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Me Vikash Rampoortab : «La compagnie d’assurance est le plus à risque quand il faut payer des dommages»

La Cour suprême a accordé des dommages record de plus de Rs 217 millions à Me Iqbal Moollan, le 30 janvier 2023. Grièvement blessé à la suite d’un accident survenu en 2004, l’homme de loi avait fait un procès au propriétaire de la voiture, le conducteur et la compagnie d’assurance du véhicule fautif. L’avocat Vikash Rampoortab aborde la procédure d’indemnisation.

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Est-ce la première fois que la Cour suprême accorde des dommages d’un tel montant dans un procès concernant un accident ?
Oui. Du moins, à ma connaissance. C’est une somme colossale. Je me demande si la compagnie d’assurance a les moyens d’honorer ce montant.

Est-ce une pratique établie de poursuivre la compagnie d’assurance, le propriétaire et le conducteur du véhicule impliqué dans un accident ?
C’est un principe de droit civil bien établi qu’une victime d’un accident mette en cause le conducteur du véhicule, celui qui a la garde du véhicule et également la compagnie qui assurait le véhicule. C’est ce qui se fait dans le cadre d’un procès civil pour réclamer des dommages, conformément aux articles 1382, 1383 et 1384 du Code civil mauricien.

Dans le cas présent, la Cour suprême a jugé que le conducteur avait consommé de l’alcool et ne détenait pas de permis de conduire. Qui paiera alors les dommages ?
C’est pratique de cibler la compagnie d’assurance, car des trois, c’est l’entité qui a la plus grande poche. Bien que la somme soit répartie entre les trois, car ils sont tenus conjointement et solidairement de payer le montant, c’est la compagnie d’assurance qui règle la note dans la totalité dans ce genre de cas. Il est peu probable que le conducteur et le propriétaire du véhicule disposent de moyens pour honorer ce montant.

La compagnie d’assurance peut-elle refuser d’indemniser la victime ?
Si vous parlez du jugement dans l’affaire Iqbal Moollan, non. À moins de faire appel du verdict. Généralement, lorsqu’il y a un accident qui implique uniquement des dommages matériels, la compagnie d’assurance peut refuser de payer le montant réclamé par une victime. C’est si le conducteur de la voiture mis en cause était sous l’influence de l’alcool. Ce qui constitue une défense. La compagnie d’assurance peut toujours venir dire que le conducteur a failli à respecter une des clauses de sa police d’assurance. Conduire en état d’ivresse ou sans permis n’étant pas des situations couvertes par la police d’assurance.

Toutefois, lorsqu’il y a mort d’homme ou des blessures causées à une personne, cette défense ne peut être invoquée. Ce principe a d’ailleurs fait l’objet d’un jugement du Full Bench de la Cour suprême.

Qu’adviendra-t-il de l’affaire si les parties défenderesses n’ont pas les moyens de rembourser ?
Dans ce cas-là, la victime pourra demander un jugement les décrétant en faillite. La partie lésée peut présenter une demande statutaire devant la chambre commerciale de la Cour suprême. Fort d’un jugement, la victime pourra présenter une pétition pour placer les trois en faillite. Mais des trois, c’est la compagnie d’assurance qui est le plus à risque. Car en cas de verdict la plaçant en faillite, il y aura d’autres procédures judiciaires, comme sa mise en liquidation, la vente de ses actifs.

Finalement, la victime doit avoir ce qu’on appelle l’argent du jugement. Qui est de Rs 217 millions dans le cas de Me Iqbal Moollan. Le jugement en lui-même est une dette de la compagnie d’assurance envers la victime.

Est-ce que les biens du conducteur et de la propriétaire seront saisis s’ils n’arrivent pas à s’acquitter des dommages ?
C’est possible, mais comme je vous l’ai expliqué, c’est la compagnie d’assurance qui est le plus à risque. Elle va payer pour éviter des soucis et rester en opération. De plus, une compagnie d’assurance a des réassureurs.

Si c’était une voiture de compagnie qui était impliquée dans l’accident et qu’un de ses chauffeurs était fautif, l’entreprise devrait-elle alors payer des dommages ? Serait-elle placée en faillite pour non-paiement des indemnités ?
Oui, cela est possible. Un jugement du tribunal qui somme l’entreprise à payer des dommages est une dette. La victime dispose de tout un arsenal pour récupérer l’argent qui lui est dû en vertu du jugement.

Avec les amendements à la loi, les personnes qui ne parviennent pas à payer leurs dettes ne vont pas en prison. Que se passe-t-il dans ce cas de figure ?
Cette personne risque de voir ses biens être saisis à la demande de la victime. Et si la personne ne dispose pas de biens suffisants pour honorer le verdict, le jugement risque d’être académique.


Un assureur : « Généralement, la couverture de la responsabilité civile est au minimum de Rs 150 millions »

Rs 217 millions de dommages. Cette décision de la Cour suprême en faveur de l’avocat Iqbal Moollan, victime d’un grave accident de la route en 2004, est tombée le lundi 30 janvier, soit 19 ans après les faits.

Le montant inclut les frais médicaux encourus par Me Moollan à Maurice et à l’étranger, ses pertes de revenus passées, actuelles et futures, ainsi que la réparation du préjudice moral. Le procès était intenté conjointement au conducteur en faute, qui n’avait pas de permis et était sous l’influence de l’alcool, au propriétaire du véhicule et à la compagnie d’assurances de ce dernier. Les trois codéfendeurs sont ainsi condamnés solidairement à indemniser la victime.

