
Face à la tension sur le réseau électrique, les entreprises mauriciennes se mobilisent pour limiter leur consommation. Hôtels, chantiers et industries adaptent leurs activités, optimisent l’usage de l’énergie et mettent en place des solutions de secours afin de sécuriser le réseau et d’assurer la continuité des opérations. Quelles sont les dispositions prises ? Tour d’horizon !
Après les récents épisodes de tension sur le réseau électrique, le 15 octobre ayant marqué un moment critique pour l’approvisionnement en électricité, Business Mauritius appelle les entreprises à adopter des mesures concrètes pour réduire leur consommation pendant les heures de pointe. Pour Amandine Hardowar de Rosnay, Head of Sustainability & Inclusive Growth, « ce type de situation n’est sans doute pas isolé, et il nous faut désormais apprendre à anticiper et à nous adapter collectivement à une réalité énergétique plus contrainte. Cette situation concerne les pouvoirs publics, les entreprises et les citoyens. »
Pour la communauté des affaires, la mobilisation est déjà en marche. Dès septembre, Business Mauritius, à travers le Club des entrepreneurs de la transition énergétique, a organisé avec le Central Electricity Board (CEB) un atelier de travail consacré à la gestion de la demande et aux bons réflexes à adopter. Parmi les gestes préconisés figurent « la réduction des usages non essentiels de 18 heures à 21 heures, le décalage des activités les plus énergivores en dehors des pics, et une meilleure optimisation de la climatisation et de l’éclairage », explique Amandine Hardowar de Rosnay. Lors de l’épisode du 15 octobre, ces recommandations ont permis de limiter l’impact sur le réseau et d’éviter un scénario de délestage.
Autoproduction

Mais au-delà des ajustements immédiats, Business Mauritius plaide pour une vision à moyen et long terme. « Plusieurs secteurs ont déjà pris le virage de l’autoproduction et de l’intégration des énergies renouvelables, notamment le tourisme, l’agro-industrie et certaines entreprises industrielles », précise-t-elle. L’objectif est d’étendre ces initiatives à davantage d’entreprises en facilitant l’accès à l’investissement, au stockage et aux technologies d’efficacité énergétique. « À plus long terme, l’objectif est clair : construire un tissu économique moins dépendant des énergies fossiles, plus diversifié et mieux préparé face aux aléas climatiques et aux fluctuations d’approvisionnement », ajoute-t-elle.
Selon Business Mauritius, la résilience énergétique ne peut se construire qu’avec une coopération étroite entre les acteurs publics et privés.»
Selon elle, la résilience énergétique ne peut se construire qu’avec une coopération étroite entre les acteurs publics et privés. Business Mauritius travaille ainsi en coordination avec le CEB, le ministère de l’Énergie et des Services publics, l’Energy Efficiency Management Office (EEMO) et la Mauritius Renewable Energy Agency (MARENA) afin d’assurer une réponse concertée en cas de tension sur le réseau. « Le CEB a déjà mis en place son système d’alerte gradué, qui a permis d’économiser de 12 à 15 MW lors de la dernière alerte. De notre côté, nous consolidons les échanges d’informations et évaluons les bonnes pratiques mises en œuvre par les entreprises », explique-t-elle. D’autre part, la mise en place prochaine d’un Working Group dédié au suivi et à l’optimisation des protocoles d’urgence permettra de renforcer la coordination opérationnelle et communicationnelle, tout en soutenant les efforts nationaux vers une meilleure préparation énergétique. Selon elle, « c’est par la collaboration, le partage de données et la planification commune que cette résilience collective pourra se concrétiser. »
Adopter des comportements responsables

Alors que la MARENA se prépare à jouer un rôle central dans la transition énergétique du pays, son président, le Dr Khalil Elahee, invite les entreprises à adopter des comportements responsables pour éviter une crise d’électricité durant les mois à venir. « Contrairement à ce que certains pensent, il n’y a pas eu de coupures ni de load shedding à Maurice », souligne-t-il. Pour lui, ce que nous vivons actuellement, c’est une alerte rouge par mesure de précaution, pas une situation de catastrophe. Il insiste sur le fait que cette alerte vise à mobiliser l’ensemble des acteurs – particuliers, secteur public, entreprises et hôtels – afin d’éviter que le système électrique n’atteigne un point critique.
Pour le Dr Khalil Elahee, cette vigilance renforcée doit être comprise comme une opportunité d’agir collectivement. « L’alerte rouge signifie que si nous agissons maintenant, il n’y aura pas de délestage. » Il avance que cette action passe notamment par une meilleure gestion de la demande pendant les heures de pointe, notamment en été, période où la consommation atteint des records. « C’est en été, avec la chaleur, la climatisation et l’activité économique soutenue, que la demande peut grimper à 500 ou 550 mégawatts, voire plus. » Il prévient que si ces pics ne sont pas maîtrisés, les conséquences économiques seraient considérables.
