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Questions à…Hashim Dookhy : « Pourquoi pas un système où les usagers de la route se surveillent ? »

Qu’est-ce qui vous a poussé à entreprendre cette analyse ?
Les gens font ce qui leur plaît sur les routes. L’insouciance, le manque de courtoisie, l’incivisme et le non-respect du code de la route ne cessent de s’accroître. Nos routes sont déjà engorgées et la situation ne fera qu’empirer. Il est impératif d’éveiller les consciences, car l’heure est grave face au nombre trop élevé de fatalités sur nos routes.

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Les voitures comme des pièces de Tetris… Comment pourrions-nous repenser le puzzle du trafic pour le rendre plus fluide et moins frustrant ?
Nos routes sont malheureusement saturées. Nous nous retrouvons devant un fait accompli. Le ratio de véhicules par km de route à Maurice est d’environ 210. (210 x 5m = Plus d’un kilomètre). Dans la plupart des pays, ce nombre est de ou proche de 100. Les pièces de Tetris ont déjà envahi l’écran de jeu !

Si nos routes pouvaient résister à la pression des véhicules, à quoi ressemblerait le paysage urbain ? Comment la conception des routes pourrait-elle évoluer pour s’adapter à cette saturation croissante, à votre avis ?
Il est impensable d’avoir un paysage avec le double du réseau routier actuel pour une île comme la nôtre. En réalité, il est impossible que notre réseau routier se développe au même rythme que l’augmentation du nombre de véhicules chaque année. Chaque année, le nombre de « four-wheelers » s’accroît d’environ 15 000 unités (sans compter les véhicules hors service). Avec une moyenne de 5 mètres de longueur occupée par chaque véhicule, l’espace nécessaire pour les accueillir est de 75 kilomètres. Cela correspond à la longueur d’une route de l’aéroport de Plaisance à Grand Baie. Peut-on vraiment construire des routes à ce rythme chaque année ?

Quelles seraient, selon vous, des solutions alternatives de transport ou de mobilité pour atténuer la dépendance croissante aux véhicules particuliers ?
“A developed country is not a place where the poor have cars. It’s where the rich use public transportation”. Cette citation est de Gustavo Petro, président de la Colombie. Il faut aller dans cette direction : moderniser le transport public afin d’attirer le maximum d’usagers. 

Le tram est une bonne initiative en soi. Son intégration avec les infrastructures existantes est une autre affaire. Il faut inciter les gens à se rendre aux stations de tram. Pourquoi pas aménager des espaces de stationnement à proximité des stations et peut-être réviser le système des « feeder buses » pour le rendre plus efficace.

Gagner du temps en conduisant plus vite : une illusion selon vous. Vous invitez à repenser notre perception du temps et de la vitesse au volant. Comment avez-vous calculé ces « gains de temps » et comment pensez-vous que cela affecte la sécurité routière ?
Il suffit de calculer le temps nécessaire pour parcourir différents trajets à différentes vitesses moyennes et de comparer les différences entre eux. Il faut noter que la durée du trajet dans des conditions idéales (conduite sans interruption à vitesse constante) serait plus courte. Dans des conditions de conduite réelles, il faudrait plus de temps à cause des arrêts aux intersections et des ralentissements quand c’est nécessaire. Le gain de temps serait encore plus faible. Est-ce que cela vaut vraiment le coup de prendre le risque de dépasser la limite de vitesse pour gagner, par exemple, 3 minutes de Port-Louis à Grand-Baie ? Et si, en chemin, nous tombons sur 2 ou 3 feux rouges ?

L’excès de vitesse est l’une des principales causes d’accident. Il augmente la distance de freinage. Plus un véhicule roule vite, plus il lui faut de temps pour s’arrêter et plus le risque d’accident est élevé. La vitesse et les distances d’arrêt n’augmentent pas de la même façon. De faibles augmentations de vitesse entraînent des augmentations plus importantes des distances d’arrêt. L’impact lors des collisions est aussi plus grave.

Vous soulignez également le changement de voies fréquent sur les autoroutes. Pourriez-vous expliquer davantage l’effet de cette pratique sur la fluidité de la circulation ?
Changer sans cesse de voie, passant de la deuxième voie à la première voie, de la première à la deuxième, de la deuxième à la troisième, et ainsi de suite dès que nous voyons un espace dans la file, alors que la circulation est déjà ralentie, en pensant que nous avançons plus vite de cette façon ? 

En fait, cette pratique freine encore plus la circulation. Les conducteurs ne peuvent pas garder une vitesse constante sur l’autoroute. Des freinages sont sans arrêt nécessaires chaque fois que des véhicules se croisent. Cela provoque une circulation plus lente. Une circulation lente sur de longues distances avec un grand nombre de véhicules crée des embouteillages. 

