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Nita Deerpalsing, ancienne députée du PTr : «À quelques mois des élections, nous manquons d’une vision cohérente pour l’avenir»

Nita Deerpalsing considère les prochaines élections comme décisives pour l’avenir du pays et critique le manque de propositions concrètes pour une rupture avec le système en place. Elle appelle à une vision cohérente et une véritable réforme, tout en soulignant l’importance de présenter un projet de société solide pour répondre aux défis actuels.

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Plusieurs voix de l’opposition, parlementaire ou extraparlementaire, considèrent les prochaines élections générales comme étant les plus cruciales depuis l’indépendance, peut-être même plus que celles de 1967. Dans quelle mesure partagez-vous cette opinion, surtout dans un contexte où une rupture avec un système vieux de plus de 50 ans semble de plus en plus désirée ?
Ce que nous n’avons jamais vu depuis l’Indépendance, c’est cette punition que la population a endurée pendant ces cinq dernières années, chaque mardi. Un massacre inédit de la démocratie parlementaire. À mon avis, il est impensable que la population reconduise l’équipe qui a infligé cette épreuve, une équipe qui n’a pas hésité à priver le peuple de son droit fondamental en démocratie : celui de tenir l’Exécutif à un exercice régulier d’accountability. 

Toutefois, en ce qui concerne les prochaines élections, comme pour toutes les élections, je préfère que l’accent soit mis sur un projet de société concret et visionnaire pour l’avenir. En principe, en ce qui concerne notre avenir commun à tout moment de notre histoire, aucune élection ne revêt plus d’importance que celle qui s’annonce. C’est elle qui déterminera le futur de notre pays.

Je pense donc que l’opposition se trompe en comparant les élections à venir à celles de 1967, malgré leur importance historique. Pour remporter les prochaines élections, il est crucial de présenter un projet de société solide et concret. En effet, les électeurs votent pour l’avenir, pas pour le passé. 

Quel rôle pensez-vous que les jeunes générations joueront dans les prochaines élections, notamment en ce qui concerne l’appel à une rupture avec le système en place ?
Je me demande quelle est exactement la rupture de système que l’opposition propose. À ma connaissance, il n’y a rien de concret jusqu’à présent. Je ne parle pas simplement de listes de « mesures » - qu’elles soient 20, 40 ou 80 - car ces mesures, n’importe qui peut les trouver en faisant une recherche sur Google.

Ce qui nous manque à quelques mois des élections, c’est une vision cohérente et holistique pour l’avenir de notre pays.  Une vision d’un pays de bienveillance générale et de bien-être pour tous et non pas pour ceux qui sont déjà en haut de l’échelle sociale.

La question fondamentale, tant pour les jeunes que pour les moins jeunes, est de savoir si nous allons continuer à subir la « policy capture » que nous avons connue depuis l’Indépendance. En d’autres termes, le « policy making », qui devrait être conçu indépendamment pour le bien commun par ceux qui sont élus par le peuple, va-t-il continuer à être dicté par ceux qui détiennent le pouvoir de l’argent ? Cela inclut autant le pouvoir historique que les nouveaux riches qui financent les campagnes électorales.

Le PMSD n’a-t-il pas honte de s’asseoir aux côtés de la même personne qui a violemment imposé un ‘bully’ dont les ‘terms of recruitment’ était de massacrer la démocratie ?»

Avez-vous examiné les propositions de l’opposition, tant parlementaire qu’extraparlementaire, concernant une rupture avec le système actuel ? En tant que défenseur d’une telle rupture, notamment dans le cadre de votre travail sur la démocratisation de l’économie, quels blocs vous semblent engagés dans cette démarche ?
Malheureusement, je n’ai ni vu ni entendu de propositions concrètes de rupture avec le « policy capture » de la part de l’un ou l’autre camp. Ce n’est pas une question théorique ; la « policy capture » impacte directement la vie quotidienne de chacun, jeunes comme moins jeunes. 

Depuis plusieurs années, la vente du béton de luxe est devenue la solution de facilité privilégiée par divers régimes. Aujourd’hui, nous constatons même l’émergence de nouveaux acteurs politiques qui soutiennent activement ce bétonnage de luxe.

Mais existe-t-il quelqu’un qui propose une alternative viable ? Jusqu’à présent, y a-t-il un engagement ferme de la part de quiconque pour arrêter immédiatement le bétonnage du pays ?

Il ne faut pas nous leurrer. Le béton de luxe peut certes apporter des revenus rapides en devises, mais cela se fait au détriment d’un avenir durable. Il compromet l’accessibilité du logement pour le Mauricien moyen, l’achat de terrains pour les citoyens, ainsi que la durabilité alimentaire. Cela nuit également à une réforme agraire essentielle pour le pays.

Nous devons donc évaluer la vision des différents acteurs pour l’avenir du pays à travers leurs positions sur le bétonnage de luxe. La superficie des terrains susceptibles d’être convertis en villas de luxe est limitée. Une fois que tous les terrains ont été vendus aux étrangers, quel est le plan pour la suite ? Y a-t-il des propositions concrètes pour l’après, ou devons-nous craindre un « après moi le déluge » ?

