Pour la Journée des femmes : grimées en SDF pour quelques heures

Une campagne de sensibilisation a été menée pour mettre en lumière les femmes sans-abri à Maurice. Ex-ministre, députée, manager, chef d’entreprise, journalistes et autres professionnelles ont accepté le défi de l’ONG Passerelle : prendre la place des SDF dans les rues de la capitale pendant quelques heures. Reportage.

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Jeudi 8 mars. Il est 6 h 30. Ça grouille à Lacaz A. Des femmes en ressortent quelques minutes plus tard, mal fringuées et portant des chaussures trouées. Elles prendront place dans quelques recoins de la capitale. Le regard triste, elles regardent les passants. La plupart ne s’arrêtent pas. Ils passent leur chemin évitant de croiser le regard de ses femmes en détresse. C’est l’expérience qu’ont voulu partager 11 femmes en ce 8 mars, pour la Journée internationale des femmes. Les participantes ont été maquillées par Hans Dax.

En tant que journaliste du Défi Media Group, je me suis portée volontaire pour cette initiative. Je voulais savoir quel regard la société porte sur les femmes sans-domicile-fixe (SDF). Je me suis installée sur un drap vis-à-vis de la cathédrale, devant les guichets ATM de 7 h 30 à 11 heures.

C’est Hans Dax qui a maquillé les participantes, dont Shamima Patel.

Bilan de cette expérience : je reste bouche bée et triste de voir à quel point la femme elle-même ne soutient pas la gent féminine. J’ai vu défiler devant moi plusieurs hauts gradés, de nombreux membres de la profession légale, des « intellectuels », mais aucun d’eux ne m’a gratifié d’un sourire. C’est chagrinant.

Sur les centaines de personnes qui ont défilé devant moi, seuls quatre hommes se sont arrêtés. On aurait dit que les gens évitaient de me regarder, de peur d’être contaminés par une maladie grave. Quelle maladie ? La pauvreté, le sentiment d’infériorité, celui d’impuissance… Je me sens froissée par l’attitude de ces femmes. L’une m’a sorti : « Sann-la li asize li. Mwa mo pe travay ! » Une autre a lancé : « Zot konn amenn rol sa pou to pitie zot. » Belle mentalité… S’asseoir et mendier n’est pas un choix. C’était pénible de rester là devant les regards méprisants et hautains des passants.

Je remercie Passerelle de m’avoir fait découvrir ce que ressentent les femmes SDF. Mon souhait pour nos femmes mauriciennes : tendez la main à ces femmes impuissantes, car l’union fait la force dans le combat contre les violences envers la femme.

Chapeau bas toutefois à ce papa, accompagné de sa fille, qui m’a souhaité « bonne fête » en m’offrant de l’argent pour manger. J’encourage tous les parents à montrer l’exemple à leurs enfants, qui seront nos dirigeants de demain. Je tire mon chapeau aux femmes SDF pour leur courage. L’expérience m’a permis de me rendre compte que je ne suis pas aussi forte que je le pensais.

C’est quoi Passerelle ?

Passerelle est une organisation non gouvernementale (ONG) qui milite pour les femmes en détresse. « Nous avons commencé par l’ouverture d’un abri d’urgence à leur intention. Puis nous avons accueilli des femmes SDF. Sept personnes nous sollicitent en moyenne par jour pour réclamer un logement. Nous avons dû refuser plus de la moitié. Mais grâce à l’évènement sportif IBL on the Move, nous pourrons ouvrir un abri pour femmes SDF à Maurice », indique Kinsley David, responsable administratif et membre de Passerelle. L’ONG demande aux autorités de soutenir son projet. Elle réclame l’ouverture d’un abri de nuit pour les femmes dans la capitale. « Il existe trois abris de nuit pour hommes mais aucun pour les femmes. Il est temps que le gouvernement revoie sa politique de logement. »


Martine Hennequin, en face de la cour intermédiaire

Martine Hennequin est l’une des premières à avoir répondu positivement à l’appel de Passerelle. Pour la Manager de la Fondation Joseph Lagesse, il fallait absolument qu’elle vive cette expérience : « J’étais assise en face de la cour intermédiaire. Même si je savais que c’était pour quelques heures seulement, j’étais impatiente que cela s’arrête. Bien qu’il y ait eu des volontaires non loin de moi, je me sentais seule. C’est difficile de se mettre à la place de ces femmes. Il est de notre devoir de les aider. »


