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Marché des changes - pénurie et cherté des devises : la situation s’aggrave de plus en plus 

  • Rama Sithanen évoque un « crime financier » et du « corporate greed » 
  • La BoM introduira des « guidelines » pour réguler le « forward market » 

Obtenir du dollar, de l’euro ou d’autres devises est devenu un véritable casse-tête à la fois pour les particuliers et les entreprises. Pis encore, les transactions en forex se font essentiellement sur le « forward rate », ce qui fait qu’elles coûtent plus cher. Depuis quand dure cette situation ? 
Pourquoi ? Et comment y remédier ? Le point ! 

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La situation et les causes

Le manque de devises 

Depuis le début de l’année, la machine est grippée et une pénurie de devises étrangères persiste, constate Cédric Béguier, Head of Investment Strategy – Capital Markets chez AXYS. « Plusieurs Asset Managers indépendants semblent avoir du mal à répondre aux demandes de change de nos clients via les banques commerciales et un marché secondaire semble prendre forme via des sociétés locales ou étrangères qui assurent la liquidité à des coûts bien plus onéreux que celui du marché », observe-t-il. 

De son côté, Alexandre Sanchini, Chief Executive Officer de Blue Ship Capital, souligne que le manque de devises sur le marché mauricien est une réalité depuis plusieurs années déjà. L’approvisionnement en devises est très restreint, soutient-il. « Concrètement, si vous demandez à votre banque ou agent de change d’échanger vos roupies contre d’autres devises, en particulier le dollar ou l’euro, cela n’est pas possible, ou alors en très faible quantité », affirme-t-il. La priorité, poursuit-il, sera accordée à ceux dont les besoins sont prioritaires, par exemple, pour des raisons médicales, pour des études, pour importation de produits de première nécessité. « Si c’est pour un investissement, des vacances, un achat qui n’est pas indispensable, les chances d’obtenir des devises sont très faibles », ajoute-t-il. 

Rama Sithanen, ancien ministre des Finances, a, d’ailleurs, tiré la sonnette d’alarme sur la situation des devises sur les ondes de Radio Plus. Il déplore un abus du « forward rate ». Le « forward rate » est un contrat à terme sur les transactions sur les instruments financiers, notamment les devises. Le principe est le suivant : on passe un ordre auprès d’un établissement de crédit (une banque) pour l’achat ou la vente de devises. C’est au bout d’une certaine période définie dans le contrat à terme (par exemple, après une semaine) que l’ordre est exécuté. « Le « forward rate » a été réduit par les banques sur un à trois jours. Ce qui se passe c’est que, par exemple, le prix du dollar est affiché à Rs 47, mais avec le « forward rate », on l’achète à Rs 49 en un court laps de temps. Jamais on n’a vu une chose pareille. C’est inacceptable ! », explique l’ancien ministre des Finances.

Pénurie et cherté des devises

Le paradoxe 

C’est un fait ! Le temps de la pandémie où les devises entraient à peine dans le pays est révolu. D’ailleurs, le Gouverneur de la Banque de Maurice parle d’un retour à la normale. Mais, si les devises entrent dans le pays à travers le tourisme et les exportations, comment expliquer qu’il y a un manque sur le marché ? Pour Alexandre Sanchini, il y a deux raisons possibles. « C’est la Banque de Maurice qui contrôle la quantité de devises qui est allouée aux particuliers et entreprises qui les demandent, et la BoM limite énormément ces montants. Il n’est pas facile de savoir pourquoi exactement, mon avis est que cela sert principalement à reconstruire leurs réserves qui avaient beaucoup diminué depuis la Covid-19 », soutient Alexandre Sanchini. Deuxièmement, poursuit-il, les opérateurs qui reçoivent les devises (hôteliers, exportateurs, etc.) « les conservent précieusement alors qu’ils avaient tendance à les échanger contre des roupies immédiatement par le passé, quand il n’y avait pas de pénurie ». Pour Alexandre Sanchini, la pénurie est due à la Banque de Maurice. « Les opérateurs agissent comme tel en conséquence de cette posture », estime-t-il.


