Les Moustass Leaks refont surface. Dix nouvelles vidéos ont été publiées sur YouTube ce jeudi, portant cette fois sur l’affaire de « sniffing » du trafic internet, entre autres. Ces vidéos diffusent des enregistrements téléphoniques où l’on entendrait des voix attribuées à des hommes de loi, deux enquêteurs du CCID, un ministre, un conseiller au Bureau du Premier ministre, et un haut fonctionnaire, entre autres. Ces nouveaux épisodes laissent supposer des tentatives pour incriminer Sherry Singh, l’ex-CEO de Mauritius Telecom, ou encore manipuler des témoins dans l’affaire de « sniffing ». Nous reviendrons avec la version des faits des différents protagonistes cités dans cette affaire.
Mais d'abord, intéressons-nous à l’affaire de « sniffing ». C’est Sherry Singh qui avait utilisé ce terme lors d’une interview à Radio Plus le 1er juillet 2022, au lendemain de sa démission du poste de CEO de Mauritius Telecom « en raison de divergences » avec le Premier ministre, Pravind Jugnauth. Lors de cet entretien, Sherry Singh avait formulé des allégations de « sniffing » (contrôle du trafic internet) contre Pravind Jugnauth, affirmant que le Premier ministre souhaitait qu’une « third party » installe des équipements pour « sniffer » le trafic internet du pays.
Qu’est-ce que le « sniffing » ?
Le « sniffing » du trafic internet, ou « data capture », peut être comparé à quelqu’un qui écoute en cachette une conversation privée. Imaginez que vous envoyez un message secret à un ami et que quelqu’un parvienne à lire ce message sans que vous vous en rendiez compte. En informatique, le « sniffing » consiste à intercepter, lire ou écouter des informations privées grâce à un programme spécifique.
Mais attention : le « sniffing » n'est pas une machine qui écoute toutes les conversations de tout le monde, en continu. C’est techniquement impossible, car cela exigerait bien trop de ressources pour surveiller chaque message ou chaque donnée circulant sur internet. Toutefois, il est possible d’utiliser des outils pour cibler et intercepter seulement certaines conversations ou informations spécifiques.
Allégations de «sniffing » : le PM révèle qu’il y avait un problème de sécurité nationale
«Totalement fausses». C’est ainsi que le Premier ministre avait qualifié les allégations de «sniffing» du trafic Internet portées contre lui par l’ex-CEO de Mauritius Telecom, Sherry Singh. Pravind Jugnauth, qui s’était adressé à la nation le 27 juillet 2022, avait révélé qu’il y avait un problème de sécurité nationale, plus précisément sur notre réseau de communication. Raison pour laquelle il avait sollicité l’aide des experts indiens pour mener un «survey» à la Landing Station de Baie-du-Jacotet.
«En tant que Premier ministre, je ne suis pas censé parler sur des sujets ayant trait à la sécurité nationale. Mais, je me suis retrouvé dans l’obligation de le faire à la suite des actions calculées, délibérées et irresponsables de certaines personnes qui devront assumer leurs responsabilités dans cette affaire à l’avenir. En tant que Premier ministre et ministre de l’Intérieur, je suis le responsable de la sécurité nationale du pays. L’année dernière, mon bureau a obtenu certaines informations sur la sécurité de notre réseau de communication», affirme Pravind Jugnauth.
Cette situation, poursuit-il, l’avait amené à donner des instructions pour mener un «survey» indépendant par des techniciens spécialisés.
«Il y a eu des échanges entre mon bureau et l’ex-CEO de Mauritius Telecom. En avril dernier, une équipe technique indienne, accompagnée de techniciens de MT, a mené un survey à Baie-du-Jacotet. Cette équipe technique indienne a été recommandée par le gouvernement indien à travers notre National Security Advisor», affirme le chef du gouvernement.
«Pour résumer, il y avait un problème de sécurité nationale. Raison pour laquelle j’ai sollicité l’aide des techniciens indiens. Franchement vous dire, j’ai honte aujourd’hui quand j’entends des allégations selon lesquelles l’Inde a eu accès à notre réseau pour voir les e-mails, écouter les appels et fouiller dans vos comptes bancaires. Ils traînent notre pays dans la boue et ternissent notre image et nos relations avec d’autres pays. Leurs allégations sont sans fondement. J’ai de tout temps respecté nos institutions et notre démocratie qui nous permet de vivre dans la tranquillité, la sécurité et la stabilité. Raison pour laquelle j'ai fourni des informations à la police. Je rassure tout le monde que toutes ces accusations sont totalement fausses», avait déclaré le Premier ministre.
