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Me Khushal LobinE sur le reward Money : «Tout système d’incitation financière doit reposer sur la traçabilité»

Me Khushal Lobine, backbencher de la majorité, estime que le système de Reward Money a été entaché d'abus faute de garde-fous. 

La Financial Crimes Commission (FCC) a du pain sur la planche. Trop de dossiers pour tous les couvrir sans coup férir ?
Effectivement, la FCC hérite d’un volume considérable de dossiers. Cette commission est en train d’abattre un travail complexe et important, avec des dossiers et des enquêtes de crimes financiers et de blanchiment d’argent qui méritent d’être élucidés au plus vite. En tant que juriste, je pense qu’il est essentiel d’adopter une gestion de portefeuille des affaires. Cela signifie hiérarchiser les enquêtes selon des critères objectifs : gravité, montants en jeu, risques de prescription et intérêt public. Ce modèle est utilisé dans plusieurs juridictions, comme le Serious Fraud Office au Royaume-Uni, et permet d’éviter la dispersion.

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Ne risque-t-on pas de revivre le scénario de la défunte ICAC, où des dossiers s’entassaient dans les tiroirs sans jamais aboutir à des résultats concrets ?
La FCC a justement été créée pour tirer les leçons du passé. Le public attend des résultats concrets et la Commission a désormais l’opportunité de montrer qu’elle peut fonctionner différemment. L’essentiel sera de mettre en place des méthodes de travail modernes, de mieux coordonner les enquêtes complexes et de doter l’institution des outils nécessaires pour agir efficacement. Ce n’est pas une question de répéter les erreurs d’hier, mais de construire une institution plus forte et mieux adaptée aux défis actuels. D’ailleurs, une nouvelle loi, le National Crime Agency Bill, qui sera introduite au Parlement très bientôt, verra la création d’une National Crime Agency qui va prendre le relais et remplacer la FCC. Cette agence sera le moteur d’une nouvelle approche procédurale et sera plus efficace dans le combat contre la fraude, la corruption, le blanchiment d’argent et les crimes financiers.

À mon humble avis, il n’y a pas de grands ou de petits cas. Tous les cas doivent être élucidés de la même façon. Mais avec l’avènement prochain de la National Crime Agency, la priorité des priorités sera de recruter et de doter cette agence de personnel qualifié et d’enquêteurs formés, et aussi de l’équiper des derniers outils et technologies en termes de logiciels. Il faut avancer sur deux fronts. Les affaires systémiques nécessitent du temps et des ressources spécialisées. Mais en parallèle, traiter rapidement les dossiers les plus simples permet d’obtenir des résultats visibles à court terme et de maintenir la confiance du public. Ce modèle « à deux vitesses » est pragmatique et équilibré.

Aux Casernes centrales, les arrestations s’enchaînent autour du Reward Money. Comment en est-on arrivé là ?
J’avais soulevé toute cette affaire de Reward Money au Parlement en 2020 et l’opacité entourant ce système s’est perpétuée, le stratagème s’étant bonifié à partir de 2021 avec l’arrivée de l’ex-commissaire de police (CP) Anil Kumar Dip à la tête de la force policière. Le mécanisme du Reward Money a été dévoyé. Conçu pour encourager les dénonciations, le Reward Money s’est transformé en outil de dérives, faute de garde-fous. Tout système d’incitation financière doit reposer sur la traçabilité, la séparation des rôles et un contrôle indépendant. En l’absence de ces piliers, les abus étaient inévitables.

Des dizaines de millions de roupies des fonds publics ont été versées aux whistleblowers et aux policiers mais, selon la FCC, le gros volume de cet argent de gratification aurait été détourné par des hauts gradés de la police et l’enquête n’est pas finie. Explications…
Si ces détournements sont confirmés, il s’agira d’un manquement institutionnel grave. Et d’un scandale d’une ampleur sans précédent, qui éclabousse l’image et la réputation de la force policière. La réponse doit être double : d’abord, aller jusqu’au bout de l’enquête et sanctionner sans considération de statut ; ensuite, réformer le mécanisme lui-même. Cela passe par un registre national des paiements, un plafond légal et une publication annuelle anonymisée. C’est ainsi que d’autres pays du Commonwealth ont sécurisé des dispositifs similaires.

