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Leçons d’enseignants engagés

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  • À l’ère de l’IA et de la pression scolaire, ils réinventent leur mission

En ce 5 octobre, Journée mondiale des enseignants, dont le thème est « Ensemble pour les enseignant·e·s. Ensemble pour demain », plongeons dans les témoignages croisés d’acteurs de l’éducation mauricienne, unis par une même passion : transmettre.

Sunita Harpal, vingt ans à croire en eux

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L’enseignante de l’école Sir Veerasamy Ringadoo plaide pour une réduction de la pression liée aux examens.

Le matin commence toujours pareil. Sunita Harpal accueille ses élèves avec un sourire, quelques plaisanteries, ce petit rituel qui dit : vous êtes en sécurité ici. La date au tableau, le jour, la météo, une courte lecture pour démarrer en douceur. Vingt ans qu’elle répète ces gestes, vingt ans qu’elle les réinvente. À la Sir Veerasamy Ringadoo Government School, l’institutrice a fait de sa classe un refuge où l’on apprend aussi à exister.

« C’est avant tout mon amour pour les enfants et mon profond désir de contribuer à leur épanouissement qui m’ont guidée vers ce métier », confie-t-elle. Enfant déjà, elle jouait à la maîtresse, corrigeait des cahiers imaginaires, expliquait des choses à ses petits cousins. Mais c’est lors de son premier stage dans une école primaire que tout s’est cristallisé.

« J’ai compris que c’était ma véritable vocation : voir les enfants s’émerveiller en apprenant, les accompagner dans leurs progrès, leur transmettre non seulement des connaissances, mais aussi des valeurs comme le respect, l’entraide et la curiosité. » Elle ajoute, comme une évidence : « C’est un métier porteur de sens. »

Vingt ans plus tard, qu’est-ce qui la fait tenir ? « Ce qui me pousse à continuer dans l’enseignement, même dans les moments difficiles, ce sont avant tout les élèves. Lorsque je vois leurs yeux s’illuminer parce qu’ils ont compris quelque chose, lorsque j’entends leurs questions pleines de curiosité, je sens que nous avons un véritable impact sur leur vie. »

Elle évoque avec une tendresse non feinte ces anciens élèves qui reviennent la voir, devenus adultes, pour lui dire qu’elle les a aidés à croire en eux. Ces rencontres-là valent tous les discours sur la mission de l’école. Elles disent ce que l’institution oublie parfois : qu’un enfant se construit autant par les regards bienveillants que par les savoirs transmis.

L’art de maintenir l’attention

Une journée dans sa classe ressemble à une partition bien réglée. Après l’accueil, les apprentissages fondamentaux : lecture, écriture, mathématiques. Sunita Harpal varie les approches pour maintenir l’attention des élèves, favorise le travail en petits groupes. L’après-midi est plus calme, avec des moments d’expression libre. « L’école, c’est aussi apprendre à vivre ensemble, à devenir autonome et à croire en soi », précise-t-elle.

Sa méthode ? « Je m’efforce de créer une ambiance où chacun se sent en sécurité. » Elle diversifie les méthodes pédagogiques pour que l’apprentissage reste vivant : jeux, projets, outils numériques, activités pratiques.

Mais surtout, elle donne du sens. « J’essaie aussi de donner du sens à ce que nous faisons. Quand l’élève comprend l’utilité de ce qu’il apprend, il s’implique davantage. Et quand les élèves se sentent concernés, la motivation vient naturellement. » Une évidence pédagogique que le système, dans sa course aux résultats, oublie trop souvent.

Car c’est bien là que le bât blesse. Si Sunita Harpal pouvait changer une chose dans le système éducatif mauricien, ce serait de réduire la pression liée aux examens. « J’ai vu trop d’enfants découragés parce qu’ils n’ont pas réussi à entrer dans le moule d’un système trop axé sur la performance et la compétition. Les évaluations sont nécessaires, mais elles ne devraient pas définir l’avenir d’un enfant. »

À ceux qui envisagent de devenir enseignants, elle adresse un message sans fard : « C’est un métier exigeant, mais profondément humain et porteur de sens. Ce n’est pas seulement transmettre des savoirs, c’est accompagner les enfants dans leur développement, jour après jour, les aider à croire en eux et à construire leurs rêves. Il faut de la patience, de l’énergie, et surtout beaucoup de cœur. »

Puis elle évoque ce qui fait la récompense du métier : « Chaque sourire, chaque progrès, chaque élève qui lève la main avec confiance après des semaines de travail. » Des victoires minuscules, invisibles aux yeux des statistiques, mais qui constituent l’essence même de l’acte d’enseigner.

