
Le Défi Quotidien a interrogé quelques Mauriciens vivant aux États-Unis pour comprendre comment ils vivent les élections présidentielles. Ils racontent leurs craintes, leurs priorités et leurs espoirs.
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Que représentent au juste les élections présidentielles pour les Mauriciens qui vivent aux États-Unis ou qui y ont des attaches fortes ? Entre la politique hostile de Trump vis-à-vis de l’immigration, son dédain pour le filet social auquel tout Mauricien est habitué, le spectre d’une Cour suprême penchant du côté des conservateurs et la perspective d’émeutes à l’annonce des résultats, les inquiétudes sont légion. Du coup, l’espoir d’une victoire de Biden en fait vivre beaucoup, qui attendront avec impatience les résultats du scrutin dans les heures ou les jours à venir.
Ishant Ayadassen, un jeune Mauricien de 24 ans, établi aux États-Unis depuis quatre ans, explique son impatience. « Je vis à Sarasota, en Floride, donc en plein Trumpland où certaines personnes brandissent encore le drapeau des confédérés, relate-t-il. Je suis impatient de connaître les résultats, vu que je n’ai profité que des quatre derniers mois d’Obama depuis que je suis ici. » Depuis, la politique aux États-Unis est devenue « a joke », selon lui.
Pour ce jeune conseiller financier, la question de visas est sans doute la plus importante pour la communauté de Mauriciens vivant aux États-Unis. Le 31 octobre dernier, le Department of Homeland Security a changé les règlements concernant les visas H-1B, durcissant les critères. « L’administration Trump rend très difficile pour les Mauriciens d’immigrer et de s’installer aux États-Unis. » De nombreux Mauriciens, actuellement aux États-Unis, courent donc le risque d’une révocation de ce visa, alors que certains qui y finissent leurs études auront bien plus de difficultés à l’obtenir pour pouvoir travailler.
Mais une présidence Biden serait-elle synonyme de bonne nouvelle sur ce front ? « Une présidence Biden, selon toute probabilité, changerait cette politique, assure Ishant Ayadassen. Les démocrates réalisent l’importance des immigrants dans le développement des États-Unis. »
Tous les Mauriciens vivant aux États-Unis ne partagent pas cette inquiétude, cependant. Sophie Hall, 36 ans, vivant en Californie depuis six ans, explique : « Mauriciens ou Américains, les problèmes sont les mêmes pour tous ; l’emploi, la santé, la sécurité. Trump a besoin d’étrangers et d’immigrants, peu importe ce qu’il dit. » Pour elle, il s’agit simplement de rhétorique. Cela fait partie du show Trump pour galvaniser son électorat. « Les Mauriciens avec qui je suis en contact ici ne s’inquiètent pas vraiment de lui. »
Est-ce donc de l’indifférence ? Pas tout à fait, selon Sophie Hall, qui soutient que les Mauriciens ayant le droit de vote aux États-Unis l’ont fait avec enthousiasme. « Beaucoup ont déjà voté, avance-t-elle. Je suppose que cela signifie qu’on fait partie de ce pays. Je ne peux en être sûre, mais je crois que la majorité des votes mauriciens penchent pour Biden. »
Incertitudes et insécurité
Le témoignage d’un autre jeune Mauricien vivant au Minnesota, qui a requis l’anonymat, met toutefois en exergue un autre problème qui préoccupe les Mauriciens vivant le rêve américain : le coût de la santé. « En tant qu’immigrant, j’aspire à un meilleur niveau de vie, avec une éducation et un service de santé abordables. » Le coût de la santé aux États-Unis est exorbitant. « Au moins Biden soutient la politique de réduction des coûts de la santé », renchérit-il.
