Le monde du travail fait actuellement face à une pénurie de main-d’œuvre. Remplir les postes vacants est loin d’être une gageure pour de multiples employeurs. Un paradoxe… D’un côté, un important nombre de Mauriciens sont sans emploi et de l’autre, la demande pour des travailleurs étrangers est en hausse.
Le peu d'interetérêt des jeunes pour les grandes surfaces
Ignace Lam, Chief Executive Officer d’Intermart, ne cache pas le fait que la situation n’est guère reluisante dans les supermarchés et hypermarchés de l’enseigne. Plusieurs postes sont vacants, notamment, caissières ou encore employés de rayon. Malheureusement, les jeunes ne sont pas intéressés à exercer ces métiers. « Face à cette situation, on doit s’adapter au nombre d’employés dont on dispose », explique notre interlocuteur. À plusieurs reprises, des jeunes ont été embauchés, mais ils ne font pas long feu. « Souvent, ils travaillent un mois et dès qu’ils touchent leur salaire, ils ne reviennent plus », souligne-t-il. Ignace Lam lance un appel au gouvernement pour qu’il revoie sa politique concernant le recrutement de la main-d'oeuvre étrangère, étant donné que la population mauricienne ne montre pas un réel intérêt pour travailler dans les grandes surfaces.
Véritable défi pour les PME
Maya Sewnauth, présidente de la SME Chambers, affirme aussi que c’est difficile de trouver de la main-d’œuvre sur le marché local. « Très souvent, il y a des personnes qui s’enregistrent auprès du ministère du Travail. Cependant, quand on prend contact avec elles quand il y a des postes vacants, elles ne montrent pas un réel intérêt. Il y a également celles qui viennent pendant quelques jours, mais qui finissent par s’en aller du jour au lendemain sans prévenir », déplore-t-elle.
Elle poursuit que c’est un vrai défi pour les petites et moyennes entreprises (PME) de trouver des candidats. « Les jeunes qui débutent leur carrière préfèrent trouver un emploi dans une société de renom, plutôt que de travailler pour le compte d’une PME. Ils viennent pour un ou deux mois pour acquérir de l’expérience afin d’augmenter leurs chances pour se faire embaucher, car les employeurs recherchent des postulants chevronnés », affirme notre interlocutrice.
Les PME postent des offres d’emploi sur les réseaux sociaux. « Les PME sont vraiment défavorisées, or elles doivent fonctionner. C’est pourquoi une grande majorité d’elles se tournent vers la main-d’œuvre étrangère, en particulier les Bangladeshis. », souligne-t-elle.
Toutefois, selon Maya Sewnauth, faire venir des travailleurs étrangers à Maurice coûte cher, sans oublier que les démarches sont longues et fastidieuses. procédures », plaide-t-elle.
Manque de reconnaissance
Bhooshan Ramloll, CEO de RBRB Construction Ltd, confirme que Maurice fait face à une pénurie de main-d’œuvre. « De nombreux Mauriciens délaissent ce secteur qui souffre d’un manque de reconnaissance. De plus, parfois il y a du travail et d’autres fois, pas. C’est aussi un métier dangereux, autant de facteurs qui démotivent », indique notre interlocuteur. Selon lui, « la nouvelle génération est arrivée à un autre stage et le gouvernement offre plusieurs facilités pour la requalification ».
Ces heures indues qui découragenet
Deepak Doolooa, gérant du restaurant Kesar spécialisé dans la cuisine indienne, ne va pas par quatre chemins. La situation actuelle est préoccupante. « Plus personne ne veut travailler dans la restauration à cause des heures indues, les week-ends et les jours fériés », affirme-t-il. Les Mauriciens, selon lui, ont plus de choix au niveau de l’emploi. « Ils plébiscitent les bateaux de croisière et les hôtels aux Seychelles ou à Dubai pour les salaires attrayants. Les jeunes peuvent travailler et découvrir le monde en même temps. Ils ont aussi l’opportunité de signer un contrat de six mois. Ensuite, ils prennent quelques mois sabbatiques avant de travailler à nouveau », explique notre interlocuteur.
Et quand, par miracle, le gérant arrive à embaucher des Mauriciens, ces derniers restent juste le temps d’acquérir de l’expérience. Par la suite, ils vont travailler dans des hôtels ou sur les bateaux de croisière. « Recruter des étrangers est envisageable, mais c’est compliqué », dit-il.
Pas de choix d'avoir recours aux étrangers
Pour Nasser Moraby, recruter la main-d’œuvre locale est « problématique ». Il affirme que les Mauriciens ne veulent pas travailler la nuit. « Sans les ouvriers étrangers, on ne pourra plus produire du pain », fait-il ressortir. Cependant, employer des travailleurs étrangers implique un coût, car il faut les loger, blanchir et nourrir. De surcroit, les démarches sont longues et coûteuses, sans oublier les problèmes. « Nous payons cher pour faire venir des travailleurs étrangers qui n’hésitent pas à se sauver, mais nous n’avons pas de choix », indique-t-il.
