
Tombé dans la marmite équestre, Yash Vikesh Jeebodh a transformé son rêve en réalité : son mini-ranch, le Riverside Stable, abrite sept chevaux à la retraite. Entre sauts d’obstacles et balades tranquilles, ces anciens champions savourent une nouvelle vie, loin du tumulte des courses hippiques.
À l’aube, la lumière glisse sur les champs de canne et éclaire un coin discret de Mont-Gout, à Pamplemousses. Là, derrière une barrière de bois simple, le Riverside Stable s’éveille. Dans le silence à peine troublé par le chant des oiseaux, des silhouettes se déplacent lentement dans le pré, museau penché vers l’herbe encore perlée de rosée. Ce sont des héros fatigués, des anciens champions du Champ-de-Mars, aujourd’hui à la retraite. Ils s’appellent Under Cover Agent, Star of Kazan, Toi a Lui, The Reedle, IT Factor, Fools Gold et Stone Circle. Autrefois lancés à pleine vitesse sous les cris de la foule, ils goûtent désormais à une vie plus paisible, loin des clameurs.

À leurs côtés, Yash Vikesh Jeebodh, 28 ans, veille avec attention. Passionné depuis quinze ans, il a fait de ce lieu un refuge pour chevaux oubliés. Shahrukh Bundhun-Puddoo, moniteur d’équitation âgé de 31 ans, et de jeunes apprentis cavaliers comme Anderson l’accompagnent dans cette mission (voir plus loin). Ensemble, ils prennent soin de ces animaux que plus personne n’attendait.
Ici, les chevaux peuvent brouter, se rouler dans la poussière, se libérer. « Pour des raisons d’hygiène, de marquage olfactif et de bien-être », explique Yash, citant les bénéfices souvent évoqués : soulagement des démangeaisons, contrôle de la température corporelle, apaisement des tensions. « Ils sont aussi bichonnés », ajoute-t-il : frictionnés, nettoyés, séchés, pour activer leur circulation sanguine.
Son histoire commence ailleurs, à Mont-Rocher. Yash s’en souvient comme si c’était hier. « Mon premier souvenir avec un cheval date d’il y a 15 ans. Je me suis senti heureux avec eux. Ils sont uniques parmi les animaux », confie-t-il, un sourire au coin des lèvres et les yeux brillants. C’est ce jour-là qu’il s’est promis de rester près d’eux. « J’aimais déjà les chevaux et les animaux, et j’aimais les courses depuis petit. C’était ma passion et je voulais ma propre écurie. »
Mais posséder des chevaux de course relève du luxe. Alors il a choisi un autre chemin, plus modeste et plus courageux : recueillir ceux dont personne ne veut. « Comme les chevaux de course coûtent trop cher, je recueille les chevaux à la retraite. La plupart se font endormir et sont euthanasiés, mais certains sont repris par des individus. Ici, les chevaux sont plus relax, ils sortent et ne travaillent pas tous les jours. Ils n’ont pas de tension ni stress. »

Le quotidien au Riverside Stable n’a rien de spectaculaire. Et c’est justement ce qui plaît à Yash. « Une journée normale est peaceful. On fait des balades », raconte-t-il. L’alimentation aussi change, loin des régimes calculés pour la performance, explique-t-il. « Ils ne mangent plus la même chose qu’avant, soit de la nourriture qui les préparait aux courses. Avec l’âge, ils changent, ils maigrissent ; ce n’est pas qu’ils sont maltraités. Ils peuvent vivre jusqu’à 30 ans et même plus. »
Prendre soin de ces équidés a pourtant un prix élevé : environ Rs 20 000 par mois et par cheval. « Avec les chevaux, on ne peut pas penser à couvrir les frais. Ce n’est pas un investissement, c’est une passion. Mo pa fer kas ek seval », insiste Yash. Outre les dépenses, il doit gérer mille petits tracas : les mouches qui harcèlent les bêtes, les blessures bénignes, la fatigue.
Mais ce qui le frappe le plus, c’est l’oubli. « Après les courses, certains propriétaires ne savent même pas ce qui se passe avec leurs chevaux », soupire-t-il. Yash insiste : « Mon message, c’est qu’il faudrait avoir un suivi sur les chevaux à la retraite. »
Son rêve dépasse pourtant son écurie. Yash imagine une pratique de l’équitation ouverte à tous, au-delà des barrières sociales et financières. Et, plus encore, il espère attirer les jeunes, leur offrir la chance de ressentir cette étrange complicité qui naît lorsqu’on se hisse en selle. « C’est une autre sensation quand on est à califourchon sur un cheval, on a des palefreniers, un moniteur, des amis qui adorent les chevaux qui donnent un coup de main et qui sont des volontaires. »
Sous le soleil qui monte, les chevaux s’ébrouent doucement, indifférents à ce rêve. Eux vivent déjà leur seconde vie.
Shahrukh et Anderson : quand la passion des chevaux se transmet

