
Le rapport de la National Human Rights Commission sur les incidents survenus en juillet dernier révèle l’ampleur du trafic et de la corruption dans l’établissement pénitentiaire mauricien de haute sécurité.
Derrière les hauts murs de la prison de haute sécurité de Melrose, censée être l’établissement le plus sécurisé du pays, la discipline n’est plus qu’un lointain souvenir. Drogue, cigarettes et téléphones portables circulent librement, alimentant un climat de violence et d’insubordination chronique. Le rapport de la National Human Rights Commission sur les incidents survenus le 17 juillet dernier, et rendu public le vendredi 3 octobre, dresse le tableau alarmant d’un pénitencier en pleine dérive.
L’Eastern High Security Prison de Melrose est, aujourd’hui, le théâtre d’un délitement progressif de l’autorité. Selon plusieurs témoignages de gardiens recueillis sous couvert d’anonymat, les détenus n’écoutent plus les ordres, et les incidents violents se multiplient.
« La situation à Melrose n’est pas bonne du tout. Quand les prisonniers sont sous l’influence de la drogue, ils deviennent incontrôlables. ‘Kan zot dan nisa, zot pa ekoute. Zot vinn violan. Zot insilte’ », confie un gardien. La drogue synthétique, en particulier, fait des ravages. « Difisil pou gard rantre lerla. Pa fasil pou travay laba », se plaint-il.
Réseaux de contrebande
Le rapport de la National Human Rights Commission confirme la présence massive de stupéfiants dans l’enceinte de la prison et pointe directement l’existence de réseaux de contrebande structurés, opérant avec la complicité d’agents corrompus.
Les réseaux de contrebande, confirmés par le rapport et déjà dévoilés par Le Défi Quotidien dans son édition du 16 septembre dernier, alimentent un marché carcéral aux tarifs prohibitifs. La drogue entre principalement sous forme de feuilles A4 imbibées de substances chimiques, appelées « chimik ». Ces papiers, une fois découpés, se vendent entre Rs 100 et Rs 300.
Les cigarettes, dont le trafic fait également des ravages selon les sources internes, se négocient à environ Rs 1 000 l’unité en semaine, un montant qui peut doubler le week-end. Le commissaire des prisons a d’ailleurs reconnu un cas récent : un agent avait jeté des cigarettes depuis la tour de surveillance vers la cour intérieure. « Ena problem ladrog ek sigaret dan prizon Melroz. Toulezour pe tir 40 ou 50 sigaret. Bann prizonie plati li », explique une source.
Au-delà, c’est l’introduction massive de téléphones portables qui bouleverse l’équilibre carcéral. Certains détenus, connectés au réseau WhatsApp, communiquent avec l’extérieur après l’extinction des feux et se tiennent informés de l’actualité en temps réel. Les tarifs atteignent des sommets : jusqu’à Rs 150 000 pour un modèle 5G. Certains détenus effectuent leurs paiements via des applications bancaires installées sur leur propre téléphone, parfois avec le concours d’un gardien complice.
« Il n’y a plus de contrôle. Certains se croient tout permis. Ceux qui font des allers-retours en prison sont les plus difficiles à gérer », précisent des gardiens. Les bagarres entre détenus sont fréquentes, mais rarement officiellement rapportées. « Souvent, les choses se règlent à l’intérieur », souffle une source interne.
C’est après un épisode particulièrement violent, survenu en juillet dernier, que la National Human Rights Commission a institué un Fact-Finding Inquiry. Ce 17 juillet-là, la Special Mobile Force (SMF) et le Groupement d’intervention de la police mauricienne (GIPM) ont dû intervenir en force. Bilan : des détenus blessés, des cellules saccagées, des gardiens en état de choc.
« Tout a commencé quand les prisonniers ont refusé de se soumettre aux nouvelles mesures disciplinaires imposées par la direction », explique une source. La tension a rapidement dégénéré en bagarre entre détenus, avant de virer à la mutinerie. Depuis la publication du rapport, l’agitation a repris. « Les prisonniers sont un peu ‘wild’ ces jours-ci. Les prisonniers ont appris les conclusions du rapport à travers leurs téléphones portables », indique-t-on.
Face à la gravité du constat, la National Human Rights Commission, dans son rapport, recommande la création d’une cellule d’enquête indépendante pour identifier les officiers corrompus et mettre fin à l’impunité. Elle préconise également la modernisation du système de surveillance : brouilleurs de signaux, scanners corporels, rotation accrue du personnel.

Climat de peur
D’autre part, le rapport évoque le retard chronique dans les promotions et la frustration grandissante du personnel pénitentiaire, deux facteurs qui favorisent la corruption et la perte de contrôle interne. Le comité met en garde contre « la déshumanisation progressive du milieu carcéral, où la peur, la fatigue et la défiance minent chaque jour un peu plus les fondations d’un système déjà à bout de souffle ».
En effet, avec environ 910 prisonniers pour près de 240 gardiens, dont seulement 150 en contact direct avec les détenus, la tension est permanente. « La prison de Melrose, c’est comme quatre prisons en une seule. Il y a une dizaine d’unités, dont une unité gériatrique, ainsi qu’un hôpital, entre autres. Pour un tel complexe, il faudrait au moins une cinquantaine de gardiens supplémentaires », réclament des agents.
Les gardiens appellent également à la création d’une équipe de sécurité interne permanente, spécialement dédiée à la gestion des situations d’urgence. « Pour l’heure, les gardiens en poste disent travailler dans la peur et la fatigue », soulignent-ils.
La direction carcérale a mis sur pied un comité de haut niveau chargé d’analyser le rapport et de proposer des solutions rapides et durables. Selon nos recoupements, les « Standing orders » de la prison seront revisités, et l’accent sera mis sur la formation continue du personnel.

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