Et après vingt ans, elle le dit avec cette conviction qui ne se force pas : « Ce métier continue de me surprendre et de m’apprendre. Chaque enfant est unique, chaque journée est différente. On grandit avec eux. Si vous avez envie d’être inspiré, de construire l’avenir d’un enfant, alors lancez-vous. »

Hemlata Heereelall : le feu sacré de l’éducation

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Hemlata Heereelall compte 21 ans d’expérience dans l’enseignement.

Hemlata Heereelall, enseignante au Triolet SSS, porte l’éducation comme un héritage. « Mes parents étaient enseignants », confie-t-elle. Une tradition qui, loin d’être un poids, a sculpté sa vocation. « Ce sont eux qui m’ont appris à comprendre la psychologie des enfants et à m’exprimer en public sans crainte. » L’enseignement est chez elle une affaire de famille, un fil invisible qui relie ses deux sœurs et son époux.

Pour cette pédagogue aguerrie, le métier est « une découverte permanente ». Elle le vit comme un partage essentiel : celui de la connaissance, bien sûr, mais surtout celui qui permet de « voir [ses] élèves grandir en maturité ». Mais derrière la ferveur, la réalité du terrain impose son lot de défis.

« Tout n’est pas rose », admet-elle sans détour. L’enseignement est un parcours semé « de défis quotidiens ». Hemlata Heereelall insiste sur la dimension profondément humaine et sociale de son rôle. Loin de la seule instruction, il s’agit d’un engagement qui vise « l’épanouissement global de l’enfant, tout en l’aidant à forger son caractère et son identité ». Chaque élève, rappelle-t-elle, vient avec « sa propre réalité ».

Dans sa classe, l’échange est un rituel matinal. Chaque journée démarre par une conversation avec ses élèves. Elle « vérifie les présences », puis alterne savamment entre « explications, discussions et questionnements pour les encourager à s’exprimer ». Son combat personnel ? La littérature. « Je les pousse à lire », martèle-t-elle. On ne peut étudier « la langue de Molière sans savoir qui est Molière ».

Au-delà des notes, l’enseignante place la persévérance au cœur de son credo. « Dans la vie, on fait face à des difficultés, mais il faut persévérer. » Ce qu’elle valorise ? « Le comportement et le respect. » Son rôle est aussi d’insuffler la confiance, se référant à la sagesse d’Antoine de Saint-Exupéry : « L’homme se découvre quand il se mesure avec l’obstacle. »

La vague numérique

Avec vingt-et-un ans d’expérience, Hemlata Heereelall est une observatrice privilégiée de la transformation numérique de l’enseignement. La pandémie a donné une accélération aux outils numériques, mais elle pointe du doigt le « plus grand danger » : les réseaux sociaux. Une circulation incontrôlée d’informations où « les jeunes ignorent les lois ».

Aujourd’hui, c’est l’intelligence artificielle qui rebat les cartes. « On reçoit des devoirs parfaitement rédigés », concède la secrétaire de la Government Secondary School Teachers’ Union (GSSTU). Mais le professeur, insiste-t-elle, conserve une connaissance intime des « capacités réelles de ses élèves ». La technologie est un fait, mais elle ne saurait se substituer à la relation pédagogique.

Son message aux jeunes enseignants est un appel à la lucidité et à la résilience : « Il faut faire preuve de patience, de passion et de persévérance. » La mission dépasse largement le cadre de la classe, nécessitant de « jongler entre les responsabilités pédagogiques, les problèmes personnels, psychologiques et la pression institutionnelle ».

Hemlata Heereelall ne cache pas son espoir d’une évolution profonde. Elle souhaite que « la pression des examens et l’obsession académique » cèdent enfin la place à une éducation résolument tournée vers « la créativité, l’esprit critique et les compétences pratiques ». Un vœu simple pour une profession qui, malgré ses épreuves, reste pour elle un feu sacré.

La formule de deux pédagogues à la retraite

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Harrydeo Ramkishore (à g.) et Balmookoond Gopaul insistent tous deux sur l’importance de la transmission.

À 80 ans, Balmookoond Gopaul a gardé l’aisance professorale. Ancien enseignant de sociologie, il parle posément, avec cette gravité que donne l’expérience. Pour lui, le cœur de l’éducation se résume en une équation simple : parents et enseignants comme deux piliers indissociables. « Si cette synergie existe, les enfants pourront s’épanouir non seulement à l’école, mais aussi dans leur vie personnelle. »

Dans son discours affleure une exigence, presque une rigueur : un espace à soi pour travailler, un cadre paisible, une discipline bienveillante. Mais il y ajoute ce qui fait la différence : la motivation, « sous forme d’encouragement ». Aux parents de féliciter les efforts, aux enseignants d’attiser la curiosité. L’éducation, dit-il, est affaire de désir, de cet élan intérieur qu’il faut cultiver avec tact.