À quelques pas des prés où paissent les anciens champions, Shahrukh Bundhun-Puddoo s’affaire avec calme et assurance. Moniteur d’équitation, il est le second pilier du Riverside Stable aux côtés de Yash Vikesh Jeebodh. Sa passion pour les chevaux, il la porte en lui depuis l’enfance. « Tous les matins avant d’aller à l’école, j’allais voir l’entraînement avec mon papa », se souvient-il. Il n’avait alors que trois ans et demi, mais déjà le Champ-de-Mars dessinait l’horizon de ses journées.
Cette fascination ne l’a jamais quitté. Des années plus tard, c’est en France, à l’université de Bordeaux, qu’il se forme et obtient son diplôme de coach d’équitation. Un savoir-faire qu’il a choisi de ramener à Maurice, déterminé à transmettre ce qu’il avait appris ailleurs. « Je donne un coup de main à Yash, je fais les cours aux apprentis, je monte deux chevaux ici », dit-il simplement.
Shahrukh sait mieux que quiconque combien il est difficile pour un pur-sang de troquer l’adrénaline des courses contre la tranquillité des leçons d’équitation. « Quand on récupère un cheval de course, ça prend quelques années pour qu’on puisse le mettre en leçon pour des débutants », explique-t-il. Certains s’adaptent vite, d’autres résistent, gardant en eux la nervosité des compétiteurs.
Parmi tous les chevaux qu’il a croisés, deux l’ont profondément marqué. D’abord Interland, un grand champion offert par ses parents à ses 14 ans, souvenir lumineux de l’adolescence. Puis Fools Gold, au caractère difficile, qu’il a apprivoisé à force de patience et d’obstination. « Il est devenu mon copain après deux ans de travail », confie-t-il avec tendresse.
Pour Shahrukh, les chevaux ne sont pas réservés aux adultes ni aux initiés. L’équitation, insiste-t-il, peut commencer très tôt. « Dans les clubs avec des poneys, les enfants peuvent commencer à 3 ou 4 ans. À 6 ou 7 ans, c’est un bon âge », assure-t-il.

Une silhouette juvénile attire l’attention. Anderson n’a que 11 ans, mais déjà il incarne l’avenir de cette passion. Depuis un an, il fréquente assidûment le ranch, guidé par la patience de Shahrukh Bundhun-Puddoo. Les bottes un peu trop grandes et le regard concentré, il s’exerce à l’art délicat de l’équitation. « J’aime les chevaux et j’apprends à monter à cheval. Je voudrais être jockey », confie-t-il d’une voix timide, presque retenue, mais avec des étoiles dans les yeux.
Pendant les vacances, Anderson ne se contente pas de monter : il participe à la vie de l’écurie, nourrit les chevaux, observe les soins, apprend les gestes. Chaque mouvement devient pour lui un apprentissage, une initiation à un monde qu’il rêve de faire sien. À ses côtés, Shahrukh l’encourage avec bienveillance. « On essaie de lui trouver une vocation », glisse-t-il avec un sourire complice.
Lorsque le soleil monte plus haut dans le ciel, les hennissements se mêlent aux rires des enfants, aux applaudissements des cavaliers novices, aux silences complices des passionnés. Le Riverside Stable respire. Et dans chaque souffle chaud qui s’élève des naseaux des chevaux, l’écho d’une promesse : un avenir fait de respect et de dignité retrouvée.

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