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Rajen Narsinghen : «Des lois taillées sur mesure engendrent souvent des abus»

Les amendements à l’Independant Broadcasting Authority Act menacent-ils les radios privées ? Le chargé de cours en droit à l’Université de Maurice, Rajen Narsinghen, parle d’atteinte à la liberté de la presse et à la démocratie. Il exprime aussi ses nombreuses réserves sur ces amendements proposés. 

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Atteinte aux droits fondamentaux 

Rajen Narsinghen explique que l’Independant Broadcasting Authority (IBA) Act tout comme la Covid-19 Act, la Quarantine Act, la Computer Misuse Act et la Workers Rights Act « bafouent les droits fondamentaux, constitutionnels et humains et portent atteinte à la démocratie ».  « L’IBA Act date de 2000. Comme les autres avocats, je ne dis pas qu’il ne faut pas revoir la loi, mais que le timing est mauvais. Il y a une pandémie sans précédent et le peuple a peur. C’est un moment quand le peuple, le gouvernement et le Premier ministre auraient dû être solidaires. Ils auraient dû élaborer des stratégies pour la santé et les préoccupations économiques. Ils n’auraient pas dû choisir ce moment pour bafouer les droits fondamentaux », avance Rajen Narsinghen. 

Danger

Selon lui, la seule voie de contestation est légale et passe par la Cour suprême. Il souligne qu’il faut faire la nuance entre le légal, la Constitution et le constitutionnalisme. Il cite l’exemple des pays africains et asiatiques qui ont de « jolies Constitutions », mais qui butent au niveau de la mise en place. « Maurice est pire que le Malawi ou le Kenya. Une affaire prend trois à quatre ans et se termine devant le Privy Council. Je trouve chagrinant qu’on choisisse ce moment pour venir avec cette loi qui est beaucoup plus dangereuse que la Computer Misuse Act », estime le chargé de cours. 

Il poursuit qu’il y a trois radios plus au moins indépendantes et équilibrées à Maurice et que récemment d’autres radios ont eu des permis. « Ce sont des protégés du régime. » « Demain, un nouveau régime peut se servir de cette loi pour bafouer les droits d’une radio, suspendre ou révoquer son permis, ce qui mènera à sa disparition. »

Taillée sur mesure 

Il a fait référence à la période nazie quand les juifs étaient attaqués. Il évoque que d’autres groupes religieux ont fait la même expérience par la suite. Et selon lui, cette loi est « taillée sur mesure ». « Certaines radios devront renouveler leur permis dans les semaines ou mois à venir. La loi vient expressément réduire la validité de trois ans à un an. » 

Illogique 

Il dit qu’il ne comprend pas la logique de la manœuvre. « En Angleterre ou en Inde, on donne un permis de radio ou de télé de dix ans. Il faut comprendre la logique économique derrière l’audiovisuel. Personne ne souhaitera investir dans une radio qui a un permis pour un an seulement. »  Il poursuit que la loi permet des investissements étrangers dans les radios. 

Journalistes 

Il fait aussi référence à la section 12 de la Constitution qui évoque la liberté d’expression des journalistes. Il s’appuie sur l’Amérique qui a un Enhanced Constitutionnal Protection ou encore le Canada qui dispose d’une loi spéciale pour les journalistes.  « À Maurice, on a une série de jugements, en 1974, il y a eu Duval v le commissaire de police, La Sentinelle v Bunwaree… Les juges ont dit que la presse n’est pas explicite et quand on parle de liberté, on parle de responsabilité. Il y a pas moins de douze offenses qui concernent les journalistes. En cas de faute, ils peuvent être condamnés. »

Indépendance

Selon lui, pour des postes comme celui de président de l’IBA, la nomination est faite par le président en consultation avec le Premier ministre et le leader de l’opposition. Or, « aujourd’hui c’est devenu un gimmick ». Il salue le professionnalisme et l’indépendance dont a fait preuve Me Ashok Radhakissoon quand il était à la tête de l’IBA. Il déplore qu’il y ait des nominés d’instances régulatrices qui affichent ouvertement leurs affinités. « La nomination de partisans patentés est grave quand il s’agit d’instances régulatrices comme la Banque de Maurice, la FSC, l’Icta et l’IBA. »

Review Panel

Il met l’accent sur le rapport de l’avocat et spécialiste en droits des médias, Geoffrey Robertson. Celui-ci avait préconisé que la responsabilité de nommer les membres des instances régulatrices soit confiée à un corps indépendant, comme la Judicial and Legal Service Commission.  Il revient sur l’administrative fine que l’IBA peut imposer aux radios. « Déjà les pénalités ne sont pas nominales et symboliques. Si une radio fait un lapsus, elle sera à la merci du Review Panel et dépendra des caprices des membres. » Il ajoute que des radios qui sont déjà dans le rouge seront dans l’obligation de fermer si on leur impose des pénalités de Rs 500 000 plusieurs fois par an. 

Équilibre

Il concède qu’il faille payer s’il y a diffamation. « Je ne dis pas qu’on doit être comme dans le Far West avec des journalistes qui font ce qu’ils veulent, car il y a la liberté de la presse. » Il fait mention du rapport du Commonwealth qui préconise l’équilibre. 

Whistleblowers 

Il souligne que ces amendements décourageront des whistleblowers à donner des informations. « La section 18 de cette loi est extrêmement dangereuse. Même pendant la période coloniale, il n’y avait pas de lois aussi contraignantes. En Europe comme à Maurice, les journalistes ont toujours protégé leurs sources. Cette loi fait peur aux journalistes et aux personnes. » 

Sanctions

L’independent Broadcasting Review Panel ne sera pas dans l’obligation de se plier aux rules of evidence. Ce qui représente un danger, car les personnes qui y siègeront seront des nominés politiques. « Il faut pouvoir être indépendant. Dans ce cas, il n’y a pas de garantie d’indépendance. Des sanctions peuvent être prises avant que la partie concernée soit entendue. » 

Abus

Il avance que des lois taillées sur mesure engendrent souvent des « abus ». « Dans le passé, il y a eu des petits abus des différents partis dans l’opposition, mais aujourd’hui il s’agit de concerted strategy de l'actuel gouvernement. »

Il poursuit que dans d’autres pays comme l’Angleterre ou la France, des personnes seraient descendues dans les rues, mais à Maurice avec les restrictions sanitaires, pas plus de 100 personnes peuvent manifester devant l’Assemblée nationale. « C’est triste. Tout le monde est en train de souffrir. Je ne crois pas que ce soit le moment de donner un coup de massue. »

Sursaut d’orgueil

Les deux recours restent la Cour suprême et le privy council. Il explique que plusieurs sections de la Constitution sont bafouées. La section 17, la section 12 et potentiellement la section 16. Car il y a des radios qui viennent d’obtenir leur permis pour qui cette loi sera applicable dans trois ans. 
« Je ne serai pas surpris si les permis de certaines radios ne sont pas renouvelés dans deux ou trois mois. J’espère qu’il y aura un sursaut d’orgueil et que le gouvernement réalisera que les mesures qu’ils mettent en place peuvent être utilisées contre eux à l’avenir. »

 

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