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Kevin Teeroovengadum, économiste : «Maurice est déjà entré en récession, la première de cette ampleur depuis plus de 38 ans»

L’économiste et expert en services financiers, Kevin Teeroovengadum, est catégorique : Maurice est d’ores et déjà en récession en cette période de confinement dû au Covid-19. Il intervenait dans l'émission « Au Coeur de l'Info », sur Radio Plus, animée par Nawaz Noorbux et Jugdish Joypaul, vendredi. 

Kevin Teeroovengadum a répondu aux questions de Nawaz Noorbux et de Jugdish Joypaul sur l'impact économique du confinement. En voici de larges extraits :

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Comment évaluez-vous à l’heure actuelle l’impact qu’aura le Covid-19 sur l’économie mauricienne ?

Le mot, c’est « sans précédent ». C’est-à-dire qu'il n’y a aucune comparaison avec ce que nous avons vécu ces dernières 30 années : ni la crise financière de 2008, ni celle de septembre 2001. On s’aperçoit que le monde entre en récession. Maurice, en tant que petit pays ouvert au marché global, entre dans sa première récession depuis plus de 38 ans.

Quelles seront les conséquences directes de cette crise sanitaire sur Maurice ? D’abord, en termes d’emplois, est-ce que nous pouvons nous attendre à des licenciements massifs ?

C’est la première fois que beaucoup de secteurs de l’économie sont à l’arrêt en même temps. Dans le tourisme par exemple, cela fait trois semaines que tous les hôtels ont arrêté de travailler. Ce secteur rapporte entre 23 % et 24 % du PIB (Produit Intérieur Brut) et emploie environ 80 000 personnes. Le secteur textile est sous pression, car il n’y a pas de nouvelles commandes. Les marchés en Europe sont en crise. Quand nous sortirons de cette période de confinement, les commandes seront bien moindres que l’année dernière ou l’année d’avant. Tous les secteurs sont incroyablement sous pression et aujourd’hui c’est un problème car les gens ne peuvent pas sortir pour aller travailler. Pendant le confinement qui, potentiellement, durera jusqu’à mi-mai, beaucoup d’entreprises n'opèrent pas. Pas uniquement dans le tourisme et le textile, mais aussi dans les transports et en tant que Petites et Moyennes Entreprises (PME). Il y aura un choix à faire. Soit les entreprises devront licencier des employés pour peut-être les ré-embaucher dans trois à six mois, soit on préserve l’emploi mais avec des salaires minimums vitaux. 

Est-ce que l’État et le gouvernement doivent faire plus ? En Angleterre par exemple, l’État paie jusqu’à 80 % des salaires, voire 100 % dans certains cas. Est-ce qu’ici l’État doit subventionner les salaires ?

Nous sommes dans un cas de force majeure sans précédent. L’État doit supporter les salaires pour s'assurer que les gens puissent subvenir à leurs besoins de base. À l’étranger, c’est ce qui se passe. À Maurice aussi l’État va devoir le faire. Mais les caisses sont presque vides. L’État va devoir emprunter de l’argent pour s'assurer que l’économie et le secteur financier ne s’effondrent pas. Il faut, par exemple, instaurer un salaire minimum de Rs 20 000 et un maximum de Rs 50 000.

L’ancien ministre des Finances, Xavier-Luc Duval, dit que Maurice a un PIB de Rs 500 milliards et que l’État devra débourser au moins Rs 50 milliards pour aider les entreprises. Votre avis ?

Il a dû se baser sur ce que d’autres pays prévoient, à savoir 10 % du PIB. Le problème, c’est que ce chiffre pourrait augmenter si le confinement se poursuit et selon les dégâts sur nos marchés européens car ce sont nos principaux marchés. Le Fonds Monétaire International (FMI) dit que l’Europe est en récession massive et parle même de dépression. Je ne serais pas étonné qu’on arrive à 25 % du PIB, soit plus du double du montant que Xavier-Luc Duval évoque.

Peut-on estimer l'« ampleur » de la récession ?

La récession n’est pas potentielle, on y est déjà depuis quelques semaines et ce sera la pire des 40 dernières années. En Europe, la contraction est à deux chiffres, jusqu’à -20 %, ce qui est énorme. Nous sommes extrêmement vulnérables car tous nos marchés dépendent d'eux. Je pense que nous allons la subir encore plus que nos marchés européens, soit encore 10 % de plus.

Est-ce que la crise économique peut déboucher sur une crise financière ?

Si on regarde ce qui s’est passé dans le monde avant, oui. C’est possible ici, où une contraction à deux chiffres peut contaminer le secteur financier. Nous devons avoir des solutions pour nous assurer qu’un maximum de personnes reste employées. La décroissance a des effets multiplicateurs, car quelqu’un qui perd son emploi arrête de consommer et cela impacte les commerces. Il faut arrêter l’hémorragie. Il faut aussi que les banques, dont les actionnaires sont à majorité Mauriciens, supportent les crédits du secteur privé, des PME et des particuliers. Elles doivent faire bien moins de profits pendant deux à trois ans pour soutenir tout le monde dans la crise. On peut minimiser le risque si on est tous solidaires. 

Dans le secteur touristique, vous siégez sur les conseils d’administration d’hôtels. Est-il vrai que la reprise n’interviendra pas avant 2021 ?

Nos marchés sont principalement européens. En France, le premier  d'entre eux, il est conseillé de ne pas voyager pour les prochaines vacances. Il sera donc très difficile de recommencer. Cette année sera nulle. L’année prochaine, quand cela reprendra, nous aurons un taux d’occupation de moins de 50 %. Il faudra deux à trois ans au minimum pour redémarrer, et peut-être quatre à cinq ans pour retrouver les chiffres de 2019. Il faut un plan d’action pour retrouver le niveau de 2019.

Retranscription : Patrice Donzelot

AUDIO : Plus de détails sur notre player plus haut

 

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