Interview

Ivor Tan Yan : «Si les citoyens ne s’engagent pas, Jugnauth et Ramgoolam seront leurs seuls choix»

Ivor Tan Yan

Demander aux citoyens de choisir les candidats qui brigueront les suffrages lors des prochaines élections générales. C’est ce que propose le Komite 13 Oktob à travers le concept de primaires citoyennes. Ivor Tan Yan, l’un de ses membres, juge inacceptable que les candidats soient choisis par quelques leaders politiques seulement. 

Publicité

Le Komite 13 Oktob lance l’idée des primaires citoyennes, un concept nouveau à Maurice. Pourquoi ?
Nous lançons ce concept à la suite d’un séminaire tenu le 13 octobre dernier, où une trentaine de professionnels s’étaient réunis. Il y avait un consensus parmi eux pour dire qu’il y a un problème avec notre démocratie, car c’est seulement quatre ou cinq  leaders politiques qui choisissent les candidats à une élection. Ainsi, pour être sur la liste des candidats, il faut être validé par ces leaders. Face à ce constat, nous sommes d’avis qu’il faut, dans le choix des candidats, engager un maximum de citoyens. Lors de primaires citoyennes, c’est le candidat qui sollicite les citoyens pour soutenir sa candidature. Une fois tous les candidats potentiels rassemblés, nous pensons que d’ici fin mars, nous allons présenter un programme minimal, à la suite de débats, bien sûr.

L’idée est-elle donc de présenter 60 candidats aux prochaines élections ?
Ce seront 60 candidats choisis sur peut être 150, voire 200 candidats potentiels. Chacun devra obligatoirement obtenir 100 signatures pour soutenir sa candidature. Ce sera ainsi la première fois que nous nous retrouverons avec des candidats à avoir été choisis par 20 000 citoyens et non par un leader. Et même si nos candidats ne sont pas élus, il faudra préserver cette méthode, qui favorise la proximité, car cette approche n’est pas pyramidale.

Mais c’est connu que l’électorat a tendance à privilégier la politique dite ‘mainstream’. Les primaires citoyennes dont vous parlez, n’est-ce pas une utopie ?
Est-ce que lorsqu’il y a une volonté de notre part de prendre des actions citoyennes, cela signifie que nous vivons dans un monde utopique ? Alors qu’en face de nous, il y a ceux qui sont résolus à ne rien faire pour changer cela. Est-ce que notre solution est la meilleure ? Le temps nous le dira. De plus, l’action que nous menons au niveau du Komite 13 Oktob vise à sensibiliser et à mobiliser les citoyens pour qu’ils s’engagent. S’ils ne le font pas aujourd’hui, demain ils n’auront d’autres alternatives que Jugnauth et Ramgoolam. Donc, je ne crois pas que notre démarche est utopique.

Si les électeurs ne montrent pas de grand intérêt pour les petits partis, n’est-ce pas parce qu’ils ont l’impression qu’ils vont gaspiller leur vote avec ceux-ci ?
Lorsque nous analysons les résultats des dernières élections, nous remarquons qu’il y a un fort taux d’abstention. Je considère que c’est ça le vrai gaspillage. Aujourd’hui, nous avons parmi les votants des die hards, des karapat qui changent de bord à  chaque élection, ceux qui veulent un changement et qui vont opter pour l’autre parti et enfin, il y a un pourcentage d’indécis et ce sont leurs votes qui font la différence.

Mais force est de constater que les petits parviennent à peine à obtenir 10 % des votes lors d’une élection...
En tenant compte des résultats obtenus par Jack Bizlall lors de la dernière élection partielle à Belle-Rose/Quatre-Bornes, tout porte à croire que l’électorat est prêt à donner la chance aux « petits ». Il n’y a pas eu de réunion de quartiers  en tant que tel. Ce sont plutôt les citoyens qui l’ont fait pour Jack. Les gens aujourd’hui ne sont plus des imbéciles. De nombreux candidats auraient obtenu de meilleurs résultats si le taux d’abstention n’était pas aussi élevé.