Comment percevez-vous le rapprochement entre Rezistans ek Alternativ (ReA) et le bloc PTr-MMM-ND ? ReA justifie ce choix par la bipolarisation inévitable du paysage politique actuel, tandis que Nando Bodha, issu de la politique traditionnelle, prévoit une lutte à trois. 
J’ai beaucoup de respect pour le combat mené par Rezistans ek Alternativ et pour l’effort constant de changer le narratif autour du développement économique. À première vue, si ReA parvenait à influencer ne serait-ce que l’attitude des politiques mainstream concernant une véritable réforme agraire et l’arrêt immédiat de la vente de bétonnage de luxe, ce serait bénéfique pour le pays. Cependant, j’ai des doutes quant à leur capacité à y parvenir.

Malgré les nombreux scandales qui ont terni le mandat du gouvernement, certains estiment que le MSM pourrait encore l’emporter, en grande partie grâce aux dynamiques ethniques dans les circonscriptions 4 à 14 qui semblent lui rester favorables. Quelle est votre opinion sur cette analyse qui place Pravind Jugnauth et le MSM en tête pour les prochaines élections ?
Ce qui devrait nous préoccuper davantage, c’est la qualité de l’alimentation disponible, qu’on vive en milieu rural ou urbain. J’ai eu l’occasion d’en parler à la radio. Une récente étude publiée dans le British Medical Journal révèle que la consommation de produits ultra-transformés (PUT) - Ultra Processed Foods (UPF) en anglais -, entraîne des problèmes de santé graves et durables pour chacun d’entre nous. Cette situation impacte non seulement le bien-être individuel, mais aussi le budget de la santé publique.

L’étude montre également que la dépendance aux PUT a des effets sur le comportement, ce qui est préoccupant lorsqu’on observe le comportement général sur nos routes ou dans nos écoles. N’oublions pas que la production de richesse d’un pays dépend, entre autres, de l’existence d’une population en bonne santé et bien éduquée. Si nous consommons principalement des PUT et que cela conduit à une augmentation des congés maladie ou des séjours à l’hôpital, cela affecte directement la production de biens communs. C’est un autre aspect qui se relie à la question du bétonnage de luxe.

Quel est le plan pour garantir que la population en dehors du top 10 % de l’échelle sociale ait accès à une alimentation non toxique ? Où sont les propositions concrètes pour une véritable réforme agraire ? Faut-il attendre la publication d’un manifeste pour obtenir des idées claires ? Ou devons-nous nous contenter d’une série de mesures « évidentes », qu’elles soient au nombre de 20, 40 ou 80 ?

Je recommande vivement aux futurs décideurs politiques de lire un livre publié en 2023 intitulé « Ultra Processed People » par Chris van Tulleken. Selon le Financial Times, ce livre « devrait faire honte aux décideurs et ébranler l’industrie alimentaire jusqu’à ses fondements motivés par l’argent ».

Je n’ai ni vu ni entendu de propositions concrètes de rupture avec le ‘policy capture’.»

Votre ancien parti, le Parti travailliste, a décidé de s’allier au MMM pour les prochaines élections. En 2014, lorsque cette alliance a affronté les urnes, plusieurs dysfonctionnements avaient marqué la campagne électorale. Comment percevez-vous l’évolution de la dynamique entre le PTr et le MMM 10 ans après ?
Je ne perçois aucune dynamique véritablement bienveillante de part et d’autre. Ce que nous observons tristement, ce sont des tactiques et des calculs cyniques, soit pour maintenir le pouvoir, soit pour en obtenir. Ce qui prédomine, c’est le marketing politique et l’emballage publicitaire, plutôt qu’une véritable vision soutenable pour l’avenir. Je n’ai pas l’impression que ces élections seront axées sur les intérêts de la population, mais plutôt sur la question de savoir qui sera au pouvoir.

Pensez-vous que l’électorat, autrefois réticent à l’idée d’un tandem Ramgoolam-Bérenger, est aujourd’hui plus enclin à soutenir cette alliance ?
Comme je l’ai souligné, ce qui importe bien plus que les personnages, leurs âges, ou leurs visages, c’est le projet de société qui nous est proposé. Pour moi, le critère essentiel est ce que chacun a à dire sur la vente du bétonnage de luxe. Malheureusement, malgré les récentes initiatives accompagnées de fanfare et d’emballage, il semble que la politique publique continuera d’être asservie au bétonnage de luxe du pays, quel que soit le résultat des prochaines élections générales.

Ces dernières semaines ont été marquées par la nomination d’Adrien Duval au poste de Speaker, un geste que l’opposition interprète comme le signe d’un possible accord entre le MSM et le PMSD en vue des élections. Votre avis ?
Franchement, il est très malhonnête envers le peuple et l’électorat d’insister sur le fait que cette nomination n’a rien à voir avec un accord électoral. Cela révèle sans ambiguïté l’ampleur du mépris dont l’électorat est victime de la part de politiciens préoccupés uniquement par le calcul et la tactique, loin de l’authenticité de servir le peuple plutôt que de se servir de lui.

Le PMSD n’a-t-il pas honte de s’asseoir aux côtés de la même personne qui a violemment imposé un « bully », dont les « terms of recruitment » était de massacrer la démocratie, mardi après mardi, pendant cinq longues années ? Cette personne a tout fait pour éviter d’être responsable devant le peuple, semaine après semaine, pendant cinq ans.

Est-ce aussi une question de gestion de l’opinion publique et de manipulation du consentement ? Il est clair que l’électorat du PMSD est profondément allergique au MSM. Il semble donc qu’il faille du temps et des tactiques pour persuader cet électorat que, malgré les événements de chaque mardi pendant cinq ans, le MSM mérite désormais un certificat de moralité que le PMSD lui accorde.

 

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