique, détenteur d’un LLB, il a aussi fait des études universitaires en agriculture durable.
Il relate qu’à sa sortie du collège Impérial à Curepipe, il s’est lancé dans l’agriculture comme son père qui en pratiquait à temps partiel. En 1999, ils s’aventurent dans la culture de la pomme de terre. Jusqu’à ce qu’Amarjeet Beegoo s’y investisse à 100 % afin de pouvoir financer ses études universitaires.
Diplômé, il devient employé de bureau mais il n’abandonne pas la plantation de légumes. Les travaux contractuels qu’il entreprend ici et là lui permettent de donner du travail à des femmes habitant l’est du pays et pallier le manque d’argent pendant les périodes de récoltes tardives.
« L’agriculture raisonnée n’est pas comme l’agriculture conventionnelle. Des fois pour celle que je pratique, on reste sans un sou en poche. C’est ainsi que m’est venue l’idée d’entreprendre des plantations de légumes pour d’autres planteurs. »
Pratiquant l’agriculture intensive, il concède qu’il s’est retrouvé dans de beaux draps à un moment. « L’endettement et les caprices de la nature m’ont mis K.O. Heureusement en 2008, j’ai pu suivre des cours d’agriculture durable à l’université de Maurice et par la suite, j’ai suivi des formations pour la production des semences aux États-Unis, sur le Zero Budget Natural Farming en Inde et en agrotourisme en Italie. Cela m’a permis d’évoluer et de valoriser la terre. Et aussi de mettre en place un mécanisme qui perdure dans le temps. ».
Amarjeet Beegoo souligne que la vie d’un planteur n’est pas tout rose. « Il arrive des fois que je passe des semaines dans les champs et que j’y travaille 18 heures sur 24. Je rentre à la maison juste pour prendre un bain. À cause des voleurs, il faut élire domicile dans des tentes de fortune tout en affrontant l’hiver glacial. »
N’empêche, dit-il, « tout le confort de ma vie est grâce à mes efforts et ceux de mes employées. Mais aussi au respect de la terre nourricière. Je ne vis pas une vie digne d’un roi, mais la vraie satisfaction vient du fait que je gagne ma vie honnêtement en pratiquant l’agriculture, tout en préservant l’environnement ».
Et de conclure que la joie, c’est de voir les abeilles venir sur les fleurs et des vers de terre sortir à chaque coup de pioche ainsi que de manger des fruits et légumes provenant de ses propres récoltes.
Le retour
Dès que nous arrivons, les employées rassemblent leurs affaires et rangent les outils avant de prendre place dans le caisson du camion. Nous les suivons.
Timides, elles parlent entre elles avant que l’une ne se décide à nous faire la conversation. Elle s’appelle Jenna Potiron. Cette mère de famille explique que sa journée commence aux petites heures. Elle prend sa douche, s’habille, prend une tasse de thé et mange un bout de pain. À 5 h 30, Amarjeet Beegoo vient la chercher. Une fois dans les champs, elle y travaille jusqu’à 13 heures avant de rentrer. Elle fait quelques tâches ménagères, s’occupe de ses enfants, cuisine et se repose avant de tout recommencer le lendemain.
Jenna Potiron relate qu’elle travaillait autrefois dans une usine. L’appel de la terre a toutefois été plus fort. « J’adore ça. » Ce travail lui permet de gagner sa vie tout en ayant du temps pour elle. Arrivée devant sa bicoque en tôle, Jenna Potiron descend. Ses enfants viennent la rejoindre pour un câlin. Tasha et Mi rentrent aussi chez elles. Pour elles, l’avenir est incertain. Mais ces mères courage ne baissent pas les bras. Leur priorité : subvenir aux besoins de leurs familles et assurer l’éducation de leurs enfants.
Dernier arrêt à Hermitage où Amarjeet Beegoo et nous dégustons des chanas puris avant de prendre chacun sa route. Ainsi prend fin notre aventure dans les champs.
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