Selon lui, un délestage incontrôlé aurait un double impact. « Économiquement, une interruption d’électricité à grande échelle toucherait les entreprises, la production et le commerce. Socialement, elle affecterait le quotidien des familles, surtout celles qui comptent sur la climatisation ou les équipements électriques pour le confort ou la santé des personnes âgées », explique le professeur. Il rappelle que toutes les dispositions sont déjà prises pour maximiser la capacité de production. « Les turbines et les moteurs fonctionnent à plein régime. Mais cela ne suffira pas si nous ne réduisons pas le gaspillage et ne gérons pas mieux notre consommation aux heures de pointe. »
CNIS Renewable Energy Scheme
Dix-sept gros consommateurs veulent produire de l’électricité pour en vendre au CEB
Dans le Budget 2022-2023, le gouvernement d’alors avait affirmé son engagement à atteindre la neutralité carbone dans le secteur industriel d’ici 2030. Pour concrétiser cet objectif, le Carbon Neutral Industrial Sector (CNIS) Renewable Energy Scheme a été élaboré.
Lancé officiellement le 30 janvier 2023, ce dispositif vise à encourager les entreprises industrielles, à l’exclusion des secteurs sucrier et énergétique, à produire leur propre électricité à partir de sources renouvelables, notamment solaires et éoliennes, et à la vendre au CEB, qui déduira ensuite l’énergie produite des factures de ces industries.
Ce programme soutient la stratégie nationale de décarbonisation et l’objectif d’atteindre 60 % d’énergies renouvelables dans le mix électrique d’ici 2030. Il permet aux industriels de réduire leur dépendance au réseau tout en profitant de sa fiabilité. Selon le CEB, 17 gros consommateurs de plus de 2 MW ont demandé à bénéficier de ce programme, pour un total d’environ 110 MW.
« Nous avons également environ 80 autres petits consommateurs d’une capacité inférieure à 2 MW qui se sont inscrits à ce programme, représentant un total d’environ 40 MW », indique Damodar Doseeah, Senior Engineer du système de contrôle au CEB.
Questions à…Damodar Doseeah, Senior Engineer du système de contrôle au CEB : «Les plus gros consommateurs d’énergie se trouvent principalement dans le secteur industriel»
Face à la situation critique du 15 octobre en matière d’approvisionnement en électricité, quelles actions le CEB recommande-t-il aux entreprises pour réduire leur consommation, notamment durant les heures de pointe ?
Nous demandons d’abord aux entreprises de s’enregistrer auprès du CEB dans le cadre du Demand Response Programme (DRP) 2025. Ce programme, ouvert exclusivement aux clients commerciaux et industriels ayant une demande supérieure à 200 kW, permet aux industries de se déconnecter temporairement du réseau et, en retour, de bénéficier d’une compensation financière de la part du CEB. L’objectif est de réduire la demande globale et de soulager le réseau, surtout lors des heures critiques.
Nous savons que les industries ont souvent des processus qui fonctionnent 24/7, et il est difficile pour elles d’arrêter certaines opérations, même pendant les heures de pointe. Cependant, lorsqu’une alerte rouge est émise, cela montre que la situation est critique. Nous recommandons alors aux entreprises de reporter certains processus, surtout entre 18h et 21h, vers d’autres créneaux horaires. Cette approche contribue directement à stabiliser le réseau et à éviter les coupures.
Globalement, nous demandons à toutes les industries d’être plus responsables dans l’utilisation de l’énergie et d’éviter les gaspillages. Une consommation raisonnée aide à mieux gérer les situations de tension sur le réseau.
Quels sont les secteurs économiques où la consommation d’énergie est la plus forte ?
Les plus gros consommateurs d’énergie se trouvent principalement dans le secteur industriel, qui utilise de grandes quantités d’électricité pour ses opérations continues. Mais il ne faut pas négliger les hôtels, qui consomment beaucoup d’électricité, ainsi que les centres commerciaux et autres infrastructures à forte fréquentation. Tous ces secteurs représentent une part significative de la demande énergétique sur le réseau, ce qui explique l’importance de programmes comme le DRP pour gérer les périodes de pointe.
Quelles sont les alternatives proposées par le CEB aux entreprises pour mieux gérer leur consommation ?
Une excellente alternative à long terme est l’installation de panneaux photovoltaïques. L’électricité solaire est rentable et permet aux entreprises de réduire leur dépendance au réseau. Pour maximiser les avantages, il est recommandé d’associer les panneaux à une batterie de stockage. Cela permet non seulement aux entreprises de gérer leur consommation de manière autonome, mais aussi de soulager le réseau du CEB. D’ailleurs, le CEB prévoit bientôt de lancer des plans spécifiques pour les industries, permettant l’installation de panneaux solaires avec batteries. Cette initiative s’inscrit dans une logique de durabilité et de sécurité énergétique pour tous.
Situation au niveau sectoriel
Construction
Vers des solutions hybrides pour alimenter les chantiers
La crise énergétique annoncée inquiète aussi le secteur de la construction, fortement dépendant de l’électricité pour faire tourner ses chantiers. « Les grues, les bétonnières, les outils électriques ou les systèmes de pompage… tout cela utilise l’électricité. Des coupures auront un impact direct, provoquant des retards dans les tâches planifiées, une perte de productivité et une hausse des coûts », explique Ravi Gutty, président de la Building and Civil Engineering Contractors Association. Outre les coûts, il avance que la qualité des ouvrages pourrait aussi être compromise. « Certains outils spécialisés garantissent une qualité précise des travaux. Sans électricité, leur utilisation devient impossible, ce qui peut entraîner des pénalités de retard contractuel », avertit-il.
Pour faire face, les entreprises misent sur des générateurs de secours et des systèmes de stockage d’énergie, mais Ravi Gutty avoue que ces solutions restent temporaires. « La meilleure approche, c’est la planification en amont et, à long terme, le recours à des solutions hybrides comme l’énergie solaire pour l’éclairage ou certains équipements », suggère-t-il. Ce plaide pour « une meilleure coordination avec le CEB », afin que les coupures planifiées aient lieu durant les périodes d’activité réduite et limitent ainsi l’impact sur les chantiers.
Hôtellerie
Cap sur les générateurs de secours
Face à la crise énergétique, le groupe hôtelier Sunlife a pris des mesures proactives pour assurer la continuité de ses opérations tout en soutenant l’effort national. « Nos hôtels sont équipés de générateurs de secours capables de répondre à l’ensemble de nos besoins énergétiques », explique Saleem Khadaroo, Group Risk Compliance & Quality Assurance Manager de Sunlife. Il affirme que ces équipements ont récemment fait l’objet d’une maintenance complète afin de minimiser tout risque de défaillance.
Conscient de la nécessité de contribuer à la stabilité du réseau national, le groupe a également mis en place un plan de réduction de la consommation électrique pendant les heures de pointe. « Nous avons sensibilisé nos employés à cette situation d’urgence nationale et les avons encouragés à rationaliser l’utilisation de l’électricité, tant sur leur lieu de travail qu’à domicile », ajoute-t-il. Par ailleurs, Sunlife s’engage à basculer sur ses générateurs lorsque le CEB le jugera nécessaire. « Cela démontre la volonté du groupe de participer activement à la gestion collective de cette crise énergétique », avance le manager.
Secteur des Tics
L’utilisation des onduleurs et générateurs interviennent en cas de panne d’électricité ponctuelle
Roshan Seetohul, secrétaire de l’Outsourcing and Telecommunications Association of Mauritius (OTAM) avance que chacun assume sa responsabilité. « La nôtre était de faire provision pour la continuité des opérations en cas de panne d’électricité. Les sites où on opère sont équipés de générateurs. Il a fallu minimiser l’utilisation de l’électricité », dit-il.
Selon lui, le climatiseur n’était pas utilisé dans certains bâtiments dans la mesure du possible. Le secteur a répondu à l’appel de Business Mauritius de jouer le jeu. « Il y a des dispositions dans l’éventualité qu’une pareille situation se reproduise à l’avenir. Nous pourrons tenir s’il n’y a pas de longue coupure d’électricité directe du CEB. L’utilisation des onduleurs et générateurs intervient en cas de panne d’électricité ponctuelle. Ceci dit, il faut que le CEB prenne les dispositions nécessaires à l’approche de l’été où la chaleur s’annonce intense et afin que les opérations ne soient pas perturbées », avance-t-il.
PME
Pas des moyens de prendre les dispositions
Ajay Beedassy, président de la SME Chambers, indique que les PME du secteur du textile n’ont pas été grandement affectées et que les coupures d’électricité ont été évitées chez les usines. « Toutefois, les interruptions temporaires sont dérangeantes. Celles-ci peuvent porter préjudice aux machines qui sont sensibles. Par ailleurs, il reviendra aux autorités concernées de faire le nécessaire pour éviter que cela ne se reproduise à l’avenir. Les PME n’ont pas les moyens de prendre les dispositions », fait-il ressortir.

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