
La réforme de la retraite, avec le relèvement de l’âge d’éligibilité à la pension de 60 à 65 ans, marque-t-elle le début d’un démantèlement progressif de l’État-providence à Maurice ? Le président de la State and Other Employees Federation, Radhakrisna Sadien, en est convaincu. Selon lui, les signes avant-coureurs de ce virage ont déjà fait leur apparition dans le Budget 2025-26.
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En tant que vieux routier du monde syndical, vos premières analyses du Budget 2025-26 ?
Après avoir parcouru le rapport intitulé State of the Economy, il était évident que le gouvernement ne disposait pas d’une grande marge de manœuvre pour ce Budget. Mais il ne faut pas oublier que le gouvernement a été élu sur la base des promesses faites lors de la campagne. La population a rejeté un système et a voulu un changement de politique sur le plan de la démocratie, de la transparence, de la liberté des institutions, ainsi que de la protection des droits des consommateurs.
Il faut honnêtement admettre que le Budget comprend pas mal de bonnes idées, comme par exemple l’octroi de Rs 2 milliards au Price Stabilisation Fund pour l’année financière en cours, le retrait de la TVA sur les infant foods et les frozen packed vegetables, ainsi que la construction d’un système de stockage moderne, qui devraient apporter un soulagement aux consommateurs. La nomination d’un Ombudsperson for Health Services, l’Electronic Health Records à la Santé, ainsi qu’un système électronique pour les dossiers à la Sécurité sociale, devraient forcément améliorer ces deux services.
Qu’est-ce qui vous dérange ?
Ce qui cloche pour moi, c’est que les voitures hybrides et électriques coûteront plus cher, surtout à un moment où l’on parle des effets du changement climatique sur l’île. Les boissons gazeuses et les pâtisseries coûteront aussi plus cher avec l’augmentation du prix du sucre.
La pension universelle est repoussée de 60 à 65 ans. Le gouvernement avait-il un mandat pour le faire ?
L’extension de l’éligibilité de la pension universelle (BRP)au-delà de l’âge de 60 ans n’était pas dans le programme du gouvernement. Cela n’a pas non plus été mentionné dans le discours-programme lu par le président de la République.
D’ailleurs, tout au long du discours, il a été question d’un dialogue permanent avec la population. Même le discours du Premier ministre pour le Nouvel an parlait d’un dialogue permanent avec la population. Ce qui dérange, c’est l’annonce abrupte de l’arrêt du paiement de la BRP à l’âge de 60 ans. Ce gouvernement n’avait pas le mandat de mettre en place une réforme de la pension. La démarche du gouvernement concernant la BRP s’apparente à une forme d’arnaque.
Comme pour les diffé-rentes assises qui ont eu lieu récemment, fallait-il une consultation préalable avant de toucher à la BRP ?
Personne ne peut prétendre avoir le monopole des idées. Comme on l’a fait pour le système éducatif à travers les Assises de l’éducation pour le Higher Education, ou encore pour le Blueprint de la numérisation, le gouvernement aurait dû démarrer un débat national sur la BRP avec un calendrier pour les décisions.
Ce gouvernement n’avait pas le mandat de mettre en place une réforme de la pension. La démarche concernant la BRP s’apparente à une forme d’arnaque»
Serait-ce le point noir de ce Budget, comme certains le disent ?
Vous avez bien dit que le point noir de ce Budget est l’extension de l’âge pour le paiement de la BRP. Les défis démographiques de Maurice ont été sujets à des débats depuis belle lurette. Les partis politiques sont conscients que l’impact d’une décision sur le sujet pourrait être politiquement suicidaire.
D’où la raison pour laquelle ce sujet a été gardé sous le tapis. Étant donné que le débat est maintenant lancé, le gouvernement aurait dû suspendre sa proposition sur la BRP et engager un dialogue avec la population afin qu’il y ait un shared understanding sur la problématique. Ensuite, il aurait fallu rechercher un consensus sur les différentes options possibles à court, moyen et long termes.
