Les amendements apportés à l’Independent Broadcasting Authority (IBA) Act ont créé la polémique parmi les opérateurs de radios privées. Me Ashok Radhakissoon, ancien Chairman de l’IBA, Me Antoine Domingue (Senior Counsel), ex-président par intérim de la défunte Mauritius Telecommunications Authority, Me Dev Ramano et Rajen Narsinghen, Senior Lecturer du département de droit à l’université de Maurice, jettent un œil critique sur les dispositions de l’IBA (Amendment) Bill.
Recours au juge en référé
Parmi les multiples interrogations de Me Ashok Radhakissoon sur certaines dispositions de l’IBA (Amendment) Bill figure celle portant sur l’article 18 A. Celui-ci prévoit un recours à un juge des référés en vue de contraindre un journaliste qui refuse de fournir au régulateur certaines informations.
« Pourquoi le législateur a besoin de cette option ? Avant elle n’existait pas. Maintenant cela peut poser un problème au journaliste dans sa recherche d’informations. La source ne se sent plus protégée. Cela devient alors une entrave au fonctionnement du journaliste. Car il a le devoir de protéger ses sources en vertu de son code de déontologie. C’est un principe connu ici et partout ailleurs », explique l’avocat.
Me Antoine Domingue (Senior Counsel), avocat de Top FM, se demande, pour sa part, pourquoi l’article 18 A fait référence à une personne et non de l’opérateur de la radio. « Pourquoi le terme ‘person’ et non ‘licensee’ ? Cela ferait toute la différence et rassurerait le commun des mortels qui ne détiennent pas de licence et qui ne sont donc pas susceptibles d’être régulés », fait-il ressortir.
Il ajoute qu’à son sens, cette disposition est clairement « ad hominem ». « Elle vise Top Fm spécifiquement de par son refus de révéler des documents confidentiels au régulateur que par la suite les autorités ont tenté d’obtenir par le biais de la Mauritius Revenue Authority (MRA) », explique-t-il.
Me Ashok Radhakissoon confirme que dans le passé, des informations ont été demandées aux radios privées et qu’il a lui-même assisté à des enquêtes de police lors desquelles on a demandé à un journaliste de divulguer ses sources. « Lorsqu’il a refusé, les policiers ont reconnu ce principe de confidentialité. On ne peut pas forcer le journaliste à révéler ses sources. Avec les amendements, l’IBA fera une demande au juge en référé pour accéder à certaines informations en possession du journaliste. Ce dernier ne saura pas sur quelle base cette information est recherchée car la demande de l’IBA sera faite en son absence, selon le principe de l’ex parte », explique Me Ashok Radhakissoon.
C’est justement ce que réprouve Me Dev Ramano. Il trouve très grave que le droit à la confidentialité soit enlevé. Une demande à un juge des référés peut forcer la divulgation des sources. L’autorité peut exiger des journalistes de dévoiler leurs sources et de remettre des données, des documents et des enregistrements.
Pour l’avocat, les « whistleblowers » hésiteront à dénoncer toute maldonne au sein des institutions, la pratique arbitraire et illicite du pouvoir ainsi que tout acte de corruption. « Le citoyen aussi aura peur de dénoncer et de divulguer des informations. Les journalistes n’ont pas leur mot à dire », déplore Me Dev Ramano. Pour lui, il est clair et net que cette loi vise à permettre aux autorités de s’en prendre aux personnes qui dénoncent et critiquent.
Après avoir décortiqué l’article 18 A, Rajen Narsinghen note que cet article donne le pouvoir au directeur de l’IBA de faire une demande au juge des référés pour obtenir un ordre qui somme un journaliste de divulguer un document. « Les demandes auprès du juge des référés sont faites en l’absence de la partie visée. Ce qui risque d’emmener un juge à se prononcer uniquement sur la base de l’affidavit présenté par l’IBA. Le journaliste ne pourra pas défendre sa position », souligne le Senior Lecturer.