Au niveau de l’Insurance Association of Mauritius, on refuse de commenter ce jugement pour le moment. Sous le couvert de l’anonymat, un membre de l’association explique que « la partie qui a perdu le procès a une alternative : soit payer, soit faire appel devant le Privy Council ». Il ajoute que « le conducteur et la propriétaire du véhicule, s’ils n’ont pas les moyens, peuvent se déclarer en faillite. Dans ce cas, l’assureur pourrait se retrouver seul avec cette dette à honorer. »

Notre interlocuteur souligne que dans ce cas précis, le fait que le conducteur avait enfreint la loi (défaut de permis et conduite en état d’ivresse)
ne change rien pour la compagnie d’assurances. « C’est effectivement un motif de rupture de contrat avec le propriétaire du véhicule, mais ça ne s’applique que pour les dommages matériels. Légalement, quand il y a des dommages corporels, l’assurance couvre toujours la responsabilité civile. Généralement, le minimum de cette couverture est de Rs 150 millions. Cependant, il faudrait connaître le contenu exact du contrat d’assurance pour savoir où s’arrête précisément la responsabilité de l’assureur dans cette affaire. » 

Le recours de la compagnie d’assurances devant le Privy Council, précise-t-il, est une option mais l’assureur « peut aussi décider de tout payer pour être vu comme un très bon ‘player’ sur le marché ».


Réactions de citoyens

Thierry : «Une indemnisation méritée et justifiée»

Thierry, 35 ans, estime que le montant de l’indemnisation accordée à Iqbal Moollan est juste. « C’est mérité et justifié au regard du préjudice qu’il a subi. » Selon lui, cette décision de la Cour suprême devrait avoir un effet dissuasif sur les mauvais comportements routiers qu’il dit observer au quotidien à Maurice. « Je ne pense pas qu’un autre conducteur ait envie d’être condamné à payer des centaines de millions de roupies. »

Maurice : « Conduire est une grande responsabilité »

« La Cour suprême a examiné tous les aspects avant de rendre son jugement dans ce procès. La décision ne peut qu’être juste », souligne Maurice. Chauffeur à la retraite, il rappelle que « conduire est une grande responsabilité ». Le conseil de ce conducteur expérimenté aux automobilistes : « Pran prekosion boukou ek pans ou kamwad lor larout ! »


Muktesh : « Cette personne a beaucoup souffert pendant 19 ans »

« C’est une décision de justice appropriée pour cette personne qui a beaucoup souffert pendant 19 ans », déclare Muktesh. Il souhaite que ce jugement incite les conducteurs à se montrer plus vigilants et respectueux du code de la route. « Moi-même je roule lentement et prudemment », dit-il. 

Salim : « Ti bizin dedomaz li inpe plis akoz kou lavi inn monte »

« L’argent n’est pas tout, surtout quand on connaît la gravité des blessures qu’a subies Iqbal Moollan et les autres conséquences de ce drame pour lui et sa famille. Toutefois, je pense que la compensation financière aurait dû être plus élevée. Ti bizin dedomaz li inpe plis akoz kou lavi inn monte », dit Salim. Mais le plus important, pour cet habitant de l’Est, c’est que l’affaire fasse réfléchir d’autres automobilistes et produise chez eux une prise de conscience. « Les usagers de la route doivent en tirer une leçon. Demain, c’est vous ou un de vos proches qui pouvez être victime d’un grave accident. »

Fabienne : « Que cet argent l’aide à retrouver la forme »

« Kan bwar, bizin pa kondwir », affirme Fabienne, en rappelant que l’autre conducteur impliqué dans l’accident était sous l’emprise de l’alcool. Pour cette employée dans le domaine de la vente, le montant des dommages qui sera versé à Iqbal Moollan est justifié. « Il faut prendre en considération que la carrière de cet avocat a été gâchée. Je souhaite que cet argent l’aide à retrouver la forme. J’espère qu’il pourra remarcher avec le
temps grâce aux interventions médicales. »

Barlen Munusami : « Bann dimoun ki bwar, kondir ek koz blesir grav, risk perdi tou »

Ancien policier et expert en sécurité routière, Barlen Munusami affirme que le jugement de la Cour suprême en faveur d’Iqbal Moollan est un signal fort envoyé aux automobilistes. « C’est la première fois dans les annales de la justice mauricienne qu’un tel montant d’indemnisation est accordé à une victime d’accident de la route. C’est un signal très fort pour dissuader tous ceux qui seraient tentés de prendre le volant après avoir consommé de l’alcool. Bann dimoun ki bwar ek par maler fer aksidan ek koz bann blesir grav, zot risk perdi tou pou enn ver lalkol. Li valab pou bann proprieter osi. Ena dimoun ki pret loto a bann personn ki pena permi dan enn fet », déclare-t-il. Barlen Munusami précise que « kan enn dimoun inn bwar ek li tap ek enn lot veikil ena zis domaz kot pena blese, lasirans pa rantre. Me kan ena blese lerla lasirans rantre. Se ki finn arive dan sa ka-la. »

Alain Jeannot : « Un jugement salutaire »

Pour le président de l’association Prévention routière avant tout (PRAT), « ce jugement est salutaire parce que désormais, une personne va réfléchir à deux fois avant de prendre le volant quand elle n’a pas le permis de conduire ou qu’elle est sous l’influence de l’alcool. » Alain Jeannot estime ainsi qu’une telle décision de justice contribue à « la lutte contre ce fléau que représentent certains comportements routiers intolérables ». Il rappelle que la route est un espace public où il est indispensable de respecter des règles d’usage en commun, à savoir le code de la route mais aussi la cordialité. 

 

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