Interview

Nadège Nzeyimana (Transparency International Rwanda) : «Les journalistes professionnels sont constamment sous le radar» 

Nadège Nzeyimana

De passage à Maurice dans le cadre d’un programme d’échange entre Transparency Mauritius et Transparency International Rwanda, Nadège Nzeyimana fait valoir que « les médias de masse doivent tirer partie des nouvelles technologies » en raison du conditionnement exercé par les réseaux sociaux. La responsable de communication met en exergue l’avantage d’une « audience pluriethnique parce que la variété du public peut être un atout ». 

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Quelle but de votre séjour à Maurice ?
Je suis à Maurice pour un programme d’échanges éducatifs avec Transparency Mauritius à propos de son projet de travailler avec les médias dans la lutte contre la corruption, surtout en ce qui concerne le journalisme d’investigation. Je travaille avec Transparency International Rwanda. On veut utiliser l’exemple de Transparency Mauritius.

Comment la presse dans un pays de petite taille comme Maurice, avec une proximité des sphères politiques et économiques, sans oublier son caractère pluriethnique, peut-elle fonctionner librement et quelles sont les contraintes auxquelles elle est confrontée ? 
Les contraintes de la presse dans un pays de petite taille sont principalement le marché et l’audience qui sont limités. En ce qui concerne l’audience d’un caractère pluriethnique, c’est un avantage parce que la variété du public peut être un atout s’il est bien utilisé parce que cela donne la possibilité de faire des contenus variés. Pour que le média fonctionne librement, il y a beaucoup de paramètres : l’autonomie financière, la formation, les lois et le système qui fait que les médias travaillent librement dans un pays.

Comme spécialiste des « social media », comment définiriez-vous  l’impact de celui-ci sur le secteur de l’information de masse ? Est-ce facile pour le journaliste de distinguer l’information de la propagande ou des « fake news », bref de la désinformation  à l’heure du « breaking the news » à n’importe quel prix ?
Les réseaux sociaux conditionnent aujourd’hui le fonctionnement des médias. Mais les médias de masse doivent aussi  tirer partie des nouvelles technologies tout en préservant ce qui fait leur différence pour rester d’importants producteurs d’information. 

Ce n’est pas facile de savoir repérer la désinformation à l’heure du breaking news, mais cela reste possible si les médias s’assurent que la pression du temps, surtout des réseaux sociaux, ne les pousse pas à la faute, en l’occurrence celle de ne pas vérifier leurs sources ou l’information en général, ou encore ne pas balancer l’information. 

Bien sûr, il faut être rapide dans cette ère numérique, mais il faut toujours vérifier et revérifier l’information. Sinon elle devient un cadeau empoisonné. Il y a un prix à payer si on ne vérifie pas l’information avant de la lancer. 

Est-il possible à un seul journaliste de travailler avec la même rigueur et la même rapidité sur différentes plateformes, dont la presse écrite, le Web et la radio ? 
Bien sûr. Tout journaliste doit avoir une connaissance de ces plateformes. Mais avoir la même rigueur, les mêmes connaissances et la même rapidité est impossible parce qu’à la fin rien ne sera bien fait. Comme on dit : « Lorsqu’on a trop de choses à faire en même temps, on ne fait rien. » Mais je dirais que ce qui est possible et nécessaire est de s’assurer que l’information soit rapide, peu importe la plateforme. Qu’il s’agisse de la télé, de la radio ou de la presse écrite, il doit toujours y avoir une version électronique et le partage sur les réseaux sociaux. 

Tout journaliste doit avoir une connaissance des multiples plateformes que sont la presse écrite, le Web et la radio. Mais avoir la même rigueur, les mêmes connaissances et la même rapidité est impossible parce qu’à la fin rien ne sera bien fait.»

Trouvez-vous que la presse soit une entreprise comme les autres, la finalité étant de faire des bénéfices ?
Non. La presse n’est pas une entreprise comme les autres, parce que si elle est centrée sur les bénéfices, elle peut avoir des conséquences désastreuses sur la vie des gens. La profession de médias est comme la médecine : il faut de la passion, de l’engagement, de l’amour, de l’attention, de la patience et les aptitudes de traiter l’information soigneusement. Parce que les entreprises des médias doivent se concentrer davantage sur l’impact qu’ils ont sur une société, sur le changement qu’elles occasionnent et sur les vies qu’elles changent. 

Existe-t-il un débat ou s’agit-il de faire la distinction entre le journaliste citoyen et le journaliste professionnel ? Où est la ligne démarcation entre les deux ? 
La ligne de démarcation est très claire. Les journalistes citoyens ne sont pas tenus par l’éthique et la déontologie. Les journalistes professionnels sont en permanence sous le radar. Ils doivent éviter de commettre des erreurs, qu’elles soit volontaires ou pas. Ils doivent aussi éviter d’être pris dans le piège des rumeurs sans fondements ou véhiculer de la calomnie. 

Dans de grandes démocraties comme l’Inde et le Japon, où les technologies ont fait un bond extraordinaire, la presse écrite traditionnelle préserve une vitalité surprenante, avec des tirages par centaines de milliers au quotidien. Comment l’expliquez-vous ? 
C’est vrai que la presse écrite sur papier est en voie de disparition. Son futur est incertain. Mais le rival de la presse écrite papier est surtout l’accès, la rapidité de l’information et la gratuité. Bien sûr, la cause primaire c’est Internet. Mais la survie de la presse écrite papier varie d’un pays à l’autre, surtout à cause de la culture. 

Quelles sont les formations indispensables à un jeune s’il veut se lancer dans la presse telle qu’elle se présente de nos jours ?
Avant même de se lancer, il doit d’abord se poser la question suivante : pourquoi  le journalisme ? Si la réponse est d’être célèbre ou avoir la chance de rencontrer des hommes politiques et des célébrités, il ne faut absolument pas envisager le métier du journalisme. 

Pour ceux qui veulent vraiment faire du journalisme afin d’apporter des changements, ils doivent être formés à maîtriser le critical analysis et être aptes à discerner le fake news de l’information. Mais il faut d’abord savoir ce qu’on veut faire dans le journalisme : la télé, la radio ou la presse écrite ? 

Après avoir décidé, il faut aussi avoir une connaissance des réseaux sociaux. Pour tout genre de journalisme, il faut de la patience pour vérifier et balancer l’information. Mais il faut aussi se rappeler que le journalisme d’aujourd’hui se fait rapidement et à grande échelle. 

Est-ce que des élus, en particulier des ministres et parlementaires, doivent révéler leurs dépenses dans le cadre de leurs fonctions ? Doivent-ils également être exemplaires dans leur vie privée, en termes de probité mais aussi dans leur train de vie ?
Il est primordial que les hauts fonctionnaires de l’État et tout ceux qui sont en charge de la gestion des fonds publics déclarent leur patrimoine au début et à la fin de leurs fonctions. C’est une question de redevabilité et de transparence. 

 

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