Il estime lui aussi que ces amendements décourageront les whistleblowers à donner des informations. « En Europe, comme à Maurice, les journalistes ont toujours protégé leurs sources. Cette loi fait peur aux journalistes et aux personnes », dit-il, en insistant sur la dangerosité de ces amendements, surtout l’article 18.
Quid de la Freedom of Information Act ?
Le métier de journaliste serait-il mieux avec une Freedom of Information Act ? « C’est évident. D’ailleurs, quand j’étais le bâtonnier en exercice, j’avais participé à un atelier de travail avec les journalistes, sous l’égide de l’ambassade américaine. Tout le monde était alors d’accord qu’un tel projet de loi serait très contraignant pour l’administration qui devrait s’adapter. Mais on estimait aussi que cela agrandirait considérablement la transparence et l’espace démocratique à Maurice », avance Me Antoine Domingue, Senior Counsel.
Pour Me Ashok Radhakissoon, s’il y avait une Freedom of Information Act, cela aurait établi la procédure pour avoir accès à une information précise. « Pas seulement pour un journaliste mais aussi pour le grand public », explique l’homme de loi.
Enter l’Independent Broadcasting Review Panel
Il est aussi proposé avec cette loi la création d’un Independent Broadcasting Review Panel, en remplaçant l’ancien mécanisme : le Complaints Committee. « Tout d’abord, je ne vois aucune raison valable de se défaire de ce comité qui a depuis vingt ans bien joué son rôle sous la présidence de Me Gilbert Ithier, Senior Counsel. Je ne vois pas pourquoi on devrait le remplacer », martèle Me Antoine Domingue, Senior Counsel.
De plus, dit-il, on s’interroge beaucoup en ce moment sur la question de savoir pourquoi le président de l’Independent Broadcasting Review Panel pourrait être limogé pour « breach of trust ». C’est une épée de Damoclès de plus au-dessus de la tête du titulaire. Quid de l’indépendance de cette nouvelle institution ?
Pour Me Ashok Radhakissoon, c’est un tribunal dont se dote l’IBA. Un panel qui aura un avocat pour président et qui sera épaulé par deux assesseurs. Le président sera nommé par le ministre. À la clé, le panel pourra infliger des amendes.
« C’est un acte de répression. Déjà que le droit de la licence des radios privées a doublé, ces amendes peuvent peser lourd dans la balance à la fin du jour. On met en péril des emplois avec ce type de procédé », fait ressortir l’ancien Chairman de l’IBA.
Me Dev Ramano affirme qu’il agira comme un tribunal. « Ils disent que le panel sera indépendant. Si tel est le cas, ce ne sera pas une mauvaise chose. Ainsi, les personnes se sentant lésées pourront défendre leur cas devant le panel. Si on n’est pas satisfait de la décision du panel, on peut toujours avoir recours à la Cour suprême pour une révision judiciaire », affirme l’homme de loi. « Cependant, nous avons déjà à Maurice des instances judiciaires auxquelles les citoyens peuvent avoir recours s’ils estiment qu’ils ont été diffamés », prévient l’avocat.
Procédures viciées
Le problème est que le président du Review Panel et ses assesseurs seront nommés par le ministre concerné et seront donc des nominés politiques. Le panel aurait à agir sur une panoplie de procédures « viciées » et de provisions légales arbitraires. Me Dev Ramano estime que ce sera grave pour la démocratie.
Selon lui, avant de venir avec ces amendements, une consultation populaire avec les parties concernées, en l’occurrence les radios privées et les citoyens, était nécessaire. Pour lui, la façon de procéder est hautement antidémocratique.
Rajen Narsinghen note que le Chairperson et les deux autres membres du conseil d’administration du panel seront nommés par le ministre concerné. « Nous avons vu comment certains avocats sont inféodés à des partis politiques. Avec de telles nominations, ce sera encore plus de nominés politiques », déclare-t-il.