A quatre pour le travail de quatorze personnes
Jérôme Bellefroid est propriétaire d’Esprit Libre. Depuis six mois, il porte plusieurs casquettes : gérant, chef, comptable, réceptionniste, entre autres. Il n’en peut plus et avoue être exténué. « Je ne dors plus, je ne mange plus, je ne vis plus », confie-t-il. Une situation qui découle du manque d’intérêt des Mauriciens pour travailler dans le secteur. Réseaux sociaux, agences de recrutement, rien n’y fait. Les postes à pourvoir ne trouvent pas preneurs. « On a près de dix postes vacants. Actuellement, nous sommes à quatre à faire le travail de 14 personnes ! Pourtant, nous offrons plus que ce que préconise la loi », ajoute Jérôme Bellefroid.
« Les heures de travail sont de 45 par semaine, dépendant du shift. Un cuisinier touche entre Rs 20 000 à Rs 30 000 et une femme de ménage Rs 15 000. Les employés ont aussi droit à un bonus de présence et peuvent choisir leur jour de repos. Malgré tout, les postes restent vacants », indique-t-il.
Ravish Pothegadoo : «On est en train de s’européaniser»
Le fondateur et directeur de Talent On Tap, Ravish Pothegadoo confirme qu’il y a effectivement des secteurs qui peinent à trouver de la main-d’œuvre. Pour lui, avant de catégoriser le problème par secteurs, il est important d’étudier le comportement, les besoins et aspirations de la main-d’œuvre locale actuelle. « Ces mêmes personnes pourront faire le même job (hôtellerie, charcuterie, construction, ménage, etc.) en Europe, au Canada et aux Émirats arabes unis, mais pas à Maurice. Pourquoi ? À cause des salaires proposés dans ces pays. Donc, à priori, c’est davantage un problème de rémunération qu’autre chose », explique notre interlocuteur.
Selon lui, il y a également des facteurs adjacents. Il indique que ce n’est pas toujours rentable pour certaines personnes de travailler et de payer une garderie ou une babysitteuse, par exemple. La solution est de leur proposer de faire du télétravail ou plus de flexibilité, si possible.
« J’ai fait cette expérience lors d’un recrutement récent pour des postes de Chargé de clientèle avec comme conditions, le travail à domicile et le dernier shift terminant à minuit. Nous avons reçu plus de 200 candidatures, même si le dernier shift prenait fin à minuit. Nous aurions reçu moins de 10 candidatures pour un poste équivalent, mais basé dans un centre d’appels », met-il en exergue.
Ravish Pothegadoo avoue que les jeunes ne veulent pas travailler dans certains secteurs. « J’ai l’impression qu’on s’européanise. Dans les années 70/80, beaucoup de Mauriciens accouraient vers les opportunités, notamment dans le nursing en Europe ou le Canada, parce que les Européens ne souhaitaient pas forcément faire ce genre de travail », indique-t-il. De la même façon, 40 ans après, nous sommes en train d’avoir recours à la main-d’œuvre étrangère pour certains postes à Maurice, et ce, pour diverses raisons.
Comment pallier la crise de main-d’œuvre ?
Pour Ravish Pothegadoo, il est vital de faire comprendre aux jeunes qu’il faut bien commencer par quelque part, au lieu de rester les bras croisés. « Il faut faire disparaître les idées préconçues en leur expliquant qu’il n’y a pas de petit boulot et que chaque emploi doit être respecté et valorisé. Ce sont souvent des tremplins qui peuvent financer et compléter des études, entre autres, et permettre de grimper les échelons pour celui désireux de progresser dans la vie », indique-t-il.
Il affirme qu’il faut aussi distinguer les personnes qui veulent réellement travailler, mais qui n’ont pas les compétences requises. Un exemple serait une personne qui n’a aucun problème avec les horaires dans le BPO / centre d’appels, mais qui n’arrive malheureusement pas à communiquer en français et anglais. « Il faut recenser ces personnes-là, faire une sélection et leur offrir une formation en langues. À la fin, ils y arriveront. J’ai fait cette expérience dans un centre d’appels et cet employé y travaille toujours après six ans », préconise-t-il.
Il évoque aussi de meilleurs salaires. « Le patronat ne sera pas forcément heureux d’entendre cela, mais il est primordial de revoir la rémunération et proposer davantage de mesures incitatives pour le night shift et le week-end », estime notre interlocuteur. Ce dernier considère qu’il faut également peut-être revoir la définition de night shift dans le « Workers Rights Act ». Actuellement, le night shift (offrant une allocation supplémentaire de 15 % du taux horaire normal) est considéré à partir de 18h00, mais uniquement si le salarié travaille pendant cinq heures consécutives à partir de cette heure-là. « Une solution possible serait d’enlever la condition des cinq heures consécutives et attribuer simplement cette allocation de 15 % à partir de 18h00. Il faut que ce soit intéressant pour la personne qui travaille même jusqu’à 22h00, mais qui ne complète pas les cinq heures consécutives. D’ailleurs, les centres commerciaux restent ouverts jusqu’à 21h ou 22h par exemple) », indique-t-il.