Nous devrions changer de voie seulement quand cela est indispensable.

Imaginons un réseau routier parfait en termes de circulation. Quelles stratégies radicales pourrions-nous adopter pour nous en rapprocher ?
Proposer des infrastructures avec le minimum de conflit possible au niveau des circulations avec des intersections sur plusieurs niveaux. Hélas, l’espace requis pour ce genre d’aménagement est souvent trop grand. Nos artères principales sont bordées de bâtiments. 

Réduire le nombre de véhicules sur nos routes. Nos routes sont déjà trop encombrées et avec le nombre croissant de nouveaux véhicules chaque année, la situation ne fera que se dégrader.

Si nos véhicules pouvaient partager des données pour optimiser la circulation, à quoi ressemblerait ce réseau intelligent, à votre avis ? 
Cela permettrait d’anticiper une congestion sur l’itinéraire ou de prévenir un accident. Une alerte serait envoyée au véhicule suiveur pour qu’il ralentisse. Il pourrait aussi détecter les éléments environnants sur un périmètre 360° pour localiser les angles morts ou les changements de voies brusques. Une meilleure gestion du trafic sur un itinéraire précis serait possible, soit de manière événementielle (un accident qui vient d’arriver), soit par anticipation (un aménagement de route prévu ou une détection des conditions météorologiques extrêmes obstruant les routes - Flash Floods).

Quelle serait l’histoire d’une journée dans la vie d’un automobiliste dans un monde idéal de circulation ? Quelles transformations devraient avoir lieu pour rendre cette vision possible, selon vous ? 
Que chaque individu soit discipliné sur la route et respecte le code de la route et lois établies en ce sens. Que la courtoisie prime sur l’égocentrisme. Que les campagnes de sensibilisation soient axées sur l’individu. J’ai en tête la campagne « Pa laisse coltar touye nou fami ». Ce n’est pas la route qui tue. C’est l’homme qui est en train de se donner la mort.

La création d’une plateforme en ligne pour signaler les infractions s’apparente à un système de « justiciers de la route ». Concrètement, comment cela fonctionnerait-il ?
Les gens se comportent correctement seulement en présence de policiers, et il est pratiquement impossible d’avoir un policier derrière chaque usager de la route. Ne pourrions-nous pas mettre en place un système où les usagers de la route se surveilleraient mutuellement ? 

Avec les caméras de tableau de bord facilement disponibles, ne pourrions-nous pas créer une plateforme en ligne pour signaler des infractions, similaire à la plateforme CSU ? Les individus auraient un compte et pourraient télécharger de courtes vidéos d’infractions enregistrées à partir de caméras de tableau de bord. Ils pourraient aussi fournir des informations de base telles que le numéro de véhicule, la marque et le modèle, le lieu de l’infraction, la date et l’heure, etc. 

Les usagers de la route seraient potentiellement surveillés en permanence par d’autres usagers de la route et seraient moins tentés de commettre des infractions qui, dans d’autres circonstances, resteraient impunies.

Pensez-vous que les données collectées pourraient être utilisées pour influencer les comportements des conducteurs et améliorer la sécurité routière ?
Certainement. Le concept de « You’re being watched » sera certes très dissuasif. Les nombre d’infractions connaîtrait une baisse conséquente. Les personnes téléchargeant des vidéos ne feraient qu’agir comme les yeux de la police. L’argent recueilli pourrait être utilisé afin d’améliorer davantage notre réseau routier. 

Quid des éventuelles fausses déclarations ou abus de la plateforme de signalement en ligne que vous proposez ?
Une unité de la police serait responsable de la gestion de ce système. Cette unité agirait comme un filtre afin de vérifier les infractions rapportées en ligne. Ce système ne concernerait que les infractions qui peuvent être jugées visuellement. 

Quelques exemples : non-respect d’un signal routier en franchissant une ligne blanche continue sur une route ; non-respect d’un signal routier en ne respectant pas l’exigence d’un feu de circulation ; non-respect de la discipline de voie sur une section à deux chaussées (article 123AM) ; non-respect d’un signal routier. 

Le ministère du Transport terrestre et du métro léger vient de lancer un appel d’offres pour des « Consultancy services for study and design of a photographic and video camera detection system for enforcement of road traffic violation in Mauritius ». C’est un premier pas dans cette direction. 

Le mot de la fin : si vous pouviez inventer une règle de conduite insolite pour améliorer la circulation, que serait-ce et pourquoi ?
Confiscation d’un véhicule pour une durée déterminée pour ceux qui stationnent en obstruant la fluidité des routes principales en pleine journée. 

 

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