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Politique monétaire : à qui profite la dépréciation constante de la roupie ?  

Une dépréciation de la roupie aurait une incidence sur le pouvoir d'achat des citoyens.
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Selon la Banque de Maurice, la dépréciation de la roupie se chiffre à 16,04 % au cours des cinq dernières années. Soit une moyenne annuelle de 3,5%. Pourquoi cette tendance ? Des experts répondent. 

Depuis 2014, la roupie mauricienne n’est pas stable. Le taux de change de la roupie par rapport au dollar américain qui était à Rs 30,69 en janvier 2014, a grimpé jusqu’à Rs 36,56 en juillet 2019. Dr Chiragra Chakrabarty, CEO de KATIC Consulting et ancien directeur de la Banque de Maurice (Développement et supervision des marchés financiers et gestion de la dette interne), explique que l'appréciation et la dépréciation de la monnaie sont des phénomènes courants dans les pays et les marchés qui adoptent un taux de change flottant. 

Dr Chiragra Chakrabarty.
Dr Chiragra Chakrabarty.

Selon lui, des facteurs locaux et internationaux jouent un rôle dans l'appréciation ou la dépréciation de la valeur de différentes devises. « Au cours de l'exercice 2017-2018, les fluctuations du taux de change de la roupie ont été largement influencées par l'évolution des marchés internationaux. La Banque de Maurice a continué d'intervenir sur le marché des changes national afin d'atténuer la volatilité excessive du taux de change de la roupie. » 

Quatre raisons principales

À quoi doit-on attribuer la dépréciation constante de la roupie ? « Techniquement, si le dollar américain s'apprécie par rapport à l'euro, la roupie se déprécie par rapport au dollar. Entre mars et mai 2019, le dollar s'est renforcé, incitant la monnaie locale à se déprécier. En juin 2019, le dollar s'est déprécié par rapport à l'euro, mais s'est apprécié par rapport à la livre sterling. » 

Un autre facteur susceptible de déprécier la monnaie locale, c’est le déficit de la balance des paiements. « Selon le Bulletin statistique mensuel de juin 2019, les données du premier trimestre de 2019 démontrent une augmentation du déficit du compte courant par rapport au premier trimestre de 2018. La roupie est l'une des monnaies avec une très faible volatilité », ajoute Dr Chiragra Chakrabarty.

La dépendance à l’égard des importations est une autre raison. L’économiste, Ganessen Chinnapen, indique qu’elle a entraîné un creusement du déficit du compte courant de l’ordre de Rs 112 milliards, représentant 23% du PIB. L’orientation stratégique des États-Unis, qui vise à augmenter leurs tarifs commerciaux pour les pays, comme la Chine et l'Inde, est aussi évoquée par l’économiste. Selon lui, le yuan chinois et la roupie indienne ont tous deux connu une dépréciation importante par rapport au dollar américain au cours des 18 derniers mois.

Ganessen Chinnapen.
Ganessen Chinnapen.

Les avantages

La dépréciation de la roupie a d’importantes conséquences sur des secteurs comme le tourisme, l’exportation, l’importation et la consommation. « Notre secteur touristique bénéfice de la dépréciation car les touristes vont sans doute constater que Maurice est une destination abordable », estime Ganessen Chinnapen. 

Dr Chiragra Chakrabarty abonde dans le même sens. « Une monnaie locale qui se déprécie signifie que les frais de déplacement, d’hébergement et d’autres dépenses deviennent plus abordables pour les touristes. L’immobilier et le tourisme, les deux principales industries de l'économie mauricienne, pourraient être stimulés par la dépréciation de la roupie. » 

Les désavantages

Le côté négatif de la dépréciation, c’est que les importations - dont celles du pétrole, des aliments et des matières premières - coûtent plus cher, précise Dr Chiragra Chakrabarty. « En raison d'une demande inélastique pour de tels produits, la demande pour ces produits ne baissera pas et entraînera une inflation. L’autre impact négatif, c’est que Maurice sera moins attrayant pour les travailleurs étrangers. » 

Maurice importe environ 80 % des produits qu'elle consomme et les effets de la dépréciation de la monnaie pèsent sur le consommateur mauricien. Ganessen Chinnapen soutient qu'une dépréciation de la roupie aurait une incidence sur le pouvoir d'achat des citoyens et que, par ricochet, l’éducation et les vacances dans des pays étrangers seront plus coûteuses. « D'autre part, les produits importés, comme les ordinateurs, les smartphones et les voitures, seront aussi plus chers. En sus, les coûts d’emprunt extérieur pour les entreprises mauriciennes devraient augmenter, ce qui freinerait l’emprunt extérieur. »

La Banque de Maurice parle d’un régime de changes flottant

La Banque de Maurice fait ressortir que la Banque centrale a un régime de changes flottant. Suite à notre question, la Banque précise que le taux de change de la roupie est déterminé par les acteurs du marché en fonction des fluctuations des principales devises sur le marché international ainsi que des forces de l'offre et de la demande sur le marché des changes national. Il est à noter que selon la Banque centrale, le taux de change de la roupie devrait continuer à être influencé par la demande et les conditions de l'offre sur le marché intérieur ainsi que par l'évolution de la situation sur les marchés des changes internationaux.


La Banque de Maurice et le taux de change 

On entend souvent dire que c’est la Banque de Maurice qui bénéficie énormément de la dépréciation à travers le taux de change. Est-ce le cas ? Amit Achameesing, économiste et chargé de cours à la Whitefield Business School, souligne qu'il est important de mentionner que les réserves de change de la Banque de Maurice s'élèvent aujourd'hui à environ 7,5 milliards de dollars américains. 

Il souligne : « Par conséquent, une dépréciation de la roupie par rapport au dollar américain donne un bénéfice non réalisé d'environ Rs 7,5 milliards à la BOM. Cependant, il est crucial de savoir d’où proviennent ces 7,5 milliards de dollars américains. Au cours des deux dernières années, la BOM est intervenue en permanence sur le marché des change en accumulant des dollars américains, tout en vendant des roupies mauriciennes, convaincue que la roupie est surévaluée. Ces bénéfices n’existent donc qu'en raison d'interventions et de fluctuations des taux de change temporaires. La dépréciation de la roupie aurait véritablement profité à la BOM si ces réserves en dollars avaient été accumulées grâce à une croissance économique solide tirée par le secteur des exportations. » 

Pour sa part, Ganessen Chinnapen affirme que la BOM, à l'instar de toutes les autres banques centrales du monde, a pour mandat de garantir un système financier harmonieux et sain, d'éliminer les excès de liquidités et de débloquer des fonds en cas de pénurie de liquidités. Il précise : « La Banque centrale achète ou vend une monnaie sur le marché des change afin d’augmenter ou de diminuer la valeur de la monnaie de son pays par rapport à une autre devise. Cette intervention de la Banque centrale sur le marché des change devrait être le dernier recours. Par exemple, une baisse de la valeur de notre roupie entraînera probablement une inflation des biens et services importés, et la Banque centrale n'aura d'autre choix que de relever le taux d'intérêts, ce qui affectera malheureusement la croissance économique et les marchés d'actifs. Il n’est pas conseillé à la Banque centrale d’intervenir fréquemment sur le marché des changes. » 

 

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