En dernier lieu, Ravish Pothegadoo pense qu’à défaut de pouvoir résoudre les vrais problèmes, avoir recours aux travailleurs étrangers pour certains postes reste une option.
Secteurs en manque de main-d’oeuvre | Les raisons qui expliquent le manque d’intérêt de la main-d’œuvre locale |
Construction / usine | Image dans la société |
Hôtellerie | Horaires et jours de travail, incluant les dimanches |
Ventes (commerce / centres commerciaux / boulangerie, etc.) | Horaires et jours de travail, incluant les dimanches |
Aide-soignant / garde-malade | Horaires et le métier en soi peut décourager les moins solides psychologiquement |
Nalini Burn : « Il y a mismatch entre l’offre et la demande »
Selon la sociologue Nalini Burn, un grand nombre d’employeurs se plaignent du fait que les jeunes ne sont pas stables. « Devant cette situation, il faut se poser la question suivante : pourquoi n’arrive-t-on pas à recruter et retenir les jeunes ? Je pense qu’il existe une déconnexion entre les aspirations de la jeune génération et les postes disponibles sur le marché. C’est cela le mismatch entre l'offre et la demande l'», dit-elle. Ensuite, les jeunes qui habitent toujours chez leurs parents ont un soutien financier de ces derniers et, de ce fait, ne veulent pas travailler pour un salaire dérisoire. « Ce sont ceux qui ont absolument besoin d’un emploi pour survivre qui vont accepter n’importe quel travail », poursuit-elle.
Nalini Burn est d’avis que certains jeunes ne sont pas disposés à faire un travail quelconque pour ne pas entacher leur CV. Ils sont aussi conscients qu’ailleurs dans le monde, c’est la méritocratie qui prime, ce qui n’est pas toujours le cas ici. « Aujourd’hui, certaines personnes ne travaillent pas pour avoir une satisfaction intrinsèque ou faire un métier par passion. La plupart veulent avoir de l’argent pour dépenser, car nous vivons dans une société de consommation », conclut-elle.
Les secteurs prisés par les jeunes
Les jeunes sont majoritairement attirés par :
- Des emplois qui proposent des horaires de bureau.
- Des postes tels que comptables, dans l’administration, réceptionniste (hors hôtellerie, logistique).
- Des emplois au sein des BPO / des centres d’appels, mais sélectifs sur les postes où ils ne travailleront que pendant les jours de semaine.
Source : Statistics Mauritius
Le profil des chômeurs au troisième trimestre de 2022 était :
- Les 42 800 chômeurs comprenaient 20 200 hommes (47 %) et 22 600 femmes (53 %).
- Environ 26 600 (62 %) des chômeurs étaient célibataires ; hommes (83 %) et femmes (44 %).
- Environ 24 300 (57 %) des chômeurs n'avaient pas le Cambridge School Certificate (SC) ou l’équivalent. Parmi eux, 2 500 n'avaient pas réussi le Primary School Achievement Certificate (PSAC) / Certificate of Primary Education (CPE) ou équivalent.
- Environ 30 700 (72 %) cherchaient du travail depuis un an au maximum.
- Quelque 17 300 (40 %) cherchaient un emploi pour la première fois.
- Environ 12 900 (30 %) étaient inscrits au Centre d'Information du Service de l'Emploi.
- Approximativement 5 900, soit 14 % des chômeurs, étaient des chefs de famille.
- Environ 10 900 (25 %) vivaient dans des ménages sans emploi.
- À peu près 15 400, soit environ 36 % des chômeurs, étaient âgés de 16 à 24 ans.
- Il y avait 9 800 (23 %) jeunes âgés de 16 à 24 ans, célibataires et à la recherche d'un premier emploi. Quelque 5 400 possédaient une qualification inférieure à SC.
Source : Statistics Mauritius
Davantage de jeunes chômeurs
- Le taux de chômage au troisième trimestre de 2022 est estimé à 7,5 %, contre 8,1 % au deuxième trimestre de 2022 et un taux de 9,5 % au troisième trimestre de 2021.
- Le nombre de personnes considérées comme inactives est estimé à 443 300 au troisième trimestre de 2022 contre 451 500 au deuxième trimestre de 2022 et 484 200 au troisième trimestre de 2021.
Bon à savoir
- Maurice accueille les travailleurs étrangers en provenance principalement du Bangladesh, du Népal, de l’Inde et de Madagascar.
- Il faut au minimum RS 50 000 pour faire venir un travailleur étranger à Maurice (Rs 15 000 à Rs 20 000 pour les procédures plus entre Rs 35 000 à Rs 40 000 pour le billet d’avion)
- L’employeur doit s’acquitter aussi des frais pour le logement, les facilités utilitaires, la nourriture et les frais liés à la maladie du travailleur.
- Les autres secteurs concernés par cette crise sont : l’industrie sucrière, l’offshore et le BPO.
Notre service WhatsApp. Vous êtes témoins d`un événement d`actualité ou d`une scène insolite? Envoyez-nous vos photos ou vidéos sur le 5 259 82 00 !