Commission d’enquête
Le Conseil des ministres, réuni le vendredi 25 octobre, sous la présidence du Premier ministre Pravind Jugnauth, a donné son aval pour la mise sur pied d’une commission d’enquête sur l’affaire des fuites de conversations téléphoniques diffusées sur les réseaux sociaux, connues sous le nom de « Moustass Leaks » à Maurice. Cette commission sera présidée par un ancien juge de la Cour suprême et sera assistée de deux experts étrangers.
« Cabinet has agreed to arrangements being made, in accordance with the provisions of the Commissions of Inquiry Act, for the setting up of a Commission of Inquiry to inquire into and report on a matter of public interest namely the alleged misuse of telecommunications infrastructure and the recent publications and/or broadcast of alleged telephone conversations on social media and other platforms. The Commission of Inquiry will be chaired by a former Judge and will have two foreign experts as Assessors », peut-on lire dans le résumé des décisions prises par le Conseil des ministres ce vendredi.
Moustass Leaks : Bhagwan et Jhugroo croisent le fer
Dans l’émission Soirée de Campagne, animée par Nawaz Noorbux mercredi soir, il a été question des fameux « Moustass Leaks ». Le candidat de l'Alliance Lepep, Mahen Jhugroo, affirme que la vérité se saura bientôt. De son côté, Rajesh Bhagwan, candidat de l'Alliance du Changement, estime que le gouvernement sortant devra rendre des comptes.
« Concernant les phone tappings, qui ne sait pas qui est “moustass” dans le pays ? Dir Missie Moustass napa trakacer. La vérité pou dehor bientôt », avertit Mahen Jhugroo, avant de lancer : « pa kit péi aler. »
Le candidat de l'Alliance Lepep soutient que plusieurs questions nécessitent des réponses : « Qui a donné l’ordre d’enregistrer ? Qui a fait les enregistrements ? Qui a manipulé ? Qui a comploté et dans quel intérêt ? Où est l’appareil ? », énumère l'ex-ambassadeur.
Mahen Jhugroo affirme que l’Alliance Lepep s’engage, une fois au pouvoir, à amender la loi. « Les coupables devront payer sous le Prevention of Terrorism Act (POTA) », souligne-t-il, ajoutant qu'une commission d’enquête a été initiée et qu’il faut « la laisser faire son travail ».
À la question de savoir si le Commissaire de Police, Anil Kumar Dip, aurait dû step down, il répond que c’est au Premier ministre de décider. « Kan li trouv pa corek, li pran decision tout de suite », lance Mahen Jhugroo.
En tant qu’ancien ambassadeur de Maurice aux États-Unis, a-t-il sollicité le FBI ? Mahen Jhugroo répond par la négative à cette question de Nawaz Noorbux, ajoutant toutefois que l'Alliance du Changement doit des explications sur les Rs 220 millions retrouvées dans le coffre-fort de Navin Ramgoolam.
Quant à Rajesh Bhagwan, candidat de l'Alliance du Changement, il se dit « choqué » par les Moustass Leaks et confirme que c’est bien sa voix dans l’une des bandes sonores. « Pravind Jugnauth p galop en desord. La vérité pe dehor. Kan écoute Joomaye, le chef des transfuges ki diriz ene paket compagnie, pe koz ek bofrer premye minis, ca mem coz la kwizin. La population est terrorisée », souligne-t-il.
Il ajoute que ce n’est pas pour rien que l’évêché a publié un communiqué sur l’affaire de la Vierge Marie. Rajesh Bhagwan mentionne également que Xavier-Luc Duval, partenaire de l'Alliance Lepep, a émis un communiqué car « la population chrétienne est en colère ».
Rajesh Bhagwan déplore que la population n’apprécie pas qu’on touche à sa liberté. « Depi longtan pe craz population, pe écoute population. Pe craz media ek IBA et ICTA. Il y a l’internet, des jeunes internautes sont arrêtés. Pe fair dominair, pe met sarz provisoir », fustige le candidat de l'Alliance du Changement.
Selon lui, face à tout ce que l’on entend, « c’est ene lot coulou dans zot cercueil » (faisant allusion à l'Alliance Lepep). « Aujourd’hui, la population veut connaître la vérité. Pa mett commission d’enket pou sauver en desord. Dans zot prop gouverneman ena zot prop dimoun p zour zot ek CP. CP fair boucou travay pou zot, pa capav met li dehor », met-il en avant.