Il met l’accent sur le rapport de l’avocat et spécialiste en droits des médias Geoffrey Robertson. Celui-ci avait préconisé que la responsabilité de nommer les membres des instances régulatrices soit confiée à un organisme indépendant, comme la Judicial and Legal Service Commission. Le Senior Lecturer fait ressortir qu’il faudra dorénavant passer par ce panel pour contester une sanction par l’IBA devant le tribunal.
« Avant, on pouvait saisir la Cour suprême à travers une demande d’injonction ou encore une révision judiciaire pour contester une sanction. Maintenant, c’est une façon subtile d’usurper les pouvoirs du système judiciaire. Le temps que mettra la procédure devant ce panel n’a pas été défini. Ce qui risque de peser lourd dans la balance pour une radio qui doit attendre longtemps avant d’obtenir justice », constate Rajen Narsinghen. Le plus grave, poursuit-il, est que le projet de loi stipule que le Review Panel n’aura pas à se plier aux Rules of Evidence. « C’est du jamais vu. Une telle mesure est impensable », lâche-t-il.
Un exercice de muselage des médias"
Atteinte à la liberté d’expression
Selon Me Dev Ramano, le gouvernement devient plus autoritaire et son objectif est d’avoir plus de contrôle sur les citoyens. Il cite d’autres lois similaires, notamment la COVID-19 (Miscellaneous provision) 2020 et la Quarantine Act 2020 et le Code pénal, entre autres. « Ce sont des lois imposées à un moment où le citoyen est acculé, pétrifié de peur et bouleversé par la situation stressante de la pandémie », souligne l’homme de loi.
Il est catégorique : les amendements à l’IBA Act n’ont rien de bon. Pour lui, ils portent atteinte à la liberté d’expression et à la démocratie. Ils constituent, dit-il, une entrave au droit à l’information. Pour l’avocat, c’est une attaque aux droits fondamentaux inscrits dans notre Constitution, dont celui à la liberté d’expression. « C’est un exercice de muselage de la presse et des médias qui opèrent dans le domaine de la radiodiffusion. »
Même son de cloche du côté de Rajen Narsinghen. Il explique que l’IBA Act, au même titre que la COVID-19 Act, la Quarantine Act, la Computer Misuse Act et la Workers’ Rights Act, « bafoue les droits fondamentaux, constitutionnels et humains tout en portant atteinte à la démocratie ».
« Comme d’autres avocats, je ne dis pas qu’il ne faut pas revoir la loi. Mais le timing est mauvais. Il y a une pandémie sans précédent et le peuple a peur », ajoute le Senior Lecturer. À son humble avis, « le gouvernement aurait dû élaborer des stratégies pour la santé et les préoccupations économiques. Il n’aurait pas dû choisir ce moment pour bafouer les droits fondamentaux ».
Pénalités administratives
Me Dev Ramano est d’avis que les pénalités administratives et la nouvelle durée des permis des radios privées sont arbitraires. À titre d’exemple, la pénalité maximale de Rs 100 000 passe à Rs 500 000. Concernant les peines d’emprisonnement, elle passe de deux ans à cinq ans. La durée du permis passe à un an.
Il constate également que cette loi préconise de tenir compte des conduites passées des opérateurs au moment de renouveler leur permis. Pour Me Dev Ramano, c’est tragique. « C’est un coup massue pour les radios privées », martèle l’homme de loi.
De son côté, Rajen Narsinghen évoque qu’une pénalité d’un tel montant peut être extrêmement dangereuse. « Surtout en cette période difficile où les médias sont dans le rouge, en raison de faibles revenus publicitaires. Trois amendes de ce montant peuvent signifier la mise à mort d’une radio », révèle-t-il.
Me Dev Ramano juge également arbitraire et inquiétant l’article 22 (4) qui stipule ceci : « The authority may, notwithstanding any pending judicial process, take into account any sanction imposed by it on a licensee, for the purpose of determining whether or not to renew a license. » L’avocat explique que même si une sanction est contestée devant un tribunal, l’autorité s’arroge le droit de prendre en considération cette action dans le processus de renouvellement du permis du titulaire.
