Rajen Suntoo, sociologue : «Il est devenu tendance d’associer l’âgisme à des enjeux politiques»

Alors que la population vieillit, le défi est double : reconnaître la richesse des seniors tout en ouvrant la voie aux jeunes talents. Le sociologue Rajen Suntoo décortique l’âgisme et défend un équilibre vital entre expérience et innovation pour un avenir collectif harmonieux.

Qu’est-ce que l’âgisme, et en quoi se distingue-t-il des autres formes de discrimination ?
L’âgisme désigne les idées reçues (comment on voit une personne âgée), les préjugés (ce qu’on ressent envers elle) et les discriminations (la manière dont on la traite), principalement à cause de son âge. Parfois, les personnes âgées sont victimes d’âgisme juste à cause de leur âge, mais aussi à cause de leur race ou origine ethnique (racisme), ou de leur sexe ou genre (sexisme).

Quand ces discriminations se mélangent – âgisme, racisme et sexisme –, les personnes âgées deviennent plus vulnérables et peuvent souffrir de problèmes psychologiques et mentaux.

Quand on critique la nomination de personnes âgées à des postes importants, comment distinguer une critique fondée d’un préjugé lié à l’âge ? Où s’arrête l’analyse et où commence l’âgisme ?
Les personnes âgées sont souvent confrontées à différentes formes d’âgisme, dans tous les secteurs et institutions, en fonction de leur milieu socio-économique et de leur niveau d’éducation. Aujourd’hui, il est devenu fréquent – et parfois même tendance – d’associer l’âgisme à des enjeux politiques.

Ainsi, les hommes et femmes politiques âgés, de même que leurs partisans, font régulièrement l’objet de critiques virulentes sur les réseaux sociaux et dans les médias écrits. Ces attaques prennent souvent la forme de stéréotypes, de commentaires biaisés, voire d’attaques ouvertement dénigrantes motivées par leurs liens politiques.

Cependant, le public oublie parfois de prendre en compte les raisons qui sous-tendent ces nominations : l’expérience précieuse des seniors, leur fidélité, leurs compétences, leurs qualifications, ainsi que leur capacité physique, malgré leur âge avancé.

Peut-on être vieux et légitime, ou vieux et contesté, sans que l’âge devienne l’argument principal ?
Oui, nombreux sont les nominés qui demeurent pleinement aptes, tant sur le plan physique que biologique, à assumer ces responsabilités. Par-dessus tout, ils ont démontré, par leur parcours, la solidité de leurs compétences. Ils incarnent également des valeurs d’honnêteté et de loyauté envers les institutions nationales.

Il est essentiel de créer un comité de haut niveau chargé d’évaluer rigoureusement les candidats et de formuler des recommandations pour les postes clés»

N’est-on pas collectivement piégés par une idée moderne toxique : que l’âge abîme forcément la compétence ?
Pas nécessairement. Toutefois, il est essentiel que les autorités instaurent des mécanismes rigoureux d’évaluation, tels que des entretiens approfondis, et favorisent un débat transparent autour de ces nominations, afin de garantir le respect des principes de bonne gouvernance.

Pourquoi, selon vous, une personne de 75 ans nommée à un poste suscite-t-elle autant de sarcasmes, alors qu’une personne de 75 ans qui court un marathon ou monte sur scène est applaudie ?
La politique ne se compare pas au sport. Dans ce domaine, les personnes nommées doivent non seulement respecter les décisions gouvernementales, mais aussi adhérer aux politiques adoptées par les autorités et les appliquer dans l’intérêt supérieur de la nation.

C’est pourquoi chaque nomination politique doit être clairement justifiée. Il est essentiel de créer un comité de haut niveau chargé d’évaluer rigoureusement les candidats et de formuler des recommandations pour les postes clés. Par ailleurs, la loyauté, l’expérience et un engagement patriotique restent des critères indispensables.

Certains politiciens cherchent à prolonger leur influence. Toutefois, en tant que patriotes, ils ont la responsabilité de préparer la relève»

À Maurice, la vieillesse est-elle plutôt respectée ou mise à l’écart ? Observe-t-on une différence entre le discours culturel traditionnel et les pratiques réelles ?
Le respect des personnes âgées demeure profondément ancré à Maurice. Elles continuent d’occuper une place centrale dans de nombreuses familles, où leur parole est écoutée et leur expérience hautement estimée. Ces aînés, véritables piliers culturels, jouent un rôle fondamental en transmettant aux jeunes générations les valeurs et les repères nécessaires à une socialisation équilibrée.

Quand on dit : « Il faut laisser la place aux jeunes », est-ce une revendication légitime ou une manière d’écarter les anciens sans débat ?
Il est indispensable d’avoir un équilibre entre aînés et jeunes à tous les niveaux. L’expérience et les connaissances des personnes âgées représentent un atout précieux qui doit être valorisé. En parallèle, les jeunes bénéficient souvent d’une formation plus adaptée et maîtrisent mieux les nouvelles technologies, ce qui leur permet d’apporter une dynamique essentielle à la croissance et au développement dans de nombreux secteurs.

C’est précisément cette complémentarité entre jeunesse et expérience qui garantit de meilleurs résultats au sein des institutions.

Certains seniors s’accrochent parfois au pouvoir. Comment éviter que l’argument de l’âge ne masque d’autres enjeux, comme le renouvellement des élites ou la lutte contre le clientélisme ?
Il est indéniable que le clientélisme persiste, et que certains politiciens cherchent à prolonger leur influence. Toutefois, en tant que patriotes, ils ont la responsabilité de préparer la relève et de transmettre aux nouvelles générations des valeurs politiques solides, toujours dans l’intérêt supérieur du pays.

Nombreux sont les nominés qui demeurent pleinement aptes, tant sur le plan physique que biologique, à assumer ces responsabilités»

La société mauricienne vieillit. Comment pouvons-nous, collectivement, transformer ce vieillissement en richesse, au lieu de le percevoir comme un poids ?
La vieillesse constitue une véritable richesse pour toute société en pleine mutation démographique. Le vieillissement doit être perçu comme un atout précieux à valoriser. Les personnes âgées jouent un rôle essentiel, non seulement dans les institutions, mais surtout au cœur des familles.

Aujourd’hui, beaucoup de seniors adoptent un mode de vie actif, pratiquant régulièrement des exercices physiques, tout en apportant un soutien précieux aux enfants et aux jeunes adultes. Ils représentent un pilier sur lequel s’appuient de nombreux jeunes couples lors de leurs premières années de mariage, contribuant ainsi à la stabilité et au bonheur familial.

Est-ce qu’on ne projette pas nos propres peurs du vieillissement sur ceux qu’on critique ? En attaquant un vieux, est-ce notre propre futur qu’on refuse ?
Il est essentiel que chacun comprenne que le vieillissement est un phénomène naturel auquel nous serons tous confrontés un jour. Il nous faut adopter une ouverture d’esprit, accueillir les personnes âgées avec respect et veiller à ce que leur vie soit pleinement digne, car tôt ou tard, ce sera notre tour.