Lors des dernières élections, nous avons remarqué qu’il y a eu un fort taux d’abstention. Je considère que c’est ça le vrai gaspillage»

Êtes-vous d’accord que les partis doivent obtenir au moins 10 % des votes pour pouvoir bénéficier d’un financement de l’état ?
Le financement des partis politiques par l’état est une réalité dans les grandes démocraties. à Maurice, nous avons eu le cas d’un ancien Premier ministre  possédant des coffres-forts remplis d’argent. Pour sa défense, il a déclaré qu’il s’agit de l’argent obtenu pour le financement du parti et qu’il a dû le garder chez lui. Dans le but de préserver la démocratie, le  gouvernement se doit d’agir. Il faut donc situer le contexte dans lequel cette proposition a été faite. De plus, il faut aussi savoir comment ils sont arrivés à ce chiffre de 10 %. Est-ce en sachant qu’il serait difficile pour certains partis d’atteindre ce seuil et qu’il leur sera ainsi plus compliqué de rivaliser avec les autres partis ? à mon avis, c’est pour que les petits partis ne puissent pas progresser. 

Justement, comment se fera le financement de la campagne de votre nouveau  parti ?
Ce sera décidé à partir de la convention, qui se tiendra vraisemblablement en mars prochain. Cette tâche reviendra au parti que lancera le Komite 13 Oktob. Toutefois, le principe de base est d’instituer un plafonnement. On ne peut se permettre d’avoir une personne qui fait don, par exemple, d’un million de roupies et un autre qui contribue Rs 100, car le rapport peut ne pas être le même. Par contre, en instaurant un plafond à un montant raisonnable, où tout le monde puisse contribuer, ce sera beaucoup plus transparent et à la portée de tous.

Les grands partis font souvent alliance, alors que les petits partis sont très fragmentés. Qu’est-ce qui  empêche ces derniers de se regrouper ?
Vous faites sûrement référence aux partis tels que Lalit, le Mouvement 1er Mai ou encore Rezistans Ek Alternativ. Il s’agit probablement d’une question de personnalité et je ne peux pas vous dire pourquoi ils ne parviennent pas à s’entendre. Une autre explication serait l’absence de débats idéologiques. Si on avait une plate-forme médiatique pour débattre de la ligne et des idées des partis, les citoyens seraient certainement beaucoup plus attentifs. Malheureusement, ce sont souvent les agressions et autres persécutions qui retiennent l’attention lors des campagnes électorales.

Ne pensez-vous pas que cela aurait permis aux petits partis d’obtenir de meilleurs résultats ?
Si les campagnes se déroulaient autour des débats idéologiques, ceux qui sont perçus comme étant du même bord auraient certainement fait de meilleurs scores. Ainsi, si ces partis se rapprochaient, ils auraient eu plus de poids, mais il faut que les débats soient orientés dans cette direction.

Comment assurer une représentation féminine équitable et raisonnable avec la formule de primaires citoyennes ?
Avec le travail sur le terrain. D’ailleurs, il y a aujourd’hui (ndlR. vendredi) une réunion du Komite 13 Oktob à Pamplemousses. C’est avec des débats et des discussions, où les candidats potentiels vont vers l’électorat pour véhiculer leurs idées, accepter ses  critiques, intégrer ses propositions et le pousser à s’engager. Ce qui permettra aussi aux candidats potentiels d’affronter leur peur. C’est la seule solution pour amener une gender equality.

À votre avis, quel sera l’apport des réseaux sociaux lors des prochaines élections ?
Les partis politiques traditionnels ont déjà commencé un travail en se sens en envahissant les réseaux sociaux. L’apport des réseaux sociaux est ainsi très important, mais c’est aussi un couteau à double tranchant. Si ce n’est pas lié à des actions et des activités sur le terrain, les retombées politiques seront moindres. Aujourd’hui, certains livrent leur état d’âme sans qu’il y ait une action derrière. Alors qu’à l’inverse, d’autres utilisent les réseaux sociaux pour alerter l’opinion publique et rapporter leurs actions. Le Komite 13 Oktob fait déjà un travail en ce sens, tout comme Rezistans ek Alternativ. Pour que ça marche, il faut faire le lien entre le virtuel et le réel.

 

Notre service WhatsApp. Vous êtes témoins d`un événement d`actualité ou d`une scène insolite? Envoyez-nous vos photos ou vidéos sur le 5 259 82 00 !