Sous l’initiative de la Speaker Shirin Aumeeruddy-Cziffra, le Gender Caucus du Parlement coordonne pour la première fois la campagne des « 16 jours d’activisme » avec le soutien du Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD). Une démarche participative et inédite pour sensibiliser la population.
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Cette année, le Gender Caucus du Parlement, sous votre initiative, coordonne la campagne des « 16 jours d’activisme sur la violence basée sur le genre » avec le soutien du PNUD. Pouvez-vous nous expliquer la portée de cette collaboration et les principaux objectifs visés pour prévenir toutes les formes de violence, en particulier celles basées sur le genre ?
Cette campagne est organisée à l’appel « UNiTE » du Secrétaire général de l’Organisation des Nations unies (ONU), qui, chaque année, invite à une mobilisation internationale pour lutter contre ce fléau qui, malheureusement, se répand de plus en plus dans le monde entier. C’est la première fois que l’Assemblée nationale se mobilise, comme le font déjà de nombreuses organisations non gouvernementales, de même que le ministère de tutelle depuis longtemps.
Moi-même, j’ai déjà participé à plusieurs campagnes à Maurice et à l’étranger. Mais nous avons estimé que le Parliamentary Gender Caucus devait sortir de ses travaux purement institutionnels et être plus dynamique, plus proche des vrais besoins du peuple. En même temps, nous avons voulu innover et mener une campagne qui ne soit pas basée uniquement sur la parole. Nous voulons toucher le cœur des gens et leur faire prendre conscience de toutes les formes de violence qui existent et sont souvent insoupçonnées. Cela n’exclut pas les tables rondes et les débats, mais cette fois, nous avons voulu un happening.
Avec plusieurs cas de féminicides récents à Maurice, pensez-vous que ce type de campagne peut réellement contribuer à sensibiliser le public et à prévenir de tels drames ?
Le silence est-il meilleur ? Ce fléau est difficile à combattre. Une campagne de sensibilisation est toujours nécessaire. D’ailleurs, au plan international, nous célébrons cette année les 30 ans de la Déclaration et du Plan d’action mondial de Beijing. Depuis 1975, l’ONU a organisé de grandes conférences mondiales qui ont abouti, en 1995, à celle de Beijing. Le gouvernement mauricien, quel que soit le régime en place, a participé activement à ces conférences et a adopté la Déclaration de 1995, ainsi que la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes.
S’il a fallu tout ce temps, c’est que le problème du sexisme, à la base de cette violence, est complexe et profond, et qu’il demande une approche pluridisciplinaire. Nous devons constamment remettre sur le métier notre travail de sensibilisation pour toucher le maximum de personnes. Il y a la séparation des pouvoirs : c’est à l’État de prendre les mesures appropriées. Mais nous voulons tout de même présenter des propositions aux différents ministères. Nous travaillons d’ailleurs sur un projet pilote, actuellement en phase de finalisation, pour toucher les élèves des établissements scolaires. Je vous en reparlerai.
Le cyberharcèlement et le harcèlement en ligne ont été identifiés comme des facteurs aggravants. Comment le Parlement compte-t-il intégrer ces problématiques dans cette campagne ?
Cette année, l’ONU a mis l’accent sur le harcèlement en ligne. J’ai cru comprendre que le ministère de l’Égalité du genre travaille en étroite collaboration avec le ministère des Technologies de l’information sur ce thème. Nous allons aussi en parler à notre manière, en utilisant nos propres modes de communication, notamment à travers des clips. Nous avons déjà connu de tels cas dans le passé, mais il y a aujourd’hui un risque accru dont il faut tous tenir compte.
Comment la campagne peut-elle impliquer les jeunes et les sensibiliser aux dangers du cyberharcèlement et de la violence domestique afin de prévenir des situations tragiques ?
Dans notre programme, une journée sera consacrée aux jeunes. Ce sera celle de la clôture, le 10 décembre, Journée mondiale des droits humains. Nous avons invité les membres du National Youth Parliament à nous faire des propositions. J’attends les détails, mais je peux déjà dire qu’il y aura un sketch sur le harcèlement à l’école et des chansons. Ce sera plus large que la seule question de la violence, et ils parleront, je l’espère, de notre devise des 3 R, qu’ils ont déjà adoptée : Rights, Respect, Responsibility. Trente jeunes de l’océan Indien seront également présents pour échanger avec leurs pairs. Il me semble évident que ces jeunes constituent un maillon essentiel pour relayer les messages dans leur milieu. Nous essaierons de les soutenir autant que possible. Mais c’est aux ministères chargés de l’Éducation, de la Jeunesse et des Sports, ainsi que de la Protection de la famille, d’agir en premier lieu. Les députés peuvent, pour leur part, interpeller et faire des suggestions.