À l’heure où les écrans envahissent les pupitres, Balmookoond Gopaul ne tombe ni dans l’enthousiasme béat ni dans la méfiance aveugle. La technologie, selon lui, est une alliée autant qu’un défi. « Les élèves doivent apprendre à l’utiliser intelligemment, à développer leur esprit critique et à distinguer le vrai du faux. » Dans cette jungle d’informations, l’école doit redevenir un phare.

À quelques kilomètres de là, un autre retraité de l’enseignement, Harrydeo Ramkishore, convoque ses souvenirs. Lui a terminé sa carrière à l’Espérance Government School. Mais c’est à Terre-Rouge, en février 2020, qu’il a vécu son moment le plus marquant. Nommé « officer-in-charge » dans une école classée en Zone d’éducation prioritaire, il se retrouve face à des élèves rétifs, insolents, parfois ingérables. Il choisit alors une stratégie inattendue : le ballon rond. Deux fois par semaine, il joue avec eux sur le terrain de football.

Ce geste, apparemment anodin, a produit son effet : la confiance s’est installée, la barrière est tombée, et les cours ont fini par redevenir possibles. 

« Ils ont compris qu’il fallait suivre les classes. Peu à peu, ils se sont investis dans leurs études. »

La suite, pourtant, est moins heureuse. En mars 2020, une nouvelle liste de promotion au grade de maître d’école est publiée. Son nom n’y figure pas. Réaffecté dans une autre école, il s’en va, non sans passer saluer une dernière fois ses classes. Les adieux des élèves l’émeuvent encore aujourd’hui : « Misie, pa ale, res dan lekol mem. Nou pou swiv klas, ou pou mank nou… » Ces mots, arrachés à des enfants qu’on disait perdus, il les garde comme un trésor. « C’est le plus beau et le plus inoubliable moment de ma carrière. »

De cette vie d’enseignant, Harrydeo Ramkishore tire quelques certitudes : écouter, encourager et motiver, favoriser l’autonomie et l’apprentissage entre pairs, valoriser la lecture, mais aussi préserver l’équilibre entre études et détente. L’éducation, selon lui, est une affaire de justesse : savoir alterner fermeté et amitié, exigence et bienveillance.

Entre la sagesse du sociologue et l’humanité du maître d’école, un même credo résonne : transmettre.

Amal Gopaul : la ferveur discrète

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C’est un enseignant, du temps où il était élève au Royal College Curepipe, qui a donné à Amal Gopaul l’envie d’embrasser ce métier.

Dans les établissements scolaires mauriciens, le terme « métier » semble insuffisant. Il faut parler de mission. Au-delà des programmes, il y a la question du sens, surtout à l’heure où les écrans rebattent toutes les cartes.

Amal Gopaul, enseignant au Sir Abdool Rahman Osman State College, porte en lui cette flamme. L’appel a surgi dans une salle de classe, loin des réformes et des statistiques. « Je me souviens de ce moment au Royal College Curepipe », confie-t-il. « Un nouveau professeur est entré et a commencé à lire Le Grand Meaulnes avec nous. Ce fut un déclic. J’ai voulu faire comme lui, transmettre avec cette simplicité pleine de sens. C’est là que j’ai su que je serais enseignant. »

La transmission du savoir est une chose, l’inspiration en est une autre, fondamentale. « Notre rôle va au-delà des connaissances. Il s’agit d’enrichir l’élève en tant qu’être humain. C’est la pierre angulaire. Si un jeune enseignant parvient à insuffler une étincelle de curiosité, cette lumière accompagnera ses élèves toute leur vie. »

Face aux bouleversements actuels, numériques et technologiques, Amal Gopaul appelle à une mutation radicale de l’école. L’ennemi, souligne-t-il, n’est pas le numérique, mais l’obsolescence des méthodes. « Les modèles d’intelligence artificielle traitent les données à une vitesse fulgurante. Le vieux modèle, basé sur la mémorisation et la reproduction, est devenu caduc », analyse-t-il sans détour. Il en est convaincu : « L’information stockée dans la tête n’aura bientôt plus la même valeur. Les enseignants devront abandonner les anciennes méthodes. »

L’enjeu, désormais, n’est plus ce que l’on sait, mais comment on pense. Et c’est là, précisément, que la présence de l’enseignant redevient irremplaçable. L’école de demain saura-t-elle se défaire du poids de la mémoire pour former des esprits critiques ?

 

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