Durée de licence réduite
Un autre aspect de ce projet de loi vise à réduire la durée de validité de la licence d’une radio de trois ans à un an. Que pensent les légistes de cette démarche ? Pour Me Antoine Domingue, Senior Counsel, « il est évident que la politique du pouvoir en place est de tenir toutes les radios commerciales privées ‘under a tighter leash’. Tandis que sous le gouvernement Mouvement socialiste militant (MSM) / Mouvement militant mauricien (MMM), c’était tout à fait l’inverse qu’on souhaitait alors ».
Quant à Me Ashok Radhakissoon, il estime que l’objectif derrière est « de pénaliser une radio en particulier et de museler les autres radios privées ». Quel investisseur s’intéressera à une radio avec une licence d’une durée d’un an ? se demande l’ancien Chairman de l’IBA.
Rajen Narsinghen ajoute que cette loi est « taillée sur mesure ». « Certaines radios devront renouveler leur permis dans les semaines ou mois à venir. La loi vient expressément réduire la validité de trois ans à un an », indique-t-il.
Ce que dit l’article 18A (1)
Lorsqu’une personne refuse de témoigner, de communiquer ou de produire un dossier, un document ou un article pour des motifs de confidentialité, le directeur peut demander au juge des référés un ordre enjoignant à cette personne de divulguer les preuves requises, de communiquer ou produire tout enregistrement, document ou article, nécessaire à l’IBA dans l’exercice de ses pouvoirs de régulateur.
Ce que dit l’article 22 (4)
L’IBA peut tenir compte de toute sanction qu’elle a déjà imposée à un titulaire de licence de radio afin de déterminer s’il faut ou non renouveler son permis, cela nonobstant toute procédure judiciaire.
Les pénalités
La pénalité sous l’actuelle loi est de Rs 100 000 qui passe à Rs 500 000 sous l’éventuelle loi. Concernant les peines d’emprisonnement, elle passe de deux ans à cinq ans.
Supérieur à la Cour ?
Autre article décrié : le 22. Il concerne une demande de renouvellement de la licence d’une radio privée. Avec les amendements, l’IBA pourra tenir compte du passé de l’opérateur de la radio avant de considérer la demande.
« Si elle voit que l’opérateur a déjà plusieurs sanctions à son actif, elle pourra décider de ne pas renouveler sa licence. Avant, quand l’opérateur interjetait appel des sanctions devant la Cour suprême, il fallait normalement attendre la décision de justice. Or, ces amendements permettront au régulateur de passer outre cette étape en sanctionnant l’opérateur. L’IBA s’octroiera ainsi des droits qui seront plus que ceux accordés à la Cour suprême », estime Me Ashok Radhakissoon.
Cela ne mettra-t-il pas en péril le fonctionnement des radios privées ? « Les nouvelles clauses 22(4), (5) et (6) doivent être lues conjointement. Elles sont, de mon point de vue, ad hominem, car l’IBA a Top FM dans le viseur », réplique Me Antoine Domingue.
Les recours
De quels recours disposent les radios privées qui souhaitent contester ces amendements ? Me Dev Ramano est d’avis que la constitutionnalité de cette loi peut être contestée. Premièrement, on peut avoir recours à l’article 17 de la Constitution : Supreme Court (Constitutional Relief) Rules 2000 GN 105 dans un délai de trois mois suivant sa promulgation.
Deuxièmement, s’il y a un cas devant une cour de justice, la personne qui fait l’objet d’une accusation peut évoquer la constitutionnalité de cette loi. Le troisième recours : une manifestation dans la rue. Cependant, avec les restrictions sanitaires, la voix du peuple est muselée.
Pour Me Antoine Domingue, Senior Counsel, cela peut se faire à travers une demande devant la Cour suprême pour un redressement constitutionnel sous l’article 17 de notre Constitution. Quant à Me Ashok Radhakissoon, il explique que toute personne insatisfaite de la décision de l’Independent Broadcasting Review Panel, dispose d’un recours à une révision judiciaire devant la Cour suprême.
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