Pédostop, ONG de lutte contre les violences sexuelles sur les enfants à Maurice, organisera du 4 au 6 avril une formation destinée aux psychologues et thérapeutes. Sa directrice, Mélanie Vigier de Latour-Bérenger explique la raison de cette initiative. La psychosociologue fait aussi un plaidoyer pour une plus grande protection des enfants.
Quelle est la nécessité et surtout l’intérêt d’une telle session de formation ?
Cette formation servira à mieux informer et outiller les thérapeutes et psychologues dans la prise en charge des enfants auteurs d’agression sexuelle, prise en charge qui devrait être obligatoire. Selon le rapport de l’Unicef France et de l’Association Mémoire Traumatique et Victimologie de mars 2015, un agresseur sexuel d’enfant sur quatre est mineur et une prise en charge psychologique appropriée aidera les jeunes auteurs de violence sexuelle à prendre conscience de la gravité de leurs actes et des conséquences sur les enfants victimes. Une meilleure prise en charge contribuera à réduire les très grands risques de récidive. Un accompagnement de qualité pourra donc avoir un impact important quant au nombre d’enfants victimes d’agression sexuelle chaque année.
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Est-ce un fait courant ?
La rétractation de l’enfant victime est très fréquente dans les cas de violence sexuelle. C’est la 5e étape du syndrome d’adaptation aux sévices sexuels, tel que décrit par le Dr R. Summit, psychiatre, en 1983. Or, selon Yves-Hiram Haesevoets en 2015, « le phénomène de rétractation apparaît souvent comme un indicateur supplémentaire de la réalité des abus sexuels ». Malheureusement, il y a encore une grande méconnaissance de cette problématique par les personnes impliquées dans la protection de l’enfance à Maurice.
Quid de l’importance accordée à la parole de l’enfant victime ?
La parole de l’enfant, c’est ce qu’il y a de plus précieux comme preuve ; elle est primordiale. Il est très difficile pour un enfant de mettre en mots les abus subis, qui sont de l’ordre de l’impensable. Pour le Dr Sabourin dans Gabel 1992, « la parole a valeur d’appel au secours ». Un enfant n’a pas la maturité psychique pour inventer les actes d’abus qu’il décrit avoir subis ou lorsqu’il dit que telle personne « inn fer malelve ». Les parents ont la responsabilité première de croire et de protéger leurs enfants. Ceux qui se taisent ne protègent pas leurs enfants et permettent aux agressions sexuelles de perdurer. Ce qui accentue la gravité des conséquences.
Que se passe-t-il après une dénonciation ?
Tous les cas signalés à la CDU devraient systématiquement faire l’objet d’une enquête policière, mais en réalité, ils ne le sont pas tous. Ce n’est pas aux enfants victimes de décider de porter plainte. Et ce n’est pas non plus aux parents de décider de donner suite à la plainte après leur passage à la CDU. Les abus sexuels sur les enfants sont des délits, des crimes. C’est illégal. C’est la loi de la République qui doit prédominer. C’est d’abord aux parents, puis à l’état de protéger les enfants. Sur environ 350 à 400 cas signalés à la CDU chaque année, on observe que de 2008 à 2013, uniquement quelque 200 cas de violence sexuelle impliquant des mineurs sont parvenus au Parquet.
Selon l’Organisation mondiale de la santé, en 2010, environ 20 % des femmes et 5 % à 10 % des hommes disent avoir subi des violences sexuelles dans leur enfance… Et à Maurice ?
Les chiffres et les indications des situations de violences sexuelles ne reflètent pas toujours la réalité. Autant à Maurice que dans le monde. Les statistiques précitées donnent une idée de ce qui se passe dans plus de 190 pays. Or, à Maurice, le nombre de cas signalés à la Child Development Unit (CDU) représente 0,14 % des enfants de moins de 14 ans et 0,08 % des enfants de moins de 19 ans. Cela ne signifie pas qu’il y a moins de cas de violences sexuelles sur les enfants à Maurice, vu les multiples témoignages, accompagnements thérapeutiques, etc. Cela signifie que les agressions sexuelles sur les enfants à Maurice sont largement under-reported.
