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Dans l’ombre des esprits : immersion dans le quotidien d’un groupe de chasseurs de fantômes

La parapsychologie, c’est l’étude scientifique des phénomènes qu’on ne peut pas expliquer par la psychologie classique. 

Ils sont seize, âgés de 27 à 35 ans. Seize jeunes venus d’horizons différents, mais animés par une même obsession : percer les mystères de l’invisible. Le jour, ils portent la casquette de comptable, d’ingénieur, d’infirmier, de fonctionnaire ou d’entrepreneur. La nuit tombée, ils deviennent traqueurs de spectres. Dans un pays où l’on craint encore le « qu’en-dira-t-on », ils préfèrent rester dans l’ombre, guidés par une seule certitude : certains phénomènes dépassent l’entendement.

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Une rencontre nocturne, loin des regards

Pas de badge, pas de logo, pas de page Facebook publique. Leurs rendez-vous se donnent à voix basse. Ce soir-là, le lieu de rassemblement est un sentier perdu. Un à un, ils arrivent, phares coupés, portières qui claquent à peine. Loin des regards, leur monde s’ouvre.

« On veille toujours à ne pas attirer l’attention, » souffle Kevin*, 35 ans, entrepreneur dans le BTP le jour, enquêteur de l’étrange une fois la nuit venue. « On attend que tout s’éteigne autour, puis on relit les doléances qu’on a reçues et on planifie nos prochaines interventions. »

Un rituel presque militaire. Car sous leurs airs ordinaires, ils vivent dans un monde parallèle, où la moindre erreur peut attirer moqueries ou soupçons. « Il y a beaucoup de confusion, » glisse Vicky*, 27 ans, le benjamin du groupe. « Certains nous voient comme des sorciers ou des ‘traiteurs’, mais on ne vend pas de potions, on n’invoque pas le diable », dit-il.

Ici, pas de spectacle. Pas d’incantations grotesques. Leur credo : écouter, documenter, rassurer. Et si possible, apporter un peu de réconfort à ceux qui disent vivre l’indicible.

Pendant un temps, ils avaient une page Facebook, vitrine éphémère de leur passion. Mais les moqueries, les insultes et le mépris ont eu raison de leur discrétion. « Des gens se moquaient et disaient qu’on était des charlatans ou des fous. On n’a pas besoin de publicité », tranche Kevin. Et derrière son calme, perce une conviction : ce qu’ils font ne regarde qu’eux… et ceux qui, la nuit venue, tendent encore l’oreille à ce que l’on ne voit pas.

  • Les prénoms ont été changés à la demande du groupe.

Une nuit d’enquête à Curepipe

L’une des dernières interventions du groupe s’est déroulée à Curepipe. Tout est parti d’un appel discret. Une femme, veuve depuis un an, vit seule depuis que ses enfants sont partis travailler à l’étranger. Elle a récemment rénové une pièce et s’y est installée : sa fenêtre donne sur une vieille maison inhabitée, envahie de broussailles.

« La cour est tellement négligée qu’on y trouve des détritus, même les chiens errants n’y restent pas », raconte Kevin. La dame dit entendre des bruits étranges chaque nuit : des pas, des sanglots. Un soir, elle a entendu des pleurs si nets qu’elle a pris peur. « Elle avait déjà demandé de l’aide, mais les gens lui disaient qu’elle imaginait tout. Par le bouche-à-oreille, elle a eu mon contact. »

Le groupe s’est mobilisé. Ils se sont retrouvés sur place avant minuit, garés discrètement dans leur van. « On s’est mis en veille », raconte Vicky. « On attend toujours. On écoute, on regarde. Puis, à l’approche de minuit, on a senti cette lourdeur. Et on a entendu des cris. »

Kevin reprend : « Deux de nos collègues ont un don pour communiquer avec les esprits. Mais ce soir-là, c’était compliqué. L’entité était récalcitrante. Elle refusait tout dialogue. »

Pour eux, la priorité est d’identifier la présence, d’essayer de comprendre : pourquoi reste-t-elle ? Pourquoi se manifeste-t-elle ?

