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Paradigme techno-économique

Parce qu’elle joue un rôle certain dans la croissance économique, le budget de 2018-2019 a mis en exergue l’innovation. Cependant, le gouvernement ne prend pas à bras le corps l’innovation numérique. Or ce sont les innovations technologiques (intelligence artificielle, robotique, big data) qui ont un impact considérable sur l’économie dans la mesure où elles modifient les méthodes de production et les comportements du consommateur.

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A l’heure des technologies de l’information et de la communication (TIC), « Maurice passe à côté de l’intelligence artificielle », affirme un conseiller du ministère de la Technologie. Si la révolution n’est pas pour demain, c’est parce que notre système institutionnel ne favorise ni le processus d’innovation entrepreneuriale ni l’adaptation aux changements technologiques. Pour encourager l’innovation, il faudra supprimer les obstacles réglementaires à la création de start-ups, rendre flexible le droit du travail, stimuler la concurrence, créer des conditions favorables au capital-risque et accorder des crédits d’impôt à la recherche-développement, ainsi que des facilités de financement.

L’innovation ne se décrète pas. Il ne suffit pas de distribuer de l’argent public afin de rattraper le retard mauricien. C’est au coeur de la dynamique des marchés, loin de la bureaucratie, et à travers le mécanisme de « destruction créatrice » chère à Schumpeter, que se joue l’innovation. Ainsi, l’économie doit détruire des technologies pour les remplacer par des techniques susceptibles de créer de nouveaux créneaux de croissance. De même, des emplois d’hier doivent être détruits au profit des emplois plus qualifiés et à plus forte valeur ajoutée.

Dans l’industrie, de vieux emplois, devenus obsolètes, sont abandonnés tandis que certains emplois se transforment. L’application de technologies innovantes génère des gains de productivité qui se traduisent par la production de nouveaux biens et services, permettant d’embaucher ceux qui ont perdu leur travail. Hier les agriculteurs se sont reconvertis en ouvriers, aujourd’hui les emplois se déplacent de la manufacture aux services.

Mais au vu de la faible intensité robotique de notre industrie, c’est plutôt la délocalisation qui détruit des emplois locaux. Au lieu d’investir dans la robotisation pour sauvegarder ceux-ci, nos usines préfèrent se délocaliser. Pourtant, en augmentant l’automatisation des entreprises, les robots rendent les pays à faible coût de main-d’oeuvre moins attrayants, accroissent les économies d’échelle et permettent de produire au plus proche des clients.

Il faut évidemment avoir les moyens financiers de profiter du développement des nouvelles technologies. Les cycles économiques découlent, selon Schumpeter, de l’interaction des innovations et de la création de crédit, qualifiée de « complément monétaire de l’innovation ». Mais nos banques ne se bousculent pas pour financer les prestataires de services d’informatique, d’internet, de commerce électronique et de technologies de l’information. Si l’on exclut les télécommunications, les crédits bancaires accordés au secteur de l’information et de la communication ont baissé de moitié, passant de Rs 922 millions en décembre 2009 à
Rs 493 millions en décembre 2017.

La première phase de développement de ce secteur à Maurice a été fulgurante avec des taux de croissance réelle à deux chiffres (13,8% en 2007, 13,3% en 2008, 11,8% en 2009 et 11,1% en 2010). Puis, la croissance s’est ralentie jusqu’à s’inscrire à 5,5% en 2017. La part de ce secteur au PIB est tombée de 4,9% en 2010 à 4,2% ces trois dernières années.

La raison de cet essoufflement est que les TIC sont des technologies substitutives. Une fois qu’on adopte une technologie, il est très difficile de changer après quelques années seulement, sauf si les coûts de l’ancienne et de la nouvelle technologie deviennent équivalents. Le taux d’adoption dépend des anticipations sur les améliorations futures de la technologie concernée, mais aussi des coûts d’inputs complémentaires et de l’existence d’une infrastructure. Enfin, la pression de la concurrence conduit souvent à des améliorations substantielles de l’ancienne technologie.

Pour avancer malgré tout, il faut un changement de paradigme, soit une transformation radicale du système de pensée qui prévaut en matière de gestion de l’entreprise. Le nouveau paradigme se développe d’abord à l’intérieur de l’ancien, démontre ses avantages et établit finalement un régime technologique dominant. Les employés qui se sentent menacés par l’apparition de ce paradigme techno-économique constituent une force d’inertie. Le potentiel de productivité de la nouvelle technologie ne pourra alors s’exercer pleinement que lorsque de profondes modifications de l’organisation des entreprises et des profils de qualifications du personnel interviennent.

Le facteur clé du paradigme techno-économique est un faible coût de l’internet, comme le bas coût du coton, du charbon, de l’acier et du pétrole durant les précédentes révolutions industrielles. Notre gouvernement ferait mieux de subventionner les utilisateurs d’internet, et non les promoteurs immobiliers à coups d’exonérations fiscales. Il faciliterait ainsi la transition vers un régime fondé sur l’électronique et l’information.

Alors que les investissements dans le bâtiment et le transport public peinent à relever notre croissance économique au-dessus de 4,0 %, il faudra miser sur la croissance endogène qui met l’accent sur les innovations d’organisation, de procédé et de produit. Elles requièrent un montant donné de capital humain plutôt que de capital physique, comme le dit Paul Romer, prix Nobel d’économie. Proposant un Master en intelligence artificielle, l’Université des Mascareignes veut d’abord savoir s’il y a un marché. Mais l’industrie n’attend pas l’université, puisque l’offre crée sa propre demande. Personne ne peut prévoir les métiers de demain. C’est un saut dans l’inconnu.

 

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