Législatives 2019

Catherine Boudet : «Une absurdité de dire que le GM a les faveurs d’un tiers de l’électorat»

Catherine Boudet

La politologue, Catherine Boudet, estime que le prisme sur les réseaux sociaux, était en décalage avec les réalités du terrain et  de la masse silencieuse. 

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Les résultats des urnes étonnent certains. Comment expliquer cela ?
Le résultat des urnes dégageant une majorité parlementaire de 42 sièges pour l’Alliance Morisien a constitué un élément de surprise pour beaucoup, parce qu’il a été en net décalage avec la très forte campagne marketing sur les réseaux sociaux qui donnait l’Alliance Nationale gagnante. Le prisme des réseaux sociaux a joué très fort, créant un décalage avec les réalités du terrain et de la masse silencieuse. C’est la preuve que le marketing électoral a ses limites.

L’impression qui ressort de ces résultats est que ce sont les seniors qui ont fait la différence dans les régions rurales, malgré les  promesses des uns et des autres.. Explications.
Sans rentrer dans le détail des variables qui ont joué dans les décisions de vote, une variable décisive a été en effet l’attitude sélective de l’électorat par rapport aux promesses électorales. Cette année les électeurs se sont montrés plus méfiants par rapport aux cadeaux électoraux. Il est intéressant de constater qu’ils n’ont pas regardé les promesses en tant que telles, mais ils les ont resituées par rapport aux bilans respectifs des candidats pour faire leur arbitrage. 

L’opposition, surtout le PTr, avance que le MSM/ML ne gouverne qu’avec un tiers de l’électorat en sa faveur. Est-ce la faute au  système westministérien ? 
Dans le contexte constitutionnel mauricien, il est inapproprié de dire que seulement 37 % de la population a voté « pour » le gouvernement ou que 63 % de la population a voté « contre » comme on a pu l’entendre. Maurice étant une démocratie parlementaire, le gouvernement n’est pas issu des urnes, il est issu du Parlement. En vertu du système du « 3-first-past-the-post » ou scrutin plurinominal à un tour, quand les électeurs mettent leur bulletin dans l’urne, ils ne votent pas un gouvernement. Techniquement parlant, ils votent pour asseoir trois parlementaires dans l’Assemblée nationale. En sachant que c’est un vote deux-en-un, puisque parmi les parlementaires élus, on va obtenir une majorité parlementaire avec un chef de Gouvernement et une opposition parlementaire avec un Leader de l’Opposition. Donc affirmer que le GM gouverne avec seulement un tiers du pays en sa faveur, constitutionnellement parlant c’est une absurdité.

Est-ce que le GM est légitime au vu de la possible contestation d’avoir recours à la justice pour casser ces élections ?
Dans le régime parlementaire, l’opposition et la majorité parlementaire c’est donc comme le yin et le yang, l’un ne va pas sans l’autre. Affirmer que le Gouvernement n’est pas légitime, cela implique aussi de dire que l’Opposition non plus n’est pas légitime. 

Ceci dit, quant à la contestation des élections, par rapport aux irrégularités alléguées dans la tenue du scrutin, on quitte le domaine de la légitimité pour entrer dans le domaine de la légalité. Il est clair que le recours aux tribunaux c’est la meilleure démarche pour situer les possibles délits et les responsabilités. 

Sans compter ce nouvel épisode étrange de bulletins déjà utilisés déposés anonymement chez des candidats au lieu d’être remis directement aux autorités concernées. Là on quitte le domaine de la contestation des irrégularités pour entrer dans le domaine de l’instrumentation des irrégularités.

Est-il temps de revoir notre système électoral ?
Effectivement, on constate que la République paye chèrement le prix d’une réforme électorale que les élites politiques n’ont jamais eu le courage de faire. Le débat est relancé sur les réseaux sociaux, en même temps les bases sont là. Il est intéressant de constater que ces élections 2019 fournissent un joli case study pour tester les propositions qui avaient été amenées dans les précédents projets de réforme. 

Des critiques sont émises à l’égard de la Commission électorale. Faut-il changer de méthode ?
La Commission électorale va devoir faire son bilan et peut-être même son mea culpa. C’est assez incroyable de constater que nombre de pays du continent africain sont plus avancés en matière électorale que Maurice, qui pourtant passait pour le bon élève de l’Afrique. 

Le nombre de femmes des deux côtés de la Chambre vous satisfait-il ?
Le nombre de femmes dans l’Assemblée n’est évidemment pas satisfaisant en termes de représentativité. Avec 14 élues au total, les femmes ne constituent que 22 % des honorables membres de  l’Assemblée. Ce pourcentage de femmes élues répercute à peu près le ratio de candidates qui avaient été alignées par les grands partis. 

Par contre, dans l’Exécutif, la représentativité féminine est encore plus faible, seulement 12% des nouveaux ministres sont des femmes soit 3 sur 24. On dirait que les électeurs mauriciens font plus confiance aux femmes que les leaders eux-mêmes.

Avec la défaite de Navin Ramgoolam, quel avenir pour le PTr, doit-il passer la main?
Navin Ramgoolam a fait une sortie peu honorable au no. 10, mais il a quand même été classé quatrième. Son dernier procès vient d’être rayé, ce qui signifie non pas qu’il est innocenté, mais qu’il ne sera pas jugé. Il a été débouté par les électeurs au numéro 10, mais il garde la main sur son parti. C’est aux Travaillistes de répondre à cette question.

Idem pour le MMM, dont on disait pourtant vivre un MMM Revival..
Paul Bérenger a eu du flair politique en jouant la carte de la main propre. Il a pris le risque d’un hara-kiri politique en s’alignant seul dans une triangulaire face à deux machines de guerre. C’était un quitte ou double, une stratégie payante qui lui a attiré un regain de sympathie. Même s’il a perdu 3 sièges au niveau du Parlement, il a su capitaliser sur une véritable ligne de fond qui a émergé dans la société en faveur d’une politique plus propre et il a peut-être renouvelé sa base. Au passage, il renforce son capital dynastique en faisant rentrer la deuxième génération de Bérenger au Parlement. 

Le PMSD y laisse aussi des plumes, le Coq ne chanterait-il plus bientôt ou alors se rebiffera-t-il?
Le PMSD s’est montré beaucoup plus frileux en termes de stratégie politique que le MMM, il a fait le pari de se réfugier sous l’aile sûre d’un allié qui était en position de « major player ». Il conserve son rôle de poisson-pilote qui suit le mouvement du plus que gros que lui et qui sait se recomposer au gré des marées politiques.

Le ML n’a fait élire que trois députés, est-ce une force sur laquelle le MSM pourrait compter encore ?
Dans le cycle de vie des petits partis politiques, il semble en effet que le ML soit en phase finale d’absorption par son allié majoritaire, avec seulement trois députés dont un seul ministre.

Les ex-MMM que sont Ganoo et Obeegadoo élus en tête de liste, pèseront-ils politiquement davantage que le ML dans une prochaine joute ?
Je ne suis pas en faveur de parler déjà d’une prochaine joute électorale. On ne peut pas s’amuser à transformer l’analyse des tendances politiques en voyance astrologique. Pour l’heure il semble évident que le Premier ministre a voulu récompenser ses trophées de guerre électorale acquis au détriment du MMM par des maroquins ministériels. Quant au poids politique futur de ces trophées, il dépendra de leurs performances, de leurs stratégies politiques, entre autres variables.

 

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