Les patrimoines historiques servent-ils à consolider le sentiment d’appartenance à l’État-nation ? Ont-ils encore un sens aux yeux des Mauriciens ?
Ou ne seraient-ils que des effigies figées dans le temps sans rapport aucun avec les réalités et défis d’un monde ultra-technologique ? Selon Chaya Hurnath, doctorante en géographie humaine et sociale, le patrimoine remplit un rôle symbolique qui marque le passage de différentes étapes de développement d’un pays. Il lui confère une âme, une identité, un sens.
Chaque statue qui longe le corridor de la Place d’Armes jusqu’à la devanture de l’ancienne Assemblée nationale, porte en elle, une partie de l’histoire de Maurice, de manière interrompue, la seule rupture étant dans l’ordre du symbolique. « S’il fallait un endroit à Maurice où se concentreraient autant de personnalités qui ont marqué notre histoire, ce serait bien là », estime Chaya Hurnath. Et le buste de l’esclavagiste Adrien D’Epinay, a-t-il encore sa place dans une telle configuration ? « Sans aucun doute », poursuit-elle, en précisant : « Je ne suis pas dans le déni de l’histoire. On n’ôterait pas de la tête des Mauriciens le rôle de d’Epinay dans l’histoire de Maurice, en rasant son effigie. Au contraire, je pense qu’il faut faire de la pédagogie. »
Paradoxalement. C’est hors de Maurice, alors qu’elle travaille sur les sites patrimoniaux de Malaisie, qu’elle se prend d’intérêt pour l’histoire de Maurice. « Mon travail était passionnant mais je me rendais compte de sa complexité car il faut connaître la culture d’un pays, son histoire, ses langues pour travailler sur son patrimoine », dit-elle.
L’Aapravasi Ghat et le Morne
Mais, à Maurice, deux sites sont à la portée de la démarche de cette ex-pensionnaire du QEC : l’Aapravasi Ghat et le Morne, les deux inscrits au patrimoine mondial de l’Unesco. « Là, je me suis intéressée au processus de patrimonialisation de ces deux sites. Si l’Aapravasi Ghat connaîtra une reconnaissance internationale avec la visite sur les lieux de l’ex-PM indien Indira Gandhi, le Morne, lui, construit son identité à partir d’une reconnaissance puisée dans le sol mauricien. Les comparaisons sont sans commune mesure, à cause de la nature de l’engagisme et celle de la traite des esclaves », fait observer Chaya Hurnath. Ont-ils acquis pour autant une reconnaissance, une visibilité au sein de la population ?
Oui, répond encore une fois notre interlocutrice, car les législations qui encadrent ces sites sont parties de loin. Au départ, en 1938, était l’ancienne Monuments Act, qui glorifie les personnalités de l’époque coloniale, en commençant par un inventaire qui sert de document de base. Il faudra attendre 1985 pour voir la promulgation de la National Monuments Act qui, elle, s’attèle à la valorisation des monuments et reliques nationaux. « On s’est rendu compte qu’on ne pouvait plus continuer à glorifier des monuments qui correspondent à un passé colonial, même si ce passé a eu ses périodes positives dont la création d’un secteur, celui de la canne à sucre, qui sera notre pilier de développement pendant des décennies », fait-elle observer.
Étape cruciale
L’étape cruciale sera franchie en 1994 lorsque Maurice signe la convention de l’Unesco pour la reconnaissance des patrimoines mondiaux. Trois ans plus tard, la National Monument Act laisse la place à la National Heritage Trust Fund Act, en vertu de laquelle le « monument » devient « heritage ». « Nous ne sommes plus dans les monuments ou reliques, mais dans le patrimoine, sa représentation, sa valeur symbolique et son identité », indique-t-elle.
Mais un ombre plane sur ce tableau qui paraît parfait : « On a juste changé l’appellation, pas le système de gestion, la protection et la valorisation ». Cette lacune est comblée en 2003 avec la National Heritage Fund Act, qui verra la mise sur pied d’un petit conseil composé de conseillers, dont celui du ministre de la Culture. « Ce conseil pourra dès lors fonctionner grâce à un budget et un personnel d’experts dont la nouvelle loi définit le champ d’action. Le plus notable est l’établissement d’un répertoire de sites patrimoniaux et le fait d’assurer leur protection et leur valorisation à travers des actions pédagogiques. »
Que représentent les statues de Sir Seewoosagur Ramgoolam, Sir Veerasamy Ringadoo, Basdeo Bissoondoyal ou Maurice Curé ? « C’est l’île Maurice qui est représentée, dans sa transition des luttes pour l’indépendance, où un Etat est créé. La reine Victoria et Mahé de Labourdonnais incarnent, eux, la période coloniale, et leurs statues ne sont pas loin des syndicalistes et indépendantistes. On dirait que le destin s’est arrangé pour créer cette proximité qui a traduit la transition pacifique de l’ère coloniale de Maurice à son indépendance », fait valoir Chaya Hurnath.
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