Plusieurs amendements ont déjà été apportés au Protection from Domestic Violence Act de 1997. Quels changements législatifs supplémentaires souhaiteriez-vous voir pour combler les lacunes actuelles et mieux protéger les victimes ?
En tant que Speaker, je n’ai pas vocation à présenter des propositions. Mais les députés du Gender Caucus planchent déjà sur leurs suggestions. Nous voulons notamment voir une ébauche du Domestic Abuse Bill. Chaque député, sur le terrain, connaît la réalité vécue par ses mandants.
Vous avez évoqué, il y a quelques années, l’importance de solutions systémiques et transversales, au-delà du cadre juridique. Pouvez-vous donner des exemples concrets de mesures communautaires ou institutionnelles que le Parlement souhaite promouvoir ?
La loi est indispensable pour que chacun sache ce qui est permis dans une société comme la nôtre. Mais elle a ses limites. D’où mon attachement à des solutions pluridisciplinaires, car toutes les sciences humaines sont concernées : l’anthropologie, la sociologie, l’ethnologie, la psychologie, etc. La violence existe depuis la nuit des temps. Elle est transgénérationnelle. Elle se transmet consciemment ou inconsciemment dans les familles. Chaque enfant témoin d’une violence est affecté et peut soit reproduire la violence, soit adopter une posture de victime. Il nous faut donc apprendre à briser ce cercle vicieux et le remplacer par un cercle vertueux.
Mais qui doit faire cela ?
Tout le monde peut apporter sa contribution. C’est d’ailleurs l’objectif de notre happening, qui vise à mieux équiper le citoyen afin qu’il comprenne son rôle dans la transmission de valeurs positives, au sein de sa famille comme dans la société. Il doit aussi comprendre qu’il a le devoir d’agir pour dénoncer les cas de violence dont il a connaissance. Car certains membres de famille ferment les yeux ou se taisent. Nous l’avons vu lors de procès de pédophilie ou d’inceste. Même certaines institutions, et pas des moindres, ont longtemps protégé leurs membres.
Mais aujourd’hui, puisque les gens se taisent moins, on a vu des vagues de procès dans des milieux autrefois très fermés. Je pense évidemment à la campagne « Me Too » et à certains dignitaires de grandes religions qui ont décidé de mettre fin à l’impunité.
Comment le citoyen peut-il profiter pleinement de votre campagne ?
J’espère que certains seront touchés par les tableaux de nos artistes et leurs messages. Certains parlent de leur vécu, c’est poignant. Il y aura de nombreuses manières de profiter pleinement de leur visite au Sir Harilal Vaghjee Hall pendant ces 16 jours. Chacun pourra participer activement à l’événement. Un espace spécial sera aménagé pour ceux qui souhaitent se confier, chercher de l’aide ou un conseil. Il sera géré par la Brigade pour la protection de la famille et la Gender Unit du ministère de tutelle. Un coin spécial sera aussi dédié aux enfants, avec des messages adaptés à leur âge. Les plus grands auront accès à des écrans et des casques VR. Les adultes pourront ajouter leurs propres messages sur un « Tree of Dignity » installé au centre de la salle. Ceux qui voudront s’exprimer plus longuement pourront le faire de manière plus classique.
Vous clôturez la campagne le 10 décembre, et ça va s’arrêter là ?
Non, évidemment. Notre équipe prépare actuellement un e-book qui sera mis en ligne et accessible à un public plus large, y compris à Rodrigues et à l’étranger. Certains projets seront prolongés en 2026, toujours avec le PNUD et nos autres partenaires.
Nous irons au-delà de la campagne. Les députés du Gender Caucus sont enthousiastes à l’idée de jouer un rôle plus concret et d’être plus proches de la population. Je souhaite que cet élan demeure et s’amplifie. Il faut regarder vers l’avenir et faire de cette première initiative un tremplin pour un Parlement plus dynamique et plus en phase avec les défis d’aujourd’hui.
N’oublions pas qu’il s’agit de la maison du peuple. Nous voulons que le peuple puisse y venir, non seulement pour visiter l’Hémicycle, comme cela se fait régulièrement, mais aussi pour vivre la démocratie en action.
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