Un autre Mauricien qui habite en Californie depuis 20 ans, explique que ces élections revêtent une importance pour les Mauriciens du fait que la Cour suprême penche du côté des conservateurs depuis la dernière nomination de Trump. « La Cour suprême doit trancher pas mal de questions et peut affecter beaucoup de Mauriciens sur des questions concernant le monde du travail, voire la vie en général. »
Ainsi, les lois sur le contrôle des armes à feu, qui mettent bon nombre de Mauriciens mal-à-l’aise, ont peu de chances de devenir réalité sous une présidence Trump, selon cet interlocuteur. L’Obamacare pourrait également faire les frais d’une présidence et d’un judiciaire républicains. Joe Biden représenterait, pour lui, l’alternative plus progressiste, même si un candidat plus jeune aurait pu l’être davantage.
Ce quadragénaire souligne également le fait que plusieurs Mauriciens sont inquiets du langage de Trump depuis peu. Ce dernier a déclaré, à maintes reprises, qu’il n’accepterait pas une éventuelle défaite, alors qu’il sème des fausses nouvelles concernant des cas de fraude électorale. « Un ami m’a dit qu’il avait déjà stocké des provisions. » Même autour de la Maison Blanche, un mur de sécurité a été installé. Ce Mauricien estime qu’en plus de potentielles violences, la Californie, bastion démocrate, ferait les frais d’une victoire Trump, notamment à travers des changements dans la politique fiscale qui affecteraient cet État.
L’économiste Manisha Dookhony a vécu deux ans aux États-Unis et y a travaillé pour une sénatrice démocrate des Massachusetts. Elle estime que la plupart des Mauriciens installés aux États-Unis se sentent plus proches de la politique du parti démocrate. « Je ne dis pas qu’il n’y a pas de Républicains, mais nous venons d’un pays où il y a beaucoup de social, argue-t-elle. Les immigrés penchent plutôt côté démocrate, qui est plus favorable aux détenteurs de Green Cards ». Cette tendance reflète également les États où s’installent généralement les Mauriciens : les côtes Ouest et Est, plus cosmopolites et ouverts.
Maurice Vigier de la Tour, représentant local de la Mauritius-US Business Association : «L’Agoa ne sera pas renouvelée, peu importe le vainqueur»
Maurice Vigier de la Tour est l’un des pionniers du secteur manufacturier mauricien. Il est également responsable du bureau local de la Mauritius-US Business Association (MUSBA), qui assure la liaison entre le secteur privé mauricien et les États-Unis. Selon lui, Trump comme Biden, devrait assurer une bonne relation continue avec Maurice, surtout en ce qui concerne le commerce. La principale question s’articulera autour du comment, surtout avec l’African Growth and Opportunity Act (AGOA) qui arrive à son échéance en 2025.
Premier constat : « L’Agoa ne sera pas renouvelée, peu importe le vainqueur. » Cet accord vise à assister les économies de l’Afrique subsaharienne. La loi votée en 2000, a été renouvelée pour 10 ans en 2015. En 2025, pas de renouvellement possible, il faudra négocier des accords de libre-échange à la place. « Il y aura des accords de libre-échange entre les États-Unis et les 38 pays qui ont le visa AGOA. »
Les négociations ont déjà démarré en mars dernier, avec le Kenya choisi pour lancer les discussions. C’est là la principale différence qu’il devrait y avoir entre Démocrates et Républicains : Trump est en faveur de négociations bilatérales de pays à pays, alors qu’une administration Biden favoriserait plutôt des négociations avec des groupes. « Si ce sont les Démocrates avec Biden, ils vont peut-être favoriser les négociations avec des communautés, comme la Sadc et la Comesa », explique Maurice Vigier de la Tour.
Quoi qu’il en soit, il est confiant que les négociations vont continuer, peu importe sous quelle administration. « La négociation avec les communautés irait plus vite, mais d’un autre côté, on peut aussi se retrouver avec des pays qui peuvent nous handicaper », avance-t-il. Les exportations vers les États-Unis ne devraient pas repartir avant la fin de la crise sanitaire liée à la Covid-19. « On a critiqué Trump et sa gestion de la Covid, mais je crois qu’ils attendent tous le vaccin.
Il faut espérer qu’il soit trouvé d’ici l’année prochaine. »

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