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Kevin Teeroovengadum, économiste : «Il faudrait une vision économique cohérente à Maurice»

Dépréciation de la roupie, stagflation ou encore une politique d’effet d’annonce font que l’économie mauricienne débute l’année 2022 en mauvaise posture, selon Kevin Teeroovengadum. 

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L’économie mauricienne entame une nouvelle page avec le Nouvel An. Dans quel état aborde-t-elle cette année 2022 ?
Il faudra aborder l’année 2022 avec précaution pour plusieurs raisons. Les dernières prévisions économiques des autorités ou de la Banque centrale pour Maurice sont loin de ce qu’elles disaient à la fin de 2020. L’on parlait alors d’une croissance de 9 % pour 2021. Maurice a terminé 2021 avec un taux de croissance d’environ 4 %. Le pays fait face à une problématique de dépréciation de sa roupie et d’une période de stagflation, où l’inflation et le chômage sont hauts, tandis que la croissance est molle (après – 15 % enregistrée en 2020). Celle-ci est faible, nonobstant le fait que le gouvernement et la Banque de Maurice ont injecté beaucoup d’argent, dont Rs 60 milliards, ajoutées aux Rs 15 milliards décaissées par la Mauritius Investment Corporation (MIC). En termes d’investissement direct étranger (IDE), 2021 sera l’une des pires années. Sans compter le manque à gagner dans le tourisme et des secteurs comme le textile et le secteur financier qui, en contrepartie, ne génèrent pas suffisamment de croissance. Malheureusement, Maurice débute l’année 2022 avec des problèmes qui n’ont pas été résolus.  

Qu’est-ce qui peut expliquer cette situation économique ?
Ce qui manque à Maurice depuis plusieurs années, c’est une vision économique cohérente. Il en faudrait une. L’on parle d’autosuffisance alimentaire alors qu’un montant s’élevant à Rs 500 millions a été accordé comme subside à l’importation. Est-ce cohérent ? L’économie locale est non seulement essoufflée, mais en déclin. Elle ne se réinvente pas, d’où la constante glissade de la roupie mauricienne face aux principales monnaies étrangères. La réalité du bilan économique de Maurice est que ses exportations ne sont pas compétitives en dépit de la dépréciation de la roupie. La dette publique, qui s’élevait à 65 % du Produit Intérieur Brut (PIB) en 2019, a gonflé pour atteindre les 100%. Idem pour la dette externe qui a doublé. Le niveau du déficit budgétaire, de la balance des paiements et de la balance commerciale fait que la roupie mauricienne va continuer à glisser sur le temps.

La hausse du prix du litre d’essence et du diesel était inévitable en raison du problème structurel propre à Maurice qui est la dépréciation de sa roupie." 

La récente révision des prix du carburant à la hausse amplifiera-t-elle l’état de l’économie locale cette année ?
La hausse du prix du litre d’essence et du diesel était inévitable en raison du problème structurel propre à Maurice qui est la dépréciation de sa roupie. Lorsque le baril du pétrole à l’international se chiffrait à 110 dollars environ quelques années de cela, Maurice n’avait pas connu d’augmentation du prix du carburant, car à l’époque le dollar s’échangeait à Rs 28. La dépréciation devrait se poursuivre cette année. Un taux de 10 % de plus sur le prix du carburant influencera le pouvoir d’achat. Les Mauriciens vont continuer de s’appauvrir. La question c’est pourquoi avoir imposé une taxe de Rs 2 plus tôt en 2021 pour l’achat de vaccins, alors que plusieurs doses de Pfizer, Sinopharm ou AstraZeneca ont été obtenues gratuitement. Il semblerait que les caisses du gouvernement sont vides. Or, il faut souligner qu’à un moment ou un autre, le peuple ne pourra plus continuer de payer les taxes qui s’envolent.   

Cette absence de vision économique cohérente dont vous faites référence, est-elle inquiétante ?
Il est difficile aujourd’hui de trouver des facteurs qui vont nous tirer de ce marasme économique. Le PIB par tête d’habitant en dollars à Maurice a reculé de 10 ans. L’effet inflationniste est une réalité dont font face les Mauriciens pour qui les salaires n’ont pas été révisés à la hausse et qui doivent rembourser des prêts. Hormis l’augmentation des prix, la dépréciation de la roupie, il faut compter également la hausse du taux d’intérêt et la chute du pouvoir d’achat. Il est clair que la compensation salariale ne sera pas suffisante pour amortir les coûts cette année.   

Ceci dit, doit-on s’attendre à ce que l’endettement des entreprises ainsi que des ménages se poursuive l’an prochain ?
L’endettement des entreprises ainsi que celui des ménages vont se corser cette année. Les Mauriciens sont déjà très endettés. Selon Statistics Mauritius, 70 % des ménages peinaient l’an dernier à boucler les fins de mois. Cela donne une perspective pour 2022.   

Jusqu’à quand le prétexte de l’impact de la Covid-19 pourra-t-il être utilisé pour justifier la situation économique ? 
L’état de l’économie mauricienne n’est pas uniquement lié aux répercussions de la Covid-19. Maurice était dans le Top 10 des pires économies mondiales en termes de décroissance en 2020. En 2021, d’autres pays ont été en mesure d’enregistrer une croissance de six, voire sept pourcents, suivant la première année de la pandémie et retrouvent même leur niveau de 2019. Les Maldives progressent sur le tourisme et attirent par exemple une quantité de touristes indiens et russes. Maurice est de son côté bloqué avec une stratégie européenne. Les Maldives ont également rouvert leurs frontières avec l’Afrique du Sud le 31 décembre dernier, alors que les autorités mauriciennes ont prolongé la fermeture des frontières avec les Sud africains jusqu’au 31 janvier prochain.   

Comment renverser la vapeur économique ?
L’on a raté le coche et il sera aujourd’hui plus compliqué pour se réinventer. Maurice aurait dû lancer l’économie bleue, la ‘silver economy’ ou encore inciter la diaspora à s’établir sur son sol. Le vrai défi c’est de pouvoir éviter les effets d’annonce et passer à l’exécution. Il n’y a pas de plan d’action pour générer de revenus additionnels en 2022. 

Maurice peut-il espérer une meilleure croissance en 2022 qu’en 2021, selon les chiffres de Statistics Mauritius ?
2022 sera une année lente pour les Mauriciens qui continueront de souffrir. Le taux de croissance devrait se situer entre 3 et 4 % cette année. Cela dépendra néanmoins de la reprise du tourisme. Ceci dit, une croissance de 4 % sera toujours faible alors que Maurice aurait dû enregistrer un taux de 10 %. Malheureusement, rien de tangible n’a été fait durant la crise pour espérer une telle progression de notre économie. Je souhaite que les autorités reprennent leur esprit pour travailler dans l’intérêt des Mauriciens et arrêter la souffrance dont subit l’économie. 
 

 

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