Cela est dû à quoi selon vous ?
Plusieurs facteurs expliquent que les violences sexuelles sont under-reported : le tabou, le fait que les abus soient commis dans plus de 90 % des cas par un proche. À cause de la pression sociale, la peur, la honte, le sentiment de culpabilité ressenti par la personne victime, les menaces de l’agresseur et de la famille, l’attitude des personnes impliquées dans la protection de l’enfance qui interrogent et écoutent avec peu d’empathie, de considération et de respect ne facilitant pas la mise en mots, etc. De plus, plusieurs personnes à Maurice se fient à la rétractation de l’enfant victime pour établir qu’il n’y a eu aucune agression sexuelle.
La mission de Pédostop
Pédostop est une ONG de lutte contre les abus sexuels sur les enfants. Créée en 2005, elle a fonctionné jusqu’en 2006, puis elle a repris ses activités en 2012. Pour cet organisme, les agressions sexuelles sont partout. Un fléau qui attaque des enfants de toutes les religions, sans distinction, à Maurice comme ailleurs. Pas de couleur, pas de classe sociale. « Agissons, informons, luttons contre le silence. Se taire, c’est laisser faire. » C’est le message qu’elle veut porter. <Publicité
Comment expliquer ce déséquilibre ?
L’under-reporting, la méconnaissance de la problématique, les cas ne faisant pas l’objet d’une enquête policière, les cas ne parvenant pas au Parquet pour des jugements… D’où la difficulté d’avoir une indication de la situation réelle à Maurice.
Est-ce que les professionnels disposent des outils d’investigation clinique pour reconnaître, approfondir et appréhender les signes de violence sexuelle à l’encontre des enfants ?
Certains psychologues, thérapeutes, cadres de la CDU et policiers ont été sensibilisés à plusieurs reprises, lors des formations organisées par Pédostop depuis 2013. Ces sessions ont été animées par des experts en abus sexuels et dans la protection de l’enfance. Mais il y a encore un long chemin à parcourir. De plus, à part la parole de l’enfant, une masturbation publique compulsive, une agression sexuelle d’autres enfants, peu de signes sont particulièrement spécifiques aux violences sexuelles.
[blockquote]« Un prédateur sexuel, homme ou femme, n’agresse pas sans préméditation, au hasard ou par excès d’alcool. Son acte est calculé, prémédité. Il sait ce qu’il fait… »[/blockquote]
Comment reconnaître un prédateur sexuel ?
Il n’y a pas de profil type. Un prédateur sexuel, homme ou femme, n’agresse pas sans préméditation, au hasard ou par excès d’alcool. Son acte est calculé, prémédité. Il sait ce qu’il fait, il recherche son plaisir sexuel et le fait en pleine conscience. Le prédateur sexuel est un manipulateur. Il a souvent très peu d’empathie. On parle de polymorphisme de personnalités des prédateurs sexuels. Un pédocriminel ne peut donc pas être reconnu par des caractéristiques précises, à moins qu’il y ait déjà des plaintes à son sujet ou s’il a déjà été impliqué dans des délits ou crimes sexuels.
Y aurait-il une recrudescence ou une baisse du nombre de cas de violence sexuelle perpétrée contre les enfants ?
Il y a davantage de cas signalés et rapportés, ce qui est positif, car briser le silence est primordial. Et passer par la loi de la République pour ne pas laisser impunis les auteurs d’agression, crimes/délits, importe aussi. Mais en parler/dénoncer davantage n’est pas forcément lié au nombre de cas.
Il était question de la réalisation d’une brochure… Où en est le projet ?
Les livrets pour les parents et enfants, en français et en kreol, sont terminés et seront publiés le mois prochain, grâce à l’apport des partenaires financiers. Le coffret livrets/DVD sera bientôt prêt et distribué aux parents et éducateurs après des sessions prévues sur le terrain.Notre service WhatsApp. Vous êtes témoins d`un événement d`actualité ou d`une scène insolite? Envoyez-nous vos photos ou vidéos sur le 5 259 82 00 !