Rajesh Bhagwan insiste sur le fait que la vérité doit être révélée, notamment en ce qui concerne l’utilisation de l’appareil. Il promet qu’une fois au pouvoir, l'Alliance du Changement veillera à ce que la vérité soit exposée. « Pa pou ena dominair mais bizin ran compte. Mem lor ban zafair ki ne arriver pendant COVID. PM préside ene comité mai pna procès-verbal. Bizin ran compte », tonne-t-il.
Ce que dit la loi
Seul un juge, saisi par la police, peut autoriser une mise sur écoute téléphonique. Cette autorisation, appelée « Judge’s order », n’est accordée qu’après un examen minutieux de la demande motivée par la police. Toute interception de communications sans cet ordre judiciaire est illégale. C’est ce que fait comprendre Me Taij Dabycharun, en réaction aux cas allégués de phone tapping et à la diffusion de bandes sonores sur les réseaux sociaux, dont Facebook.
Les différents articles de loi sur le « phone tapping »
• L’article 32(6) (a) de l’Information and Communication Technologies (ICT) Act 2001 stipule que seule la police est apte à effectuer une demande de « Judge’s order » visant à autoriser un opérateur public ou ses agents à intercepter, empêcher la communication et à révéler des informations provenant de l’utilisation des réseaux de télécommunications.
• L’article 32 (6) (b) de l’ICT Act 2001 stipule que le juge ne va pas émettre ce genre d’ordre automatiquement sur simple demande. L’application faite par la police doit satisfaire le juge que l’information requise (le phone tapping) soit connectée d’une façon matérielle à une affaire criminelle.
• Selon l’article 32(5), un opérateur peut aussi intercepter des messages qui soient indécents ou abusifs, ou même qui pourraient compromettre la sécurité nationale ou l’ordre public, tout en rapportant la chose à l’autorité concernée.
• L’article 46 (ga) de l’ICT Act : Toute personne utilisant un équipement de télécommunication ou autre pour envoyer, transmettre ou diffuser un message obscène, injurieux, trompeur, susceptible de provoquer ou de nuire à une personne commet un délit.
• L’article 46 (ha) de l’ICT Act : Toute personne qui utilise un moyen de télécommunication ou tout autre moyen pour usurper l’identité d’une autre personne susceptible de causer préjudice à celle-ci commet un délit.
• L’article 47 de l’ICT Act : Toute personne qui commet un délit en vertu de cette loi est passible d’une amende n’excédant pas Rs 1 000 000 et d’une peine de prison ne dépassant pas dix ans.
Sherry Singh : ses démêlés avec la police
Il faut savoir que l’ex-CEO de MT a eu des démêlés avec la police après sa démission. Il nie les faits qui lui sont reprochés.
D’abord, le 29 mai 2023, Sherry Singh et son épouse ont été placés en état d’arrestation après une perquisition de la Special Striking Team à leur domicile. L’enquête portait sur la saisie de 22 tonnes de cuivre d’une valeur de Rs 18 millions à la fonderie Tradeway International à La Tour Koenig le 10 avril dernier.
26 juillet 2023
Sherry Singh est arrêté, de nouveau, le mercredi 26 juillet 2023, cette fois-ci dans le cadre de l’enquête sur la destruction de données sur le serveur de Mauritius Telecom (MT) peu avant le départ de l’ex-Chief Executive Officer
30 janvier 2024
Le 30 janvier 2024, il est une nouvelle fois arrêté par la Police Headquarters Special Striking Team sous la direction du Surintendant Ashik Jagai, dans le cadre d'une enquête portant sur des malversations présumées entourant du matériel et des équipements des centres MUGA [Multi use games area].
Les dangers du « sniffing » pour l’économie et les entreprises
Comme beaucoup, vous vous posez sans doute des questions sur les répercussions du « sniffing ». Nous avons recueilli l’avis d’un expert, Loganaden Velvindron, membre fondateur du groupe Cyberstorm et contributeur aux standards de cryptage TLS. « Permettre à une tierce partie de déchiffrer les données chez nous met en péril notre crédibilité en tant que centre financier et hub des TIC. Plusieurs entreprises font confiance à Maurice grâce à un système qui garantit la confidentialité et l’absence d’interception du trafic internet », avait-il déclaré à RadioPlus le 3 juillet 2022. Selon lui, plusieurs investisseurs préféreront se tourner vers des pays voisins où il n’existe pas ce risque de « sniffing » du trafic internet.
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