« On n’a pas pu l’apaiser. On a conseillé à la dame de faire appel à un religieux. Il est venu le lendemain. Il a prié, utilisé de l’eau bénite et invoqué la présence divine. »

Le groupe insiste : tout est bénévole. « On ne facture rien, » dit Kevin. « Mais parfois, les gens insistent pour donner un peu d’argent, pour l’essence ou l’achat d’encens, d’herbes ou de sel béni. »

Un engagement discret mais réel

Ce petit groupe existe depuis cinq ans. En ce laps de temps, il a mené une quarantaine d’interventions — maisons abandonnées, terrains vagues, domiciles familiaux.

Selon leurs notes, environ 60 % des cas présentent des phénomènes qu’ils jugent vraiment « paranormaux » : bruits inexpliqués, déplacements d’objets, changements soudains de température, entre autres. « Beaucoup de signalements concernent des maisons abandonnées dénoncées comme hantées par les voisins, » détaille Kevin. « Mais il y a aussi des cas de défunts qui semblent revenir dans leur maison après leur mort. »

Ils se veulent lucides : « Parfois, c’est l’imagination des gens. On ne veut pas les ridiculiser, mais on leur dit la vérité. Si on ne détecte rien, on ne va pas inventer. »

Pour mener leurs enquêtes, ils se forment : Kevin a suivi des cours de parapsychologie à distance, auprès d’une université américaine. Certains lisent beaucoup sur le sujet, participent à des forums spécialisés, échangent avec des chasseurs de fantômes d’autres pays. « On veut être sérieux, » dit Vicky. « On a même des contacts au Canada et aux États-Unis. Là-bas, c’est plus structuré », dit-il.

Des équipements pour capter l’invisible

Leur matériel ? Modeste mais efficace. « On a un dictaphone très sensible pour enregistrer des bruits à basse fréquence, » précise Vishal*, un autre membre. « Une caméra infrarouge, une caméra thermique. Ça aide à documenter. » Ils montrent quelques vidéos sur un ordinateur : des pièces sombres, des bruits étranges, des variations de chaleur captées en direct. « On n’a pas les moyens des équipes de télévision. Mais ça suffit. »

La peur du regard des autres

Pourtant, malgré leur sérieux, le groupe tient à rester discret. « On craint pour nos emplois, » confie Kevin. « Je suis entrepreneur, et si mes clients apprenaient que je chasse des fantômes la nuit, ils pourraient me fuir ! » Même auprès de leurs proches, le chemin n’est pas simple. « Mes parents ne comprennent pas, » explique Vicky. « Ils me disent : ‘Laisse tomber ces bêtises, prie, et ça ira mieux.’ »

Ils se retrouvent au maximum deux fois par semaine, selon les disponibilités de chacun. « On a tous nos métiers, » rappelle Kevin. « Parfois, on termine tard, on est épuisés. Mais on s’organise. »

Une méthode structurée et respectueuse

Le groupe fonctionne comme une petite équipe d’intervention :

  • Une permanence téléphonique ou via WhatsApp (discrète).
  • Les signalements sont analysés : lieu, date, heure des phénomènes.
  • Une réunion nocturne pour planifier l’enquête.
  • Sur place, observation passive puis active.
  • Enregistrement audio et vidéo.
  • Tentative de communication avec l’entité.
  • Si besoin, orientation vers un prêtre, un imam ou un pandit.

« On n’exclut aucune religion », précisent-ils. « On respecte la foi des gens. L’important, c’est d’apaiser la personne qui souffre. »

« On ne peut ni confirmer ni exclure la présence de bruits étranges ou d’esprits »

Sarvesh Dosooye, psychologue, invite à la prudence face aux récits paranormaux. « Il est important de comprendre qu’on ne peut ni confirmer ni affirmer de façon scientifique la présence de bruits inexpliqués ou d’esprits. Souvent, notre esprit réagit à ce qu’on croit fermement », indique-t-il.

Selon lui, la perception humaine est malléable et influencée par les croyances, les attentes ou le contexte émotionnel. « Lorsqu’une personne croit dur comme fer à la présence d’un fantôme ou à un bruit surnaturel, son cerveau peut amplifier, interpréter ou même générer des perceptions qui confirment sa conviction », ajoute-t-il.

Il précise qu’il faut distinguer la réalité physique des phénomènes subjectifs : « Un bruit peut avoir une cause naturelle, notamment des animaux, du vent ou encore des structures qui craquent. Toutefois, si on est très attentif ou stressé, on peut lui prêter une signification inquiétante ».