Aurore Perraud joue le jeu

Il y a quelques mois, Aurore Perraud occupait le fauteuil de ministre de l’Égalité des genres. Elle ne s’imaginait pas qu’un jour elle serait assise dans la rue à jouer le rôle d’une SDF. C’est à 7 h 30 qu’elle a pris place à côté de la Cour suprême. Ils sont nombreux à ne pas l’avoir reconnue. D’autres se sont approchés pour savoir si elle avait un problème. Un peu plus loin, deux jeunes discutaient : « Hey pa Aurore Perraud sa ? Ta hey get politik kot inn amenn sa fam-la ? » Ils sont partis en ricanant et en lançant : « Sirman Xaxier inn met li deor. »

Plus loin, d’autres personnes parlaient à voix basse. Elles ont reconnu Aurore Perraud. Elles se sont avancées mais n’osaient pas l’approcher : « Nous ne savions pas ce qui se passait. Nous aurions bien voulu l’aider, mais nous ne voulions pas l’embarrasser. Elle ne savait pas que nous l’avions reconnue. Puis c’est difficile de trouver les mots pour réconforter une personne que vous connaissez et qui se retrouve du jour au lendemain dans cette situation. »

Aurore Perraud a joué le jeu jusqu’au bout jusqu’à s’allonger à même le sol. « Les gens passaient carrément au-dessus de moi », confie-t-elle. Elle a été touchée par deux réactions. « Une vieille femme qui vendait des gâteaux non loin m’a dit : ‘Beti, mo pankor vann nanie me mo anvi donn twa sa gato-la’. Puis une étudiante a vidé son sac à la recherche de quelques roupies. On nous avait expliqué qu’il ne fallait pas prendre de l’argent. Je leur ai dit que c’était une expérience. Cela m’a beaucoup touchée. » Et d’ajouter : « On dit que l’indifférence tue et c’est vrai. J’ai vu plusieurs personnes de la profession légale que j’avais côtoyées qui m’ont à peine lancé un regard. Cela m’a fait mal. Je vois  ce que ressentent les personnes assises à cette place tous les jours. »


Des femmes journalistes se réunissent pour la cause

Des journalistes de diverses rédactions ont tenu à participer à cette aventure humaine. Amy Kamanah de 5-Plus, Djemillah Mourade-Peerbux de la Mauritius Broadcasting Corporation, Martine Luchmun, journaliste à Essentielle et Najette Toorab du Défi Media Group. « Nous sommes heureuses de participer à cet événement. C’est une expérience à vivre une fois dans sa vie. Cela change de ce que nous faisons tous les jours. Nous rapportons ce que nous disent les gens, mais le vivre durant quelques heures, c’est une expérience unique », ont-elles unanimement affirmé.


Tania Diolle chassée par des policiers

À peine quelques minutes s’est-elle installée près du tunnel ménant au Caudan Waterfront que Tania Diolle est chassée par des agents de sécurité et des policiers. Les jeunes aux alentours sont intervenus pour venir en aide à la membre du Mouvement Patriotique. « Je suis reconnaissante envers ces personnes qui ont eu un geste humain envers moi. Je pense qu’il y a de l’espoir. Il fallait vivre une telle expérience et que je parle pour ces femmes. »


Témoignages

Shamima Patel devant la Victoria House

Tantôt debout, tantôt allongée, parfois assise, Shamima Patel n’est pas passée inaperçue, même si on a fait semblant de ne pas la voir. « Je pense que tout le monde ne peut aider des femmes ou des hommes en détresse, mais cela ne coûte rien de leur offrir un sourire. »


Megha Venketasamy postée rue Edith Cavell

« Je voulais satisfaire un besoin. Je ne savais où aller aux toilettes. Je me suis demandé ce que font ces femmes dans ces cas-là. J’ai l’impression que les gens voulaient à tout prix m’éviter et pensaient que j’avais une maladie contagieuse. En revanche, je remercie la dame qui est sortie de son travail pour me donner son pain », raconte la coach de vie.


Isabelle David à la rue La Chaussée

Isabelle David, de LEAD, était émue jusqu’aux larmes, comme son mari posté discrètement non loin d’elle. « J’étais là. Les gens n’hésitaient pas à me dire que je les gênais. Ils étaient fâchés, voire agacés. Une jeune fille m’a approchée et m’a dit qu’elle m’emmènerait vivre chez elle. Elle voulait que je l’attende jusqu’à 17 heures. Merci à cette belle âme. »


Joelle Hannelas était à la rue St-Georges

Joelle Hannelas, de Pedostop, était l’une des premières dans la rue. « Des gens m’ont offert à manger, mais j’ai aussi eu très peur quand certaines personnes se sont approchées de moi. Je n’oublierai jamais cette expérience. J’apporterai mon soutien à ces femmes. »

  • LDMG

 

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