La population a démontré, durant la période de la COVID, qu’elle est prête à faire des sacrifices, aussi longtemps que tout le monde le fasse, y compris les politiciens. Le gouvernement doit, lui aussi, revoir son train de vie. Il faut reconnaître que les politiciens, pour la plupart, sont soit des professionnels soit des directeurs de compagnie. Donc, ils ne dépendent pas de ce qu’ils reçoivent du gouvernement en termes de salaires, comparativement à un salarié qui ne dépend que de l’unique salaire qu’il perçoit.
En touchant à la pension universelle, serait-ce le début du démantèlement de l’État-providence ? Après la BRP, la santé et l’éducation pourraient-elles suivre ?
Déjà, il y a beaucoup d’institutions éducatives privées dans le pays et des cliniques privées ont poussé comme des champignons. Donc, le risque d’un démantèlement progressif de notre Welfare State est bien réel. N’oublions pas que des patients ont été envoyés dans des cliniques privées aux frais de l’État. Le danger est toujours présent avec la politique ultralibérale prônée par les institutions de Bretton Woods. La population doit rester vigilante.
Est prévu un Conseil des ministres spécial lundi, au retour du Premier ministre au pays, afin d’examiner dans quelle mesure des exceptions pourraient être offertes aux employés exerçant un travail qualifié de pénible concernant l’éligibilité à la BRP à 60 ans au lieu de 65 ans. S’agit-il d’un « backpedal » ou d’un signe de bon sens de la part du gouvernement ?
La façon dont la décision de repousser l’éligibilité à la BRP de 60 à 65 ans a été prise ressemble à une manière de faire autocratique, coupée de la réalité mauricienne. Il n’est pas étonnant qu’il y ait des voix discordantes au sein même de la majorité, et avec raison. On ne peut facilement catégoriser les emplois, c’est difficile.
Heureusement, le gouvernement semble désormais prêter l’oreille aux voix discordantes du peuple, même avec du retard. Je comprends que Navin Ramgoolam n’était pas au pays, mais il a dû mesurer la portée de la décision concernant la BRP. C’est un effort louable de sa part : il entend enfin la voix du petit peuple, avec raison.
On parle de gaspillage. Considérez-vous que le directeur de l’Audit aurait dû avoir plus de pouvoirs et que les débats autour du rapport se fassent au Parlement pour identifier où le bât blesse, comme pour le transport gratuit, par exemple ?
Depuis des années, on tire la sonnette d’alarme sur de nombreux cas de gaspillage des fonds publics. Vous avez raison de dire qu’on aurait pu réduire les gaspillages liés à la gratuité du transport public, qui coûte au pays la bagatelle de Rs 1 milliard annuellement. Pourquoi ne pas introduire une Robin Hood tax ? C’est-à-dire prendre aux riches pour consolider les revenus
de l’État.
Je m’explique : les grosses compagnies, les gros commerçants, les banques, les compagnies d’assurances, les compagnies offshore, les grosses fortunes et les touristes sont autant de moyens d’avoir des revenus additionnels.
Venons-en à cette pension à vie d’une catégorie de parlementaires, vivement dénoncée sur les réseaux sociaux. Ce que l’on oublie, c’est qu’elle est contributive à hauteur de 6 % du salaire de l’élu et qu’une pension, quelle qu’elle soit, est toujours à vie ?
C’est vrai que la pension des parlementaires peut ne pas représenter une grosse somme. Mais toute révision de la pension des parlementaires donnerait un signal fort à tous. Il n’y a pas que les parlementaires, mais il y a aussi des personnes qui perçoivent Rs 1 million par mois. Tout le monde doit faire des sacrifices.
Avec l’avènement de l’intelligence artificielle (IA), y a-t-il une crainte que le gouvernement, pour faire court, cesse de recruter au sein de la fonction publique dans un proche avenir ?
Bien sûr qu’il y a une crainte de perte d’emplois avec l’IA. C’est pourquoi on demande que ce sujet soit bien débattu publiquement et compris en amont. On a besoin d’exemples de pays étrangers.

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