Pour le psychologue, la prudence s’impose : « Ce n’est pas pour ridiculiser ces expériences. Elles sont très réelles pour ceux qui les vivent, mais cela ne prouve pas qu’un esprit est présent. Il faut rester ouvert, mais critique ». De plus, il insiste sur les limites : « La science ne peut ni tout expliquer ni tout nier. Il faut reconnaître nos limites. Il est essentiel de rester réceptif, mais aussi être rationnel, pour ne pas tomber dans la peur ou la superstition inutilement ».

Pour Sarvesh Dosooye, la meilleure approche reste l’équilibre : accueillir les témoignages avec respect, tout en essayant de comprendre les mécanismes psychologiques et les explications plausibles.

Quand la science s’en mêle : la parapsychologie

Kevin, fort de ses cours à distance, insiste : « On n’est pas des charlatans. On veut comprendre. La parapsychologie, c’est l’étude scientifique des phénomènes qu’on ne peut pas expliquer par la psychologie classique. »
Télépathie, clairaudience, fantômes : il existe des études, des revues académiques. « On essaye de se former. Il y a des techniques pour enregistrer des voix à basse fréquence qu’on n’entend pas à l’oreille. On apprend. »
Mais il reconnaît : « Il y a aussi des limites. Certains cas relèvent de la psychiatrie ou de la suggestion. On ne veut pas se substituer aux médecins. »

Des croyances populaires bien ancrées

À Maurice, la croyance aux maisons hantées est encore très présente. « Il y a toujours ces histoires anciennes, » souligne Kevin. « Les grands-parents avertissent souvent : ‘N’habitez pas là, il y a eu un suicide.’ » Certaines maisons restent abandonnées des années durant, envahies par les broussailles. « Même les promoteurs immobiliers peinent à les vendre. La méfiance des gens est réelle. »

Prières et cristaux

En parallèle de leurs enquêtes, les membres du groupe voient souvent les familles utiliser des protections traditionnelles. « Certains placent du tourmaline noir ou du sultamani à l’intérieur et à l’extérieur de la maison, » explique un passionné de minéralogie. « Le bois du roi de Madagascar est aussi réputé pour éloigner les mauvais esprits, mais il est rare et réglementé. »

De plus en plus de Mauriciens portent des bracelets ou pendentifs en cristal – non seulement comme décoration mais comme talisman. « Même dans la maison, on voit des cristaux ou des pierres placés dans des coins précis. »

Une passion sous contraintes

Le groupe aimerait s’engager davantage, mais le temps manque. « On a tous nos vies, » souffle Kevin. « Mais quand quelqu’un appelle, on fait ce qu’on peut. » Ils continuent à se former, à échanger avec d’autres enquêteurs à l’étranger. Et ils continueront à se réunir, la nuit, loin des regards. « On le fait pour aider. Pas pour la gloire. »

Le rôle des hommes religieux

Des hommes religieux sont régulièrement sollicités. « Les cérémonies peuvent coûter de Rs 5 000 à plus, » confie un prêtre. « Ça dépend du rituel. Parfois, il faut plusieurs jours. »

Témoignages

La maison de Plaine-Magnien

Jason* a fait appel au groupe il y a cinq ans. « J’avais acheté une maison à Plaine-Magnien. Avant, on louait à Mahébourg. Mes enfants avaient 12 et 14 ans. Ils n’arrivaient pas à dormir. Ma femme entendait des pas la nuit. »

Jason avoue avoir douté : « Je pensais que c’était le stress du déménagement. Mahébourg, c’était la mer, c’était vivant. Plaine Magnien, ce n’est pas pareil. »

Mais un soir, lui aussi a entendu des pas. « Là, j’ai pris peur. J’ai appelé un homme religieux qui est venu trois fois pour des prières. Il nous a dit de ne pas habiter la maison pendant un moment. Après ça, plus rien. »

Aujourd’hui, il conseille à tous : « Avant d’emménager, faites des prières. Même si on ne croit pas trop, c’est mieux. »

Un esprit familial ?

C’est l’histoire de Nathalie*. Elle raconte : « Mon beau-frère est mort dans un accident. Trois ans après, on entendait des bruits bizarres. On disait que c’était le vent. Mais un soir, un verre s’est renversé tout seul. Je me suis levée, j’avais la chair de poule. »

Elle a fait appel à un religieux : « Il a prié mais ça continuait. » Finalement, le groupe est intervenu : « Ils sont venus. Ils ont essayé de parler à l’esprit. Ils ont récité des prières. Depuis, je dors tranquille. »

 

 

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