Le Deputy CEO du Défi Media Group, Nawaz Noorbux, a déclaré sur Radio Plus, dans une émission-débat, qu’il reste encore des résidus de la Special Striking Team (SST) aux Casernes. S’il en est ainsi, faudrait-il un bon coup de balai ? Partagez-vous son analyse ?
Oui, je partage son analyse. Le Premier ministre s’est exprimé à ce sujet aussi. Ce qui importe, c’est que toute unité spécialisée agisse dans un cadre légal clair. Si des éléments subsistent sans base réglementaire, il faut procéder à un assainissement. Mais, au-delà du « coup de balai », la solution réside dans des audits indépendants, la transparence des chaînes de commandement et la reddition des comptes. C’est cela qui restaure la confiance. Il faut redorer l’image de la force policière. Redonner confiance à la population dans notre force policière, composée de femmes et d’hommes compétents qui travaillent honnêtement et qui œuvrent dur pour que notre patrie soit protégée. Il faut au contraire améliorer les conditions de travail des policiers. Il faut leur fournir les meilleurs équipements et une formation continue.

On pointe du doigt la SST qui plante, arrose et récolte de l’argent facile à ses propres fins à travers le Reward Money et de « faux dénonciateurs », selon des juristes. En mettant fin au Reward Money, cela ne ferait-il pas le jeu des narco-trafiquants ?
Non, à condition de remplacer le système actuel par un mécanisme modernisé. Dans plusieurs pays, des récompenses existent encore, mais elles sont strictement conditionnées : plafonds, contrôles externes et validations croisées. Il ne s’agit pas de supprimer l’outil, mais de l’assainir pour protéger les vrais lanceurs d’alerte tout en évitant les dérives.

Attaquons-nous à l’arrestation du journaliste Narain Jasodanand. Le vice-Premier ministre et le commissaire de police disent qu’ils n’étaient pas au courant. Or, le CP n’a pas encore initié une enquête interne pour savoir qui sont les responsables, ses subalternes, pour avoir demandé un ordre de la cour pour la fouille. Est-ce normal qu’il n’y ait pas encore de sanctions ?
Il y a une enquête en cours et un rapport sur tout cet événement condamnable devrait être remis au Premier ministre. Comme celui-ci l’a clairement fait ressortir, ceux qui ont agi contre l’intérêt du pays et qui, par leur acte, ont porté atteinte à notre État de droit devront payer les conséquences de leurs actes qui ont terni l’image du pays. L’arrestation d’un journaliste concerne directement la liberté d’expression, protégée par la Constitution. Une enquête interne devrait immédiatement établir qui a pris la décision et si elle était légale. C’est pour éviter ces dérives que je plaide pour l’introduction d’une loi comme le Police and Criminal Evidence Bill (PACE) à Maurice, qui encadrerait la garde à vue, les interrogatoires et la collecte des preuves, et pour revoir cette pratique consistant à loger des charges provisoires. J’appelle aussi à l’abolition de la diffamation criminelle : les litiges de réputation doivent relever du civil et non du pénal. Je demande aussi d’amender l’Information and Communication Technologies Act (ICTA), surtout la section 46, qui constitue une menace pour la liberté d’expression et d’opinion.

Il faut aussi prendre en considération le jugement Axcel Chenney v/s CP concernant les garde-fous pour sauvegarder la liberté d’expression et pour permettre aux journalistes de préserver leurs sources et leurs équipements de travail.

Il y a un problème concernant nos institutions : manque de transparence, amateurisme au niveau du Board, pas de redevabilité, un laisser-aller. Comment en est-on arrivé à ce stade où le manque d’éthique serait monnaie courante, selon le consultant du Défi Media Group Jérôme Boulle sur Radio Plus mercredi ?
Nous en sommes là parce qu’une culture de l’opacité a longtemps prévalu. Il faut changer de paradigme. Cela passe par une Freedom of Information Act robuste, des obligations de reddition de comptes pour les Boards et la vérification effective des déclarations d’intérêt et de patrimoine. Quand la donnée est ouverte et les responsabilités claires, l’éthique cesse d’être un vœu pieux pour devenir un standard.

