Le Conseil des ministres a, vendredi dernier, donné son accord à la révision des procédures pour l’octroi des permis de travail, afin de faciliter l’embauche des ouvriers étrangers pour des secteurs en difficulté. Le gouvernement compte aussi étendre un permis au-delà d’une durée de huit ans, approuver une demande en moins de 15 jours et introduire une carte à puce pour remplacer le permis actuel.
Le manque de main-d’œuvre a toujours suscité de vifs débats. Bien que le pays compte, selon les chiffres officiels, environ 40 000 chômeurs, il y a presqu’autant de travailleurs étrangers à Maurice. Pour le patronat, il y a un décalage entre les compétences requises et celles disponibles sur le marché. Dans certains secteurs, comme l’agriculture par exemple, il y a un vieillissement de la main-d’œuvre et aucun renouvellement par les jeunes. D’autres secteurs comme le textile ou la construction n’attirent plus les jeunes. Autant de facteurs qui obligent les entreprises à recruter à l’étranger. Mais les procédures ne sont pas toujours faciles.
C’est ainsi que le gouvernement a décidé de revoir la politique de recrutement de travailleurs étrangers afin de soulager les entreprises des secteurs en difficulté. Le ministre de l’Emploi, Soodesh Callichurn, reconnaît qu’il n’y a pas d’autres alternatives pour contrer la pénurie de main-d’œuvre dans certains secteurs, comme le textile, la bijouterie et la boulangerie, ce qui justifie l’assouplissement des mesures. Ainsi, le ratio de deux Mauriciens pour un étranger augmentera à trois étrangers pour un Mauricien.
Manque de bras
Salil Roy, président de la Planters' Reform Association, se réjouit de la décision gouvernementale d’ouvrir les secteurs en situation difficile à la main-d’œuvre étrangère. Il souhaite que le secteur agricole soit aussi considéré, car ce secteur fait face à un manque aigu de bras depuis assez longtemps. « Le secteur agricole souffre d’un vieillissement de la main-d’œuvre. C’est l’une des raisons, après la baisse des revenus sucriers, qui décourage les petits planteurs et les pousse à abandonner la culture », explique Salil Roy. Il déplore que les fournisseurs de main-d’œuvre locale fassent la pluie et le beau temps, ce qui affecte les planteurs. Il pense que, si les secteurs manufacturier, touristique et informatique peuvent faire appel aux travailleurs étrangers, pourquoi pas l’agriculture ? Cependant, il craint que les planteurs ne puissent bénéficier des bonnes intentions du gouvernement, à cause des procédures et des coûts. « Un petit planteur ne peut absorber les coûts liés au recrutement car il y a des frais de permis mais aussi des coûts d’hébergement. » Alors quelle est la solution ? Salil Roy préconise que les sociétés coopératives, par exemple, soient autorisées à recruter des travailleurs étrangers et ensuite fournir cette main-d’œuvre aux petits planteurs qui en ont besoin.
De son coté, Rajdeo Kissoonah, président de la Mauritius Cooperative Alliance, salue également la décision gouvernementale car il y a, selon lui, un réel manque de main-d’œuvre qui affecte la production agricole. Cet homme qui dirige une centaine des sociétés coopératives dit être au courant des problèmes auxquels font face les petits entrepreneurs. « Si nous voulons que les petites entreprises progressent, alors il faut faciliter l’embauche des ouvriers étrangers pour pallier au manque de compétence locale. » Pour lui, c’est une décision qui peut largement soulager les petits entrepreneurs et planteurs.