LES CONSÉQUENCES POUR…

… les consommateurs 

Le consommateur se retrouve malgré lui au centre de la pénurie de devises et du glissement de la roupie. Car, au final, c’est lui qui paie le prix fort à travers l’inflation. « Dans une économie essentiellement importatrice comme Maurice, la dévaluation de la roupie est très pénalisante pour le consommateur, puisque c’est lui qui subit l’inflation importée. C’est une sorte de taxe très injuste parce qu’elle touche durement les ménages qui utilisent l’essentiel de leurs revenus pour des dépenses de consommation », indique Alexandre Sanchini. Outre les consommateurs, les importateurs, étudiants et investisseurs sont eux aussi pénalisés par le manque de devises sur le marché.

… les importateurs 

Yusuf Sambon, directeur de Lolo Hypermarket : « Nos fournisseurs nous prennent pour des mauvais payeurs »  

« L’importante pénurie de devises nous affecte. J’ai besoin d’une somme importante en dollars pour payer des équipements (caisses, étagères, etc.) importés de l’Afrique du Sud car on fait des travaux de rénovation dans notre hypermarché. Or, on n’arrive pas à avoir des devises. J’ai dû avoir recours au « forward rate ». J’aurais ainsi une partie des devises la semaine prochaine, mais à un taux plus élevé. Au final, je perds au change, mais je n’ai pas le choix », déplore Yusuf Sambon, directeur de Lolo Hypermarket. Pour ce qui est des produits alimentaires, l’importateur dit avoir des commandes qui attendent à l’étranger, mais il n’obtient pas les devises nécessaires pour les payer. « Depuis janvier, on fait face à cette situation, mais là, la situation s’aggrave. Des fournisseurs nous envoient les produits, mais nous n’avons pas de dollars pour les payer. Nous passons pour des mauvais payeurs. C’est notre image, mais aussi celle du pays, qui prend un sale coup auprès des fournisseurs qui nous vendent des aliments », se désole Yusuf Sambon. 

Mohammad Iqbal Hoosseny, directeur de l’Épicerie de l’Est : « Nous commençons à avoir des ennuis avec nos fournisseurs » 

Mohammad Iqbal Hoosseny, directeur de l’Épicerie de l’Est (Best Foods Enterprise), ne cache pas son inquiétude. « Nous n’avons pas la quantité de devises dont nous avons besoin. Il nous faut faire la queue, comme on dit. Cette situation perdure depuis plusieurs mois, mais devient plus grave. Les transferts d’argent restent en suspens. Nous commençons à avoir des ennuis avec nos fournisseurs. Ils ne veulent plus nous livrer. Ils pensent que nous ne voulons pas payer alors que ce sont les banques qui ne nous accordent pas de devises. Bref, nous n’avons pas de devises, les taux sont plus élevés quand nous pouvons en obtenir et nous perdons notre réputation auprès des fournisseurs », résume notre interlocuteur.

Pénurie et cherté des devises

Le manque de devises et son effet sur la roupie  

Alexandre Sanchini, soutient que la relation de cause à effet n’est pas aussi simple qu’elle n’en a l’air. « Une preuve étant qu’un tel manque de devises à Maurice aurait dû se traduire par une dévaluation beaucoup plus franche de la roupie. Les taux de change sont eux aussi pilotés par la Banque de Maurice, pour éviter tout mouvement trop brusque. La roupie est une monnaie structurellement en baisse, ce qui est tout à fait souhaitable pour un pays en voie de développement comme Maurice, parce que ça permet d’être compétitif sur les exportations (y compris l’hôtellerie), de réguler l’inflation, de gérer la dette, de faciliter la croissance… », affirme Alexandre Sanchini. Il fait ressortir que la roupie se déprécie sur une moyenne de très long terme de 3 % à 4 % par an contre le dollar. « Et ces dernières années ont été tout à fait classiques », est-il d’avis.

Ce que recommande… 

Alexandre Sanchini, Chief Executive Officer de Blue Ship Capital : « La dévaluation de la roupie a toujours été très progressive, et, pour cela, il faut reconnaître le bon travail de la Banque de Maurice. Il y a énormément de pays qui ont eu de très fortes dévaluations de leurs devises récemment (Turquie, Argentine, de nombreux pays en Afrique), qui sont à chaque fois catastrophiques… La dévaluation de la roupie est souhaitable, à un rythme faible et régulier, pour accompagner la croissance de Maurice. Et le mandat de la Banque centrale est plutôt bien rempli de ce point de vue-là. Par contre, Il serait préférable que les devises soient disponibles plus facilement pour les opérateurs privés et les particuliers ».

  • LDMG

 

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