Concernant certaines nominations à des postes-clés, pensez-vous qu’il faudrait en finir avec le retour en grâce d’ex-ministres privés de tickets et qui, semblant intouchables, sont nommés ? Ou faudrait-il donner la chance aux jeunes professionnels, mais en faisant un strict screening de leurs compétences en matière d’éthique et d’intégrité, en veillant à ce qu’ils aient à cœur l’intérêt du pays avant leurs poches et leurs accointances politiques ?
La réponse, c’est la méritocratie. Les nominations doivent être guidées par les compétences et l’intégrité, pas par des considérations politiques. Je défends la création d’un Appointments Committee indépendant, qui examinerait les candidatures sur des critères publics et objectifs. Ce système permettrait aux jeunes professionnels d’accéder à des postes de responsabilité tout en valorisant l’expérience, mais uniquement sur la base du mérite.

Toute société dispose de garde-fous pour éviter les dérapages comme celui des Casernes centrales, avec l’ex-CP aujourd’hui incarcéré dans l’affaire du Reward Money. Peut-on encore les réinstaurer, et si oui, comment ?
Oui. Les garde-fous existent à travers la loi et les contrôles. C’est pourquoi je plaide pour l’adoption d’un Police and Criminal Evidence Bill (PACE), qui fixerait des règles claires sur les procédures d’enquête. Il faut également instaurer un mécanisme d’inspection indépendante des services d’enquête et renforcer les audits réguliers. C’est par ce cadre juridique que l’on évitera les abus. Dans un État de droit comme le nôtre, les checks and balances sont la norme, pas l’exception. Donc il faut approfondir cet État de droit. Justement, la mise sur pied de cette Constitutional Review Commission s’adressera à toutes ces thématiques, en passant par des propositions pour moderniser notre Constitution et, ce faisant, approfondir la démocratie.

Venons-en au problème à la Banque de Maurice (BoM). Serait-ce un conflit de personnalités entre Rama Sithanen et Gérard Sanspeur, chacun voulant protéger sa chapelle en termes d’idées et de politique monétaire, ou est-ce que le Gouverneur sortant voulait se la jouer en solo et ne pas travailler en équipe ?
Laissez-moi avant tout saluer la nomination de Priscilla Muthoora-Takoor comme la première femme Gouverneure de notre Banque centrale et de Ramsamy Chinniah comme Second Deputy Governor. Les deux sont des professionnels respectés et je suis sûr qu’ils feront honneur à leurs postes respectifs. Je salue cette décision du Premier ministre qui a placé la méritocratie comme critère primordial pour diriger notre Banque centrale. Je reconnais la compétence et l’expérience du Second Deputy Governor, car il connaît les rouages de la Banque centrale, fort de son expérience et de son professionnalisme. Mme Muthoora-Takoor, quant à elle, de par son parcours éloquent, tant sur le plan académique que professionnel, apportera cette bouffée de nouveauté dont nous avons tant besoin au sein de nos institutions de prestige.

Cela dit, dans une Banque centrale, des débats d’orientation sont normaux. Le problème survient lorsqu’ils deviennent personnels. La solution, c’est une gouvernance plus collégiale et plus transparente : publication des justifications de décisions, règles claires sur les mandats et responsabilité collective du Board. C’est ainsi que l’on évite la personnalisation des politiques monétaires.

L’avocat Parvez Dookhy estime que le fils de Rama Sithanen a plombé son père à cause d’un enregistrement qui ne fait pas honneur et qui a forcé le PM à demander la tête de son ex-ministre des Finances. Cette situation aurait-il pu être évité ?
Cet épisode appartient au passé. La Banque centrale se tourne vers l’avenir avec des professionnels à sa tête. Une nouvelle ère s’ouvre pour restaurer la réputation de cette institution. Je ne souhaite pas commenter une affaire qui concerne des personnes en particulier et il y a des enquêtes de la police et de la FCC en cours. Laissons les institutions faire leur travail. Ce que je peux dire, c’est que de tels épisodes soulignent l’importance d’une culture d’éthique et de responsabilité dans la vie publique. Les comportements individuels, les conflits d’intérêt et même la sphère privée peuvent avoir un impact politique. C’est pourquoi il faut renforcer les chartes de conduite, la vigilance dans la gestion des responsabilités et une gouvernance transparente. Ce n’est pas une question de personnes, mais de règles qui permettent de protéger nos institutions de ce type de crise.

Il y a eu des Assises du Travail et de l’Emploi et le ministre Reza Uteem a annoncé d’importants amendements pour l’embauche de travailleurs étrangers. Ces mains venues d’ailleurs seraient-elles si importantes pour le bien de notre économie ?
Oui, la main-d’œuvre étrangère est nécessaire dans certains secteurs, mais dans un cadre strict. Il faut des quotas sectoriels, des transferts de compétences obligatoires et un suivi rigoureux des conditions de travail. L’objectif est de répondre aux besoins économiques immédiats sans marginaliser nos jeunes, ni fragiliser le marché du travail local. Le débat autour de l’introduction de la semaine de 40 heures pour les services non essentiels est souhaitable et je salue le courage et les initiatives du ministre du Travail et de l’Emploi, Reza Uteem, qui fait du bon travail comme ministre de tutelle. L’objectif fixé est d’atteindre le plein emploi dans les cinq années à venir, ce qui reste réaliste, et d’améliorer les conditions de travail des Mauriciens et des travailleurs étrangers. Ceux-ci doivent être encouragés en venant de l’avant avec des amendements à des lois existantes. Pour le secteur agricole, par exemple, si l’on veut atteindre l’autosuffisance et produire et manger local, avoir recours à de la main-d’œuvre étrangère reste une priorité.

Votre collègue Richard Duval est au Tourisme et l’on constate que le personnel étranger dans nos hôtels n’a pas le même sourire, le même accueil, la même chaleur humaine, la même approche qu’ont toujours eue nos Mauriciens en service. Se dirigerait-on vers un service « robotique », sans âme, sans flamme, qui fut notre « joker » jusqu’ici ?
Notre force dans le tourisme repose sur un élément unique : la qualité de l’accueil et la chaleur humaine typique de l’hospitalité mauricienne. C’est cela qui a fait la réputation de Maurice. C’est une richesse qu’il faut préserver. Le secteur fait appel à des compétences diverses, locales comme étrangères, mais l’essentiel est que tout le personnel formé dans nos hôtels, quelle que soit son origine, intègre cette dimension culturelle et humaine propre à notre île. L’avenir de notre tourisme dépend de notre capacité à garder cette authenticité tout en répondant aux besoins d’un marché en pleine évolution.

Le All Inclusive Package tuerait-il notre secteur touristique ? Si oui, que devrions-nous faire pour renverser cette tendance vis-à-vis des Maldives et des Seychelles, nos deux principaux concurrents dans ce secteur ?
Le « All Inclusive » est aujourd’hui une réalité dans la plupart des grandes destinations et il répond à une demande précise des voyageurs. À Maurice, il ne faut pas l’opposer à d’autres modèles, mais chercher le bon équilibre. L’important est de continuer à diversifier notre offre avec des expériences culturelles, écologiques, gastronomiques et sportives qui complètent ce format. De cette manière, nous pouvons répondre aux attentes de différents profils de visiteurs et renforcer l’attractivité globale de notre destination.

La réforme de la Basic Retirement Pension (BRP) fait toujours des vagues. Serait-ce une erreur de parcours ou alors était-ce nécessaire et inévitable, comme l’a affirmé le ministre de tutelle Ashok Subron, mercredi, tout en admettant que c'est une décision difficile ?
Je me suis déjà exprimé sur ce sujet et je le répète, le débat autour de la réforme des pensions reste d’actualité et j’attends la mise en place du comité d’experts indépendants qui consultera certainement la société civile et prendra en considération les inquiétudes et appréhensions de la population. Cela dit, on doit aussi suivre l’évolution des différentes actions en justice. Toute réforme, tout en prenant en considération la soutenabilité du système face au vieillissement de la population, doit aussi aller de pair avec la nécessité de protéger les plus vulnérables et de reconnaître les carrières longues et pénibles. Ce qui importe aussi, c’est que les règles soient claires, compréhensibles et prévisibles pour tous les citoyens, afin que chacun sache à quoi s’attendre. Une réforme sociale n’est acceptable que si elle conjugue justice et soutenabilité dans un cadre transparent. J’ai pris position aux côtés des femmes au foyer et des travailleurs manuels, entre autres, qui atteignent l’âge de 60 ans, et il faut continuer à améliorer leurs conditions de vie et les doter de plus de facilités pour les accompagner davantage.

 

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