L’économiste Éric Ng trouve que le recours aux ouvriers étrangers est devenu une nécessité, car plusieurs secteurs ont besoin d’une main-d’œuvre compétente et abondante pour progresser. « Si les entrepreneurs n’arrivent pas à trouver les compétences au niveau local, alors il faut faciliter le recours aux travailleurs étrangers. »
Perspectives
Gérard Uckoor, président de l'Association of Small Contractors, déplore que les autorités n'aient pas valorisé la main-d’œuvre locale, ce qui nous a amené à la situation d’aujourd’hui. Il pense que le travailleur étranger vient à Maurice pour faire des sous et il partira après, sans nécessairement donner le meilleur de lui-même, alors que le travailleur local aurait fait carrière dans son métier. « C’est dommage qu’on n’encourage pas les jeunes vers certains métiers, on ne les forme pas, on ne les responsabilise pas, et après on se plaint d’un manque de main-d’œuvre, » dit Gérard Uckoor. Il dit ne pas être totalement d’accord avec la nouvelle politique de recrutement. Il pense que les travailleurs locaux ne sont pas intéressés par certains secteurs parce qu’il n’y a pas de perspectives.
« Une fois que les bâtiments sont construits, il n’y a plus d’emploi. Par contre, si on les remplaçait disons chaque 25 ou 30 ans, il y aurait toujours des perspectives pour les emplois », soutient le président de l'Association of Small Contractors.
Michael Valère : «On ne peut plus compter sur des travailleurs saisonniers»
Michael Valère, éleveur de vaches au sein de la Cow Breeders Cooperative Society à Nouvelle-Découverte, dit accueillir favorablement cette décision du gouvernement de simplifier le recrutement des travailleurs étrangers pour des secteurs économiques en difficulté. Il indique qu’il est très difficile de trouver de la main-d’œuvre qualifiée pour le secteur de l’élevage, et les travailleurs locaux n’aiment pas rester longtemps dans ce secteur. « À cause d’un manque aigu de main-d’œuvre, il est difficile de réaliser des projets sur le long terme, car, si mes travailleurs me délaissent subitement, je peux faire d’énormes pertes, surtout perdre des animaux s’il n’y a personne pour s’en occuper », explique Michael Valère. Il est convaincu que le secteur laitier a un bel avenir à Maurice, mais que l’obstacle principal est l’indisponibilité de la main-d’œuvre. Il est d’avis que si les éleveurs sont autorisés à recruter des travailleurs étrangers pour une période de trois ans, au moins, ils pourront mieux planifier leur investissement à long terme et améliorer leur productivité. « Un secteur aussi vital ne peut être à la merci des saisonniers. Il est temps d’avoir des travailleurs sous contrat sur une longue durée et qui seront pleinement dévoués », conclut l’éleveur.
Faisal Ally Beegun : «On ne peut précipiter l’approbation d’un permis»
Le syndicaliste Faisal Ally Beegun se demande comment les autorités pourront approuver un permis de travail en moins de quinze jours quand on sait qu’il y a beaucoup de vérifications à faire au préalable, comme l’inspection des dortoirs pour s’assurer qu’ils sont aux normes. « Nous sommes au courant de l’existence des dortoirs qui ne respectent pas vraiment tous les règlements. Il faudra bien s’assurer que tout est en règle avant d’approuver un permis », dit le syndicaliste. Mais est-ce qu’on peut le faire en deux semaines ? Le syndicaiste craint l’usage réel de la Smart Card que les autorités veulent introduire. « Si l’objectif est d’identifier les éventuels victimes ou les travailleurs illégaux, je suis d’accord. Mais si on veut utiliser les Smart Cards pour surveiller les travailleurs, alors là je vais dénoncer cette pratique », proteste Faisal Ally Beegun, en rappelant que tout travailleur est libre de ses mouvements et qu’il ne doit pas être surveillé. Les travailleurs étrangers, ajoute-t-il, contribuent beaucoup à l’économie et ils méritent notre respect. Lorsqu’ils deviennent des ouvriers clandestins, il faut en connaître la raison. « Il faut comprendre que les ouvriers ont peur de retourner bredouille dans leur pays car ils ont des dettes à payer. Aussi, ils essayent de maximiser leurs revenus. Il faut réprimander les employeurs qui ne respectent pas le contrat, forçant les ouvriers à s’évader. » Il veut savoir qui va financer les Smart Cards et si les ouvriers devront passer à la caisse en cas de perte de cette carte. Il dit aussi ne pas être d’accord avec l’ouverture des secteurs économiques à la main-d’œuvre étrangère, sans que l’on détermine le